La question paraît complètement aberrante tellement les obstacles à une adhésion de la Biélorussie à l’UE sont nombreux (des obstacles autant internes qu’externes au pays). Pourtant, en raison de la faiblesse géopolitique de l’État biélorusse entre deux puissances engagées dans une lutte d’influence en Europe orientale, et alors que Minsk s’inquiète de plus en plus des velléités irrédentistes de Moscou, la Biélorussie ne peut plus refuser de choisir entre la Russie et l’UE tout en exigeant un partenariat égal avec les deux blocs. Alors comment la Biélorussie pourrait à long terme adhérer à l’Union européenne ? Quelle serait l’influence de la Russie dans le processus ? En quoi l’expérience ukrainienne peut-elle servir à Minsk ?
Le principal défaut de la Politique Européenne de Voisinage
La Biélorussie est incluse depuis 2009 dans le Partenariat Oriental, signe d’une ouverture du régime de Loukachenko vers l’UE (ou de distance vis-à-vis de Vladimir Poutine). Les formes de coopération concrètes restent néanmoins très limitées. Pourtant, si les contacts entre les deux partenaires devaient s’intensifier, il faudrait certainement craindre que la Biélorussie soit assez vite frustrée de sa relation avec l’UE.
L’exemple de la Moldavie est à ce titre assez éloquent. [1] Ce pays enclavé entre la Roumanie et l’Ukraine a signé un APC (Accord de partenariat et de coopération) entré en vigueur en 1998. Cet accord prévoyait une assistance financière pour aider l’économie moldave à opérer un changement structurel absolument indispensable. En 2014, l’UE a signé un accord d’association avec la Moldavie renforçant la coopération bilatérale. De nombreux moldaves sont néanmoins frustrés de voir que Bruxelles exige énormément de réformes structurelles et une résolution des conflits territoriaux en Moldavie tout en restant très vague sur une adhésion à l’UE. [2] La PEV ne permet donc pas un partenariat « gagnant-gagnant » avec les voisins de l’UE dont certains commencent à s’en détourner. Concernant la Biélorussie, il faudrait initier un dialogue politique intensif et la préparation d’un véritable partenariat concret avec des objectifs clairs.
L’opinion publique biélorusse de plus en plus « europhile »
Le dialogue avec Minsk est d’autant plus important aujourd’hui que l’opinion publique biélorusse manifeste depuis quelques années son mécontentement à l’égard du régime. Le dernier exemple en date est la fameuse « révolution des parasites » début 2017, des manifestations relativement importantes contre la politique antisociale de Loukachenko, alors que le pays est en crise. La présence dans les manifestations de simples citoyens en colère contre les conditions de vie était alors une première. [3]
La jeunesse biélorusse est bien plus europhile que les autres générations en raison notamment de leur accès aux médias occidentaux (dont la version d’Euronews en russe), ce qui pourrait progressivement retourner l’opinion publique en faveur d’un rapprochement accéléré et durable avec l’UE (la Biélorussie est un pays traditionnellement hostile à l’intégration européenne en raison des restrictions imposées par l’espace Schengen sur sa frontière avec l’UE et la propagande anti-occidentale de Loukachenko). [4] Même si le régime n’est certainement pas prêt à écouter la société civile, il se pourrait que la pression de celle-ci s’accentue au fil des années.
Pour le Kremlin, la Biélorussie n’est pas aussi importante sur le plan stratégique que l’Ukraine
A l’heure actuelle, la Russie exerce encore une influence considérable sur sa petite voisine occidentale et voit d’un mauvais œil les tentatives de rapprochement du pays avec l’UE. Dans le cas (encore très hypothétique) où Minsk entamerait les démarches pour poser sa candidature à l’Union européenne, Moscou pourrait-elle s’y opposer par la force ? D’un point de vue géostratégique, l’enclave de Kaliningrad représente l’enjeu le plus important. Ce petit oblast russe enclavé entre la Pologne et la Lituanie est une position importante sur la mer Baltique pour la Russie et une adhésion de la Biélorussie à l’UE isolerait encore plus Kaliningrad. Néanmoins des conventions furent signées entre l’UE et la Russie pour permettre une circulation facilitée entre l’enclave et le « Mainland » russe.
Si la Baltique est une région importante pour la Russie, la Mer Noire est en revanche beaucoup plus stratégique. Elle permet l’accès aux mers chaudes du Globe, ce que la Russie cherche depuis des siècles. L’Ukraine est donc pour le Kremlin un pays qui doit absolument rester dans son giron à cause de la Crimée et du port militaire de Sébastopol. La Russie prétend également entretenir des liens historiques très fort avec l’Ukraine car Kiev fut la première capitale d’un État considéré comme russe (la Rus’ de Kiev au milieu du Moyen-Âge) et le concept de « Malorossiya » (ou Petite Russie) est très courant chez les irrédentistes russes pour désigner une grande partie de l’Ukraine comme région historiquement russe. Comparer les situations ukrainienne et biélorusse peut être hasardeux mais il ressort tout de même que la Biélorussie ne semble pas aussi importante sur le plan stratégique que l’Ukraine. Le refroidissement des relations Minsk-Moscou est une opportunité à saisir pour l’UE afin de développer un partenariat stable et équilibré.
Des obstacles internes très difficilement surmontables
Mais si le plus gros obstacle d’une entrée de la Biélorussie dans l’UE était la Biélorussie elle-même ? Les critères de Copenhague relatifs à l’adhésion mettent l’accent sur le respect des droits de l’Homme et de la démocratie, ce que Minsk ne fait pas. Les récentes libérations de prisonniers politiques furent occultées par les répressions des manifestations. L’économie biélorusse est fondamentalement incompatible avec l’économie de marché européenne. Il s’agit en effet d’une économie planifiée qui n’a pas connu de privatisations comme en Russie ou en Ukraine dans les années 90. Le système économique biélorusse devra consentir à des réformes drastiques et ordonnées en cas de possibilité d’adhésion. De plus, à l’heure actuelle, les États membres de l’UE ne semblent pas favorable à un tel élargissement, à l’exception peut-être de la Pologne et de la Lituanie.
A l’issue de cette modeste étude, il apparaît que la situation biélorusse est très complexe. Le pays ne peut pas osciller éternellement entre la Russie et l’Union européenne. Cette dernière doit saisir l’opportunité d’un rapprochement avec Minsk pour développer un partenariat concret avec des objectifs précis en aidant à la démocratisation du régime. La société civile biélorusse pourrait faire pression sur le gouvernement si elle arrivait à s’unifier. Le Kremlin ne peut pas se permettre d’être impliqué dans une guerre en Biélorussie tant la situation économique de la Russie est catastrophique et l’enlisement du conflit ukrainien est manifeste. La relation Biélorussie-UE aboutira-t-elle à terme à une adhésion ? Les obstacles sont encore très nombreux mais une transition économique et politique ordonnée du pays est possible.
1. Le 3 novembre 2019 à 15:24, par Jerome HUBERT En réponse à : La Biélorussie doit-elle adhérer à l’UE ?
J’ai du mal à croire que le Belarus puisse un jour choisir l’UE. Certes la jeunesse est attirée par les lumières de l’occident, mais celles de la Russie ne brillent pas moins fort vue de Minsk ou de n’importe quel coin du pays. Les plus exaltés sont déjà partis. L’immense majorité a la trouille que la Russie prenne ombrage d’un rapprochement Belarus-UE, et on sait trop que Poutine n’hésitera pas à faire ce qu’il faut pour éviter ça. Et année après année, l’opposition biélorusse se fait plus faible. Le russe gagné irrémédiablement dans le langage et dans les têtes. Les succès de Poutine impressionnent, le brouhaha de l’Europe ouvert aux 4 vents rebute. Mon pari c’est plutôt que Poutine intègre le Belarus dans cette nouvelle confédération qui lui permettra de continuer sa présidence au delà de 2024. Nouveau pays, nouvelle constitution, reset du compteur. Basta lukachenko.
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