Perspective européenne : au nom de la liberté en Hongrie

, par Gesine Weber, Laura Mercier, Michał J. Ekiert, Radu Dumitrescu

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Perspective européenne : au nom de la liberté en Hongrie
Cette institution du journalisme magyar, qui allait souffler sa 80ème bougie, qui a résisté à la montée du fascisme puis au communisme, a édité son dernier numéro le 11 avril dernier, trois jours seulement après la large réélection du Premier ministre Viktor Orbán. Photo : Veronika Szappanos/ Wikimedia/ CC BY-SA 4.0

Dimanche dernier, Viktor Orban a été réélu Premier ministre de la Hongrie. Il s’engage ainsi dans un quatrième mandat, sous lequel les médias et journalistes, les ONG, les réfugiés, les universités, les minorités, les opposants, les activistes, vont continuer à être menacés, opprimés. Les rédacteurs en chef de plusieurs de nos éditions linguistiques réagissent ensemble à cette élection et partagent leur solidarité avec toutes les personnes, organisations et associations qui militent et s’engagent sous la dictature de Viktor Orban.

Exprimons-nous pour ceux qui ne le peuvent pas

Gesine Weber, co-rédactrice en chef du magazine treffpunkteuropa

« Depuis sa première ré-élection en tant que Premier ministre de la Hongrie en 2010, Viktor Orban n’a cessé de resserrer son emprise sur les médias indépendants et la liberté de la presse. Selon l’ONG Reporters sans frontières, la Hongrie se classe au 71ème rang parmi 181 pays, derrière des Etats comme Haïti, le Niger ou bien encore la Géorgie. La victoire d’Orban la semaine dernière est à peine surprenante : comment les forces pro-européennes et progressistes auraient pu faire entendre leur voix dans un pays où tous les grands médias régionaux appartiennent à des hommes d’affaires proches du Premier ministre, où le gouvernement prépare le contenu des radio publiques, et où les médias critiques sont forcés à la faillite ?

Comment l’opposition aurait-elle pu accéder aux électeurs dans un régime où les médias d’Etat mènent des campagnes de dénigrement contre tous les adversaires potentiels du Fidesz, et comment les Hongrois pourraient-ils être informés par des médias indépendants quand ceux-ci ont un accès restreint au parlement ? Après la réélection de Viktor Orban dimanche dernier, le quotidien le plus important a cessé de fonctionner, la liberté de la presse est de facto ébranlée en Hongrie.

Les mesures prises par Viktor Orban contre la liberté de la presse ne sont pas seulement un problème pour la Hongrie, elles constituent une menace vitale pour l’Union européenne. Si elle souhaite perdurer, l’UE ne peut pas se permettre que ses citoyens soient mal informés et que ce manque d’information mène à un euroscepticisme croissant. A ce jour, l’UE limite son action à regarder ce qui se passe, à lancer des tentatives désespérées pour contrer la propagande anti-UE d’Orban avec des campagnes comme « Les faits comptent », à critiquer ou utiliser un outil juridique sophistiqué, mais inutile. Mais ça n’aide pas les gens en Hongrie. Nous ne devons pas oublier qu’il y a encore des manifestants contre Viktor Orban dans les rues, que des journalistes critiques continuent de publier sur Internet et que la société civile n’est pas morte, même si Viktor Orban le souhaite. En tant que journalistes bénéficiant de la liberté de la presse, nous devons rendre compte de leur lutte contre l’assujettissement de la presse, former des esprits critiques à l’intérieur et à l’extérieur de la Hongrie, pour exprimer notre solidarité avec les journalistes et forces démocratiques, et défendre l’importance vitale de la liberté de la presse dans une Europe démocratique. Viktor Orban a le pouvoir de réduire au silence les journalistes hongrois – mais pas les journalistes dans toute l’Europe. »

Soutenons les ONG et activistes sous la Hongrie d’Orban

Laura Mercier – Rédactrice en chef du magazine Le Taurillon

« Un autre mandat pour Viktor Orban, un autre mandat de menaces et d’attaques envers la liberté de la presse, les ONGs, les réfugiés, les universités. Un autre mandat pour Viktor Orban, un autre mandat de restrictions envers les minorités, et toujours plus de rhétorique anti-UE. La liste des victimes des politiques de Viktor Orban serait trop exhaustive pour un article. Alors que le Conseil de l’Europe a fait part de son inquiétude concernant les lois « Stop Soros » qui ont pour but de restreindre toujours plus et de contrôler davantage les activités des ONG en Hongrie, nous devons soutenir tous les activistes qui travaillent et qui se mobilisent, sous le gouvernement de Viktor Orban. De nombreuses personnes ont besoin de l’aide et du soutien des ONG en Hongrie, elles ne peuvent pas abandonner.

Viktor Orban va continuer à ébranler la société civile et les valeurs de la démocratie. Ces lois « Stop Soros » donneraient au Ministre de l’Intérieur hongrois le pouvoir d’interdire n’importe quelle organisation de mener ses activités, d’imposer plus de taxes sur les soutiens financiers étrangers aux ONG qui aident et soutiennent les réfugiés en Hongrie, et n’importe quel citoyen étranger qui soutient l’immigration pourrait être exclut du pays. La liberté d’opinion n’est-elle pas un des principes fondamentaux de notre Union européenne, un droit de l’homme ? La liberté d’expression n’est-elle pas au cœur de la démocratie ?

A l’évidence, forcer Viktor Orban et ses amis à lire la Déclaration universelle des droits de l’homme et la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne n’aurait aucun impact et ce malgré le symbolisme que ces textes représentent. A l’évidence, appeler Viktor Orban un « dictateur » comme Jean-Claude Juncker s’était amusé à le faire ne va pas le faire se sentir coupable. A l’évidence, exiger le respect de la démocratie par le biais de discours depuis Bruxelles ne va rien changer. Cette large victoire de Viktor Orban et de son parti, et les chaleureuses félicitations qui leur ont été adressées par certains membres du Parti populaire européen est une mauvaise et alarmante nouvelle, à un an des élections européennes. Nous avons besoin d’une Union européenne qui défend ses valeurs et ses principes et qui protège les victimes des politiques scandaleuses de Viktor Orban. Nous avons besoin d’une Union européenne qui prend ses responsabilités contre la banalisation des politiques d’extrême droite en Europe. »

Le Favori du Tsar

Radu Dumitrescu – Rédacteur en chef du magazine thenewfederalist

« En 1989, un jeune Viktor Orban monte sur scène et exige que les dernières troupes russes quittent la Hongrie pour de bon. On fait un bond en avant, et on retrouve Viktor Orban comme l’allié le plus fidèle de Moscou en Europe, un dirigeant qui calquerait presque sa politique sur celles du Kremlin.

La rupture a eu lieu en 2010. Face à la crise économique, le gouvernement Orban a alors adopté une attitude positive à l’égard de la Russie, dans le cadre de sa rhétorique anti-migrants et anti-Bruxelles. Les ennemis d’antan sont alors devenus des alliés tacites contre une Union européenne trop dirigiste. Après 2010, Vladimir Poutine et Viktor Orban ont commencé à se rencontrer une fois par an. Depuis, les mesures prises par le Premier ministre hongrois incluent la manipulation de la carte électorale, une loi anti-ONG qui semble identique à la Loi russe sur les agences étrangères, et une répression des médias critiques du gouvernement. En vrai Tsar, Viktor Orban s’est entouré d’hommes d’affaires et de membres de sa famille liés au gouvernement, en octroyant des contrats selon ses préférences.

Depuis l’élection de Donald Trump, les pays européens ont craint l’ingérence russe dans le processus démocratique (les élections, notamment). Mais pas la Hongrie. Le gouvernement Orban étouffait déjà les médias et promouvait déjà une bonne image de la Russie. Les journaux hongrois et les chaînes de télévisions liés à l’Etat relaient continuellement des histoires issues de Russia Today ou de Sputnik, véritables porte-paroles du Kremlin.

Par ailleurs, le Polonais Jaroslaw Kaczynski ne se soucie vraisemblablement pas des relations russes de Viktor Orban, soutenant son collègue anti-UE jusqu’au bout. De plus en plus conservateurs et nationalistes, les deux pays ont renforcé leur liens en raison de leur opposition commune à Bruxelles. On ne peut qu’espérer que cela ne mène pas à un alignement des pays de Visegrad autour des intérêts russes. La « démocratie illibérale », la « démocratie souveraine » ou la « démocratie originale », toutes ces manières de décrire l’autoritarisme sans prononcer le mot, ont été inspirées de Vladimir Poutine et de sa façon de gouverner. L’Europe a besoin de présidents, de premiers ministres et de chanceliers, pas de tsars. »

Une nouvelle victoire des instincts les plus bas

Michal Ekiert – Responsable des relations européennes de la JEF Pologne

« Nous venons tous d’en être assurés, un cauchemar hongrois appelé Fidesz perdure, toujours aussi fort. Plus inquiétant encore, c’est le Jobbik qui s’est positionné comme principale force d’opposition, ce parti qui ferait presque passer Viktor Orban pour un modéré. Si ce sont eux qui constituent l’alternative, alors cela expliquerait en partie les félicitations adressées à Viktor Orban par plusieurs politiciens européens.

« L’Etat illibéral » comme Viktor Orban a lui-même décrit l’entité politique qu’il gouverne, n’est pas une sorte d’Etat où un acte de campagne politique est mené de manière civilisée, comme l’a récemment prouvé la mission de surveillance de l’OSCE : le responsable de cette mission a décrit cette rhétorique comme étant « assez hostile » et « xénophobe ». Le soutien apporté au Fidesz par la télévision publique était très perceptible.

Les panneaux d’affichage et les lettres envoyées à des personnes ayant un avis négatif envers tout et n’importe qui, qui ne serait pas assez hongrois, comme stratégie de campagne, et le tout financé par les contribuables, me rappelle bien trop l’histoire de mon pays natal... Quand en 1928, lors d’une grande fête sous chapiteau du Maréchal Piłsudski a permis le détournement d’importantes sommes d’argent, utilisé pour couvrir les dépenses de leur campagne contre les partis démocratiques. La position du Parti populaire européen, qui ressemble à une sorte de méli-mélo neutre et félicitant, m’inquiète particulièrement.

D’ici les prochaines élections, les électeurs hongrois doivent avoir accès à des données exactes fournies par des médias impartiaux et de solides agents du changement. Tout le monde ne sera pas prêt à changer ses convictions, mais tout le monde devrait pouvoir entendre chaque côté, chaque partie. Ce n’était pas le cas pour cette récente élection, et ce en raison d’une campagne injuste et inégale. Quand cela arrivera, comme le disent d’autres Viségradiens, à la fin, pravda vítězí : la vérité prévaudra. »

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