Tout comme la plupart des régions d’Europe, l’Europe centrale connait des situations hétérogènes s’agissant de la liberté de la presse. Selon le classement 2020 de Reporters sans frontières, la Slovénie et la Slovaquie sont devant la France et le Royaume-Uni, en occupant respectivement les 32ème et 33ème places. La République tchèque, la Roumanie et la Croatie sont respectivement 40ème, 48ème et 59ème, cette dernière gagnant cinq places. Enfin, la Pologne et la Hongrie, deux pays particulièrement affectés par le tournant illibéral des années 2010, sont 62ème et 89ème.
Le groupe de Visegrád en particulier est passé en quelques années de modèle à anti-modèle. Depuis 2013, la Hongrie a perdu 33 places au classement, tandis que la Pologne s’est effondrée de 41 places depuis 2015 et l’arrivée du PiS au pouvoir. Ces deux pays sont désormais très loin derrière un pays comme la Bosnie-Herzégovine, pourtant meurtri par la guerre, les tensions ethniques et miné par la corruption. La République tchèque a perdu 27 places entre 2015 et 2020, tandis que la Slovaquie en a perdu 21 entre 2016 et 2020. Ces deux pays étaient encore dans le top 15 mondial au milieu de la décennie 2010.
La région est désormais la plus affectée de l’Union européenne par la régression de la liberté de la presse. Comment en sommes-nous arrivés là ?
Concernant les cas qui suscitent le plus d’inquiétude, la Pologne et la Hongrie, l’emprise de l’état sur le secteur médiatique a commencé au moment où des gouvernements populistes de droite sont arrivés au pouvoir. Le Fidesz de Viktor Orbán est au pouvoir en Hongrie depuis 2010. Selon Reporters sans frontières, le paysage médiatique hongrois a tellement changé sous l’illibéralisme orbánien qu’en 2020, pratiquement aucun des propriétaires de médias d’avant 2010 n’est encore présent sur le marché. En 2016, le quotidien de référence Népszabadság a été brusquement fermé. Depuis la fermeture du journal historique Magyar Nemzet en 2018, il ne reste plus qu’un média indépendant (à faible tirage), Népszava. L’attaque contre la presse hongroise est ainsi qualifiée par RSF en 2019 « d’inédite dans un état membre de l’UE ».
La Pologne de Jaroslav Kaczynski a décidé de « poloniser » les médias, en votant dès 2015 une loi permettant au pouvoir politique de contrôler directement la télévision publique. L’année suivante, une loi générale sur les médias a été votée, après qu’une première version avait été considérée comme « anticonstitutionnelle ». Cette loi a troublé encore plus la frontière entre médias et politique. La « mise au pas » du système judiciaire a également eu des effets : de plus en plus de journalistes sont condamnés pour « diffamation ». Début 2019, la télévision publique polonaise a violemment répliqué aux critiques selon lesquelles elle aurait diffusé des discours haineux, en partie responsable de l’assassinat du maire de Gdansk, Pawel Adamowicz. Aujourd’hui, le quotidien Gazeta Wyborcza est la principale cible des attaques politiques et judiciaires.
Les autres pays de la région ne sont pas épargnés par cette régression, même si la situation n’est (pour le moment) pas aussi critique. Les poursuites contre les journalistes pour « diffamation » continuent de se développer en Slovénie et en Croatie, la concentration des médias aux mains de quelques oligarques est un grand danger pour le paysage médiatique tchèque et slovaque (le milliardaire tchèque Petr Kellner a ainsi racheté les plus importantes chaînes de télévision en République tchèque et en Slovaquie), et surtout en Roumanie, où les médias sont fermement tenus par les intérêts politiques.
La pression politique directe s’accentue également : le dénigrement décomplexé et l’encouragement de la censure sont de plus en plus courants, surtout en Roumanie, où les minorités (les Hongrois et Tziganes surtout) sont particulièrement visées. En Slovénie, un parti d’extrême-droite fondé par des proches de Viktor Orbán se montre particulièrement virulent à l’égard des journalistes. Cette hostilité n’est pourtant pas l’apanage des partis de droite, comme en témoignent les agissements de certains politiciens sociaux-démocrates slovaques, comme l’ancien premier ministre Robert Fico.
Une lueur d’espoir nous vient pourtant de ce pays, pourtant marquée par l’assassinat du journaliste Ján Kuciak en 2018. Sa mort a provoqué une véritable vague d’émotion en Europe, seulement quelques mois après l’assassinat de la journaliste maltaise Daphne Caruana Galizia, conduisant des milliers de Slovaques à manifester dans les rues et provoquant la démission de Robert Fico. Le procès pour punir les responsables a débuté en janvier dernier. Deux des cinq accusés ont déjà été déclarés coupables. L’enquête a révélé un lien étroit entre l’homme d’affaires controversé Marian Kočner, accusé d’avoir commandité le meurtre, et des personnalités politiques et judiciaires. Cette affaire a en outre montré que la société civile en Europe centrale tenait à sa démocratie et à sa liberté de la presse.
Lors de notre série spéciale « liberté de la presse en Europe en 2020 », retrouvez également des articles plus détaillés sur la liberté de la presse en Pologne, en Hongrie, en République tchèque et en Slovaquie.
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