Une réticence à l’euro, conséquence d’un euroscepticisme scandinave historique
La Suède a adhéré à ce qui étaient alors les Communautés européennes en 1995, un an après la signature du traité d’adhésion. L’adhésion du pays, et donc la signature du traité, est soumise à référendum aux Suédois, qui confirment avec une très courte majorité l’entrée du pays dans la famille européenne. Le score : 52 %, soit le même score que le contesté référendum sur la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne en 2016. Un score, qui comparé à d’autres référendums d’adhésion à l’UE, comme celui de la Pologne (78% en faveur) ou de l’Autriche (67% en faveur), est représentatif d’un état de méfiance envers le projet européen, une méfiance encrée dans l’identité scandinave.
La Scandinavie est une péninsule au nord de l’Europe qui regroupe strictement la Norvège et la Suède. Toutefois, la culture scandinave et son identité transcendent également le Danemark, les îles Féroé, l’Islande et l’archipel finnois des Åland, peuplé à majorité de suédophones. L’ensemble des ces pays et territoires est divisé dans son intégration européenne – les îles Åland font partie de l’UE, de l’espace Schengen et ont pour monnaie l’euro, le Danemark et la Suède ne font pas partie de la zone euro mais de l’UE et de Schengen, tandis que l’Islande et la Norvège sont seulement membres de l’espace Schengen – mais sont unis par leur scepticisme vis-à-vis de l’intégration européenne. Ainsi, l’ensemble de ces territoires n’est que partiellement intégré et a démontré dans l’histoire une réticence à davantage d’intégration européenne, comme le prouvent les scores faibles du « oui » lors des referendums d’adhésion à l’Union, majorité que n’a pas obtenu la Norvège puisque son référendum de 1994 sur l’adhésion a obtenu un résultat défavorable à hauteur de 52%.
La Suède ne fait pas exception puisque cette dernière, bien que membre de l’Union européenne et de l’espace Schengen, n’a toujours pas intégré la zone euro. Le royaume a pourtant l’obligation d’adopter la monnaie commune notamment par sa ratification au traité de Maastricht qui oblige tout nouvel État de l’UE à rejoindre, à terme,la zone euro, une fois les « critères de convergences » remplis - devenus dans le langage courant les « critères de Maastricht ». La Suède a en effet choisi de soumettre toute décision de rejoindre le mécanisme de taux de change européen (MCE II), dont l’adhésion pendant une période de deux ans est préalable à l’adoption de l’euro, à référendum.
Un bouleversement de l’opinion publique par les crises
L’opinion a dès lors pu s’exprimer une seconde fois sur un sujet européen. Après avoir donné le « oui » à l’intégration à une courte majorité, les Suédois refusent la monnaie unique par un « non » à 55% au référendum de 2003 sur l’adhésion du pays au MCE II. La division suit les contours esquissés par le référendum sur l’adhésion du pays à l’UE, ainsi que les clivage politiques puisque la moitié du champ politique soutien l’adoption de l’euro tandis que l’autre moitié la réprouve.
Un consensus politique se forme alors autour des résultats et leur interprétation : l’euro ne sera adopté que si la population l’accepte par référendum, et référendum il y aura quand une majorité favorable à l’adoption de la monnaie unique se dessinera dans les sondages.
La décision crée de fait un opting-out, une dérogation aux traités par l’un des États membres de l’Union, pour la Suède en matière d’adoption de l’euro. Un opting-out qui reste encore aujourd’hui de mise, puisque l’état de fait a été accepté par l’ensemble des acteurs européens, institutions comme Etats membres, et qu’aucun autre référendum n’a été proposé aux Suédois.
Alors que la population reste divisée sur la question, la crise de la zone euro bouscule l’opinion. En 2012, début de la crise grecque puis européenne, le soutien à l’adoption de l’euro par la Suède plonge à 9%, contre près de 83 % de la population la refusant. La perte de confiance en l’Union et en l’intégration européenne touche alors l’ensemble du continent, et plus particulièrement sa partie septentrionale avec pour paroxysme la promesse de Brexit en 2015, concrétisée en 2016 et finalisée en 2020. Puis, l’Europe réagit, se réforme sous la menace, comme à son habitude pressée par la crise. Dès lors, le soutien à l’Union européenne reprend des couleurs. Les soutiens pour l’adoption de l’euro en Suède progresse et passe de 9% en 2012 à plus de 30% en 2016.
Les crises que traversent l’Europe vont alors continuer et se multiplier : crise climatique, crise des dettes souveraines (2008), de l’euro (2012), de l’accueil des réfugiés (2015), du terrorisme (2015-2016), de la Covid-19 (2020), de l’inflation (2021), puis de la guerre en Ukraine(2022). Les crises sont de différentes natures, mais obligent les Européens à faire bloc et à trouver des solutions communes, renforçant dès lors le sentiment d’appartenance et de destin commun. Elles transforment les opinions publiques, même dans les eurosceptiques du Nord : les Danois acceptent de faire partie de la Politique de sécurité et de défense commune de l’UE, les Islandais sont désormais une majorité à souhaiter voire leur pays adhérer à l’Union, la Suède et la Finlande quant à eux souhaitent intégrer l’OTAN… En ce qui concerne l’euro, les Suédois sont désormais 45% à vouloir la monnaie unique, du jamais vu depuis 2006. Le soutien à la monnaie unique s’est même accéléré sous le coup des crises récentes. Un soutien qui se traduit politiquement par un revirement de la classe politique : aujourd’hui, l’ensemble des forces politiques suédoises (à l’exception de l’extrême droite) sont favorables à l’adoption de l’euro. Une adoption qui pourrait se précipiter quand on voit la vitesse à laquelle l’opinion publique change d’avis. Le revirement sur l’OTAN suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie est un bon exemple en la matière : 30 % favorable à l’adhésion de la Suède à l’OTAN en 2017, contre 64% en 2022.
Malgré tout, la Suède un bon élève de Maastricht
Si l’adoption de l’euro est avant tout une décision politique, il n’en reste pas moins que la mesure a des répercussions économiques sur le pays l’adoptant et sur la zone euro. En ce qui concerne la Suède, le pays satisfait déjà l’ensemble des critères de Maastricht (sauf celui concernant son appartenance au MCE II). Selon la Banque centrale européenne, en 2022, le royaume disposait d’une inflation de 3,7% du PIB (contre un maximum de 4,9), d’un déficit annuel de 0,3% (contre un maximum de 3%) et d’un taux de change de 3,2% par rapport à l’euro (le maximum autorisé étant de 15%). Bref, la Suède est meilleur élève que le nouvel État membre de la zone euro, la Croatie, qui bien que faisant part du MCE II ne validait pas l’ensemble des critères de convergence.
Si l’euroscepticisme est historiquement plus élevé en Scandinavie, et plus particulièrement en Suède, les crises contemporaines font bouger les lignes partout sur le Vieux Continent. Ces dernières n’épargnent pas Stockholm qui pourrait dans les prochaines années, et cela malgré une participation active de l’extrême droite au gouvernement, décider d’adopter la monnaie unique dans un esprit de meilleure intégration européenne et de pragmatisme face à une destiné commune qui se joue également sur le terrain économique.
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