Biélorussie : zone grise des droits de l’Homme, défi pour l’Europe

, par Théo Boucart

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Biélorussie : zone grise des droits de l'Homme, défi pour l'Europe
Le président biélorusse Alexandre Loukachenko (au centre) lors de l’assemblée parlementaire de l’OSCE en juillet 2017 à Minsk. Photo Flickr - OSCE Parliamentary Assembly - CC BY-SA 2.0

Souveraine depuis 1990, indépendante depuis 1991, la Biélorussie est un état jeune qui n’a quasiment jamais connu de démocratie. Les violations récurrentes des droits de l’Homme empêchent l’émergence d’une société civile organisée et porteuse d’un nouveau projet de société. Dans ce contexte, comment Minsk peut-elle s’inscrire dans les dynamiques européennes d’intégration régionale ?

Rien de nouveau sous le soleil (déjà bien triste) de Biélorussie concernant les droits de l’Homme. Le dernier rapport d’Amnesty International (couvrant 2017 et 2018) et celui du Human Rights Watch (relatant les évènements de 2017) sont assez alarmants : le pouvoir biélorusse réprime systématiquement les mouvements d’opposition et les ONG. Le président Alexandre Loukachenko, au pouvoir depuis 1994, ne semble aucunement vouloir changer de cap, malgré sa volonté de se rapprocher de l’Europe occidentale.

La nature « cyclique » des violations des droits de l’Homme

Selon les deux rapports, la société civile biélorusse a été sévèrement muselée ces dernières années, notamment lors des manifestations pacifiques (les premières depuis 2010) qui se sont tenues en février et mars 2017. Ces manifestations ont commencé en réaction à la promulgation d’un décret présidentiel créant une taxe pour les chômeurs (le décret n°3, surnommé « taxe sur les parasites »). Les revendications se sont peu à peu étendues à la démission du président Loukachenko et de son gouvernement. Une vague d’arrestation sans précédent s’en est suivie, visant particulièrement les militants des droits de l’Homme (appartenant notamment à l’une des principales ONG du pays, Viasna) et les journalistes.

La Biélorussie est le seul pays européen où la peine de mort est toujours légale et régulièrement appliquée. La dernière exécution, celle de Siarhei Vostrykau, a eu lieu en avril 2017. Quatre autres hommes attendent toujours leur exécution dans le couloir de la mort. L’émergence d’une société civile active est également entravée par une liberté d’association inexistante : la participation aux activités d’une organisation non reconnue par l’Etat est un crime. Or, la reconnaissance de celles-ci se fait sur des critères très arbitraires. La liberté d’expression est tout aussi bafouée : le pouvoir biélorusse a arrêté des centaines de journalistes essayant de couvrir les évènements de 2017. Une vingtaine d’autres ont été poursuivis pour avoir collaboré avec des médias étrangers.

Toutes les composantes de la fragile société civile biélorusse sont donc traquées par le gouvernement. En juin 2018, le Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme en Biélorussie, Miklós Haraszti, a publié un rapport couvrant ses six années en tant que Rapporteur spécial, où il faisait état de la « nature cyclique » de la répression. Contrairement aux « démocraties illibérales » d’Europe centrale et même aux régimes déjà bien autoritaires en Russie et en Turquie, la Biélorussie n’a quasiment jamais connu de démocratie : en 1994, le président réformiste Stanislaw Chouchkievitch a été renversé par le parlement biélorusse, ce qui a amené Alexandre Loukachenko au pouvoir. Depuis lors, celui-ci n’a eu de cesse d’imposer son autoritarisme néo-soviétique, au détriment des droits de l’Homme et de la société civile.

Des signes contradictoires

Si le gouvernement de Minsk refuse de collaborer avec Miklós Haraszti, Alexandre Loukachenko essaye depuis quelques années de se rapprocher des instances de coopération européennes : l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) a tenu son Assemblée parlementaire à Minsk en juillet 2017. Le pays engage également le dialogue avec le Conseil de l’Europe (qui déplore néanmoins les signaux contradictoires venant de Minsk) et l’Union européenne, via notamment le Partenariat oriental fondé en 2009. Si la coopération entre l’UE et la Biélorussie est beaucoup moins importante que les autres pays du Partenariat (l’Ukraine, la Moldavie, la Géorgie, l’Arménie et l’Azerbaïdjan), il existe une volonté de la Biélorussie de se positionner comme trait d’union entre les institutions européennes « occidentales » et la Russie.

Les relations avec le grand voisin russe semblent en effet de plus en plus compliquées : en décembre dernier, Moscou a demandé à Minsk d’accélérer l’unification des deux pays dans le cadre d’une union existante depuis 1999. Alexandre Loukachenko fait régulièrement part de ses inquiétudes concernant les visées néo-impérialistes de la Russie. Du fait de sa petite taille et de sa faible importance politique, la Biélorussie peut difficilement être un pont durable entre l’Europe occidentale et la Russie. Minsk va devoir donc choisir entre un rapprochement de l’UE ou une poursuite de l’intégration à l’Union eurasiatique (un projet concurrent de l’UE mené par la Russie). Quel sera le rôle de la défense des droits de l’Homme dans ce rapprochement annoncé ?

L’Union européenne doit continuer à défendre les droits de l’Homme dans sa relation avec la Biélorussie

Les relations entre l’Union européenne et la Biélorussie sont encore largement conditionnées par le respect des droits de l’Homme dans le pays. La coopération est limitée à des échanges multilatéraux et techniques au sein du Partenariat oriental (même si l’UE apporte son soutien à la société civile et aux victimes de la répression), de nombreuses mesures restrictives sont toujours en place contre Minsk (notamment un embargo sur les armes et des sanctions visant des officiels biélorusses) même si ces mesures ont été assouplies en 2016.

Le Conseil de l’UE de février 2016 a rappelé que les relations avec la Biélorussie devaient se faire sur des valeurs communes de démocratie, de respect des droits de l’Homme et d’état de droit. Un premier pas positif est la reprise du dialogue UE-Biélorussie sur les droits de l’Homme, dont le 5ème cycle s’est tenu l’année dernière [13]. Même si cela peut ressembler parfois à un dialogue de sourd, tant la Biélorussie semble peu encline à se réformer en profondeur, l’Union européenne doit rester extrêmement ferme sur le respect de ses valeurs. Cela est d’autant plus important que ces mêmes valeurs commencent à être remises en cause parmi certains états membres. Le dialogue avec Minsk doit donc aussi être l’occasion d’une réflexion renouvelée sur la stratégie européenne pour la défense de ses valeurs fondamentales.

Du 18 au 24 février, les Jeunes Européens Fédéralistes organisent une semaine de campagne « Democracy Under Pressure ». Cette campagne appelle les citoyens européens à défendre la démocratie et à s’exprimer pour ceux qui ne le peuvent pas. Plusieurs articles seront publiés dans les jours à venir sur les différentes éditions linguistiques de notre magazine, en lien avec ces sujets.

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