Alter Euro : la Hongrie

Une ambiguïté en plein tourment économique

, par Paul Brachet

Alter Euro : la Hongrie
La Hongrie utilise encore le forint, cela depuis 1325. Aujourd’hui, alors que le pays fait face à un risque de récession, les débats sur l’adoption de l’euro refont surface. crédit : Pixnio

La Hongrie a adhéré en 2004 à l’Union européenne. Bien que légalement tenue d’adopter l’euro comme monnaie unique, les Hongrois disposent encore et toujours de leur monnaie nationale, le forint. La situation économique et politique de la Hongrie de 2023 est loin d’être favorable à l’adoption de la monnaie commune par Budapest, pourtant plébiscitée par une majorité de Hongrois. Petite analyse de la situation de l’adoption de l’Euro en République magyare.

La Hongrie est une république d’Europe centrale et, à l’aube de cette année 2023, un pays au cœur d’un ouragan économique. Une crise économique déclenchée par l’inflation mondiale causée par la reprise des activités post pandémie et empirée par la guerre russe en Ukraine, une crise couplée aujourd’hui à celle de l’énergie. Première victime de ces crises couplées : l’Europe, et plus particulièrement la Hongrie de Viktor Orban.

Une économie en plein tourment

C’est dans un contexte économique pour le moins troublé que la Hongrie débat, encore aujourd’hui, de son adhésion à la zone euro. La situation économique et monétaire de la Hongrie se fait remarquer par un décrochage relatif par rapport au reste du bloc communautaire. Fin 2022, la croissance annuelle hongroise était estimée à 5,5 % par la Commission européenne, une croissance inférieure aux années précédentes mais bien plus grande que celle prévue en 2023 par la Banque nationale hongroise (MNB) qui serait de 0,1%. L’ensemble des prévisions de croissance, que cela soit celle de 2022 ou celle de 2023, doit être relativisé par l’inflation constatée dès aujourd’hui. Cette dernière est, selon la MNB, de 14,7% pour l’année qui vient de s’achever, l’une des plus élevées de l’Union européenne. Les modélisations pour 2023 ne sont guère rassurantes : la MNB, soutenue par les travaux de la Commission européenne, prévoit ainsi une inflation de près de 20%. Ces deux facteurs ont déclenché une panique sur les marchés monétaires internationaux. Résultat : le forint, la monnaie nationale hongroise, qui avait un ratio de 369 forints pour 1 euro le 1er janvier 2022, s’est écroulé à 420 forints pour 1 euro en décembre de la même année. Une panique financière qui oblige la Hongrie a emprunté à un taux de 9 % contre moins de 2% pour la zone euro.

Les principales raisons de la dégradation économique du pays sont une inflation globale déclenchée par la reprise des activités économiques et industrielles post-Covid-19. L’inflation s’est ensuite aggravée par la guerre déclenchée en Ukraine par le président russe Vladimir Poutine. Mais ces facteurs globaux ne sont pas suffisants pour expliquer la situation de la Hongrie, cette dernière est aussi affectée par deux éléments économiques particuliers : une dépendance élevée aux ressources énergétiques russes et le gel des fonds européens destinés à la Hongrie par les institutions européennes.

La République hongroise a organisé dans les années 2000-2010 sa dépendance aux énergies fossiles et bon marchées proposées par le voisin russe, à l’image de l’Allemagne de Gerhard Schröder ou dans une moindre mesure l’Italie de Silvio Berlusconi. Ces choix étaient globalement admis en Europe voir encouragés par les institutions européennes, dans une double logique de libre-échange et de pacification des relations russo-européennes par le commerce. Il fallut attendre le 24 février 2022 pour que cette politique soit remise en question, bien évidemment dans la panique. La Hongrie de Viktor Orban s’est alors opposée à l’introduction de sanctions économiques pouvant affecter directement l’économie de son pays, à l’image des réticences sur le boycott du gaz russe ou du prix plafond sur les énergies fossiles proposées par la Commission européenne. Le pays était en effet considéré en 2020 par Eurostat comme le plus exposé aux risques des arrêts de livraison du gaz russe, notamment à cause de la part de ce gaz venu de l’Est dans le mix énergétique hongrois. La guerre en Ukraine a fait s’envoler les prix de l’énergie et en particulier celle provenant de la Russie belliciste. La dépendance de la Hongrie est alors devenue l’ennemi numéro un de son économie.

Le gouvernement magyare doit également faire face au choix proposé par la Commission européenne et voté par le Conseil européen de geler les fonds qui lui étaient destinés. Depuis le vote à l’unanimité de 2020, l’exécutif européen possède un instrument lui permettant de geler, voire de suspendre définitivement, les fonds européens et ceux provenant du fonds de relance NextgenerationEU destinés à un État membre qui ne respecterait pas les valeurs fondamentales de l’UE. Selon la Commission européenne, après une décision de la Cour de Justice de l’Union européenne, la Hongrie et son gouvernement ne respecteraient plus ces valeurs libérales, notamment par la volonté affichée du Premier ministre Viktor Orban d’instaurer une « démocratie illibérale » dans son pays. Le Conseil a donc décidé de geler une partie des fonds destinés à la Hongrie, les suspendant à 27 réformes portant notamment sur l’indépendance de la justice et de la garantie de transparence quant à l’utilisation des fonds. Un bras de fer s’est donc engagé entre d’une part le gouvernement Orban et d’autre part les institutions européennes quant à la disponibilité de ces mêmes fonds. L’enjeu est de taille puisque 55% des 28 milliards destinés à la Hongrie ont été gelés en décembre 2022, soit près de 10% du PIB hongrois.

Cette perturbation économique a fait resurgir le débat sur l’adoption de l’euro comme monnaie alors que Budapest utilise encore sa monnaie nationale, le forint. Toutefois, économiquement parlant, la Hongrie est loin de respecter les critères de convergence nécessaire à l’introduction de la monnaie unique. Son inflation est l’une des plus élevée de l’UE, sa monnaie vacille face à un euro déjà affaiblie sur la scène internationale, le déficit budgétaire se creuse et atteint aujourd’hui 7% du PIB, et enfin, la Hongrie ne fait toujours pas partie du Mécanisme de taux de change européen II (MCE II).

Une décision politique freinée par un manque de confiance en l’intégration européenne

Bien que l’adoption de l’euro soit aujourd’hui compromise par la situation économique du pays, la situation était différente dans les années 2010. En effet, au début de cette décennie, le pays bénéficiait des bienfaits de son adhésion à l’UE et de sa souveraineté retrouvée après 50 ans d’occupation soviétique. Le pays respectait pratiquement l’ensemble des critères de convergences nécessaires à l’adoption de l’euro. Toutefois, l’adoption de l’euro est une décision avant tout politique, comme le montre l’introduction de la monnaie unique en Grèce ou en Croatie, pays qui ne respectent pas (encore) l’ensemble des critères.

Le gouvernement magyar, quant à lui, ne fait pas exception et n’a pas considéré opportun la prise d’une telle décision. Depuis les élections législatives de 2010, le pays est dirigé par le gouvernement ultra-conservateur et eurosceptique du Fidesz de Viktor Orban. Depuis 2010, et jusqu’à aujourd’hui, le gouvernement oscille entre déclarations favorables à un horizon dans la zone euro et discours anti-intégration européenne. L’adoption de l’euro est en effet perçue par une double lunette : d’une part l’euro est considéré comme un élément de stabilité monétaire et d’opportunité économique, et d’autre part comme un instrument affectant la souveraineté nationale et menaçant la compétitivité économique du pays.

L’euro est en effet perçu par les Magyars comme une opportunité qui pourrait toutefois porter atteinte à la souveraineté monétaire du pays ainsi qu’un instrument qui déclencherait une hausse incontrôlable des prix. Ce dernier élément fait d’autant plus frémir la population que celle-ci est aujourd’hui soumise à une inflation exponentielle affectant directement la vie quotidienne des Hongrois.

L’adoption de l’euro : une nécessité finalement juridique et politique

Alors que le présent comme le futur proche semble se couvrir de nuages noirs, la Hongrie est encore et toujours obligée légalement d’adopter l’euro, comme indiqué dans le traité de Maastricht. Dès lors, la Hongrie est tenue légalement de se rapprocher des critères de convergence et in fine d’adopter l’euro comme monnaie.

De plus, la population hongroise est aujourd’hui majoritairement favorable à l’adhésion de leur pays à la zone euro. Ce sont ainsi près de 60% de Hongrois qui sont favorables à l’adoption de la monnaie commune par leur pays. Ils sont toutefois divisés sur la bonne échéance quant à cette adoption. Alors que certains privilégient un délai réduit au maximum, c’est-à-dire dès que la Hongrie satisfera les critères de convergence, d’autres émettent des réserves notamment sur l’augmentation des prix et surtout sur la possible perte de concurrence de leur pays. Ainsi, ces derniers considèrent que la décision doit être prise lorsque l’économie hongroise sera « prête ». Pour Tibor Navracsics, ministre des affaires européennes du gouvernement Orban, « l’adoption [de l’euro] doit être faite quand l’économie sera suffisamment développée ». D’autres responsables ont indiqué que l’adoption ne pourrait être faite avant que la Hongrie ne soit au même niveau de développement que ses partenaires, notamment allemand ou français.

De fait, le gouvernement de Viktor Orban réussit aujourd’hui à maintenir une position ambivalente respectant d’une part son euroscepticisme et d’autre part les aspirations populaires pour l’euro, véritable obligation juridique. Le Fidesz et ses idées étant encore aujourd’hui très populaires en Hongrie - comme l’ont démontré les dernières élections, cela malgré les irrégularités constatées par plusieurs organismes indépendants – l’adoption de l’euro n’est pas à prévoir dans les prochaines années. Toutefois, l’appétence hongroise pour la monnaie unique ne semble pas se tarir et obligera à terme le gouvernement à prévoir très concrètement le remplacement du forint par l’euro.

Cet article fait partie de la série du Taurillon Alter Euro, une série qui a pour but d’explorer les différents Etats membres de l’Union européenne n’ayant pas encore adopter l’euro ainsi que leurs raisons.

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