La devise nationale de la république hellénique est Elefthería í thánatos (la liberté ou la mort). Si la zone euro disposait d’une devise, celle-ci devrait être « la solidarité ou la mort ». La crise des dettes souveraines en Europe a en effet révélé les failles originelles de l’UEM et en particulier le manque de solidarité des pays membres lorsque l’un d’entre eux subit un choc asymétrique. Si elle a failli entraîner l’effondrement de la monnaie unique, la crise a aussi permis une prise de conscience des dirigeants européens pour davantage d’intégration économique, comme en témoigne la création du mécanisme européen de stabilité (MES) en 2012 ou le lancement de l’union bancaire en 2014. Ces avancées se sont faites très souvent dans l’urgence de la situation et par conséquent nécessitent des ajustements sur le plan économique comme sur le plan du contrôle démocratique. Les 3 propositions développées dans le présent article pour une zone euro dynamique et durable tentent de répondre à cette gageure.
Un budget de la zone euro
Une capacité budgétaire pour les 19 pays partageant l’euro est nécessaire. Les situations économiques de ces pays sont différentes et peuvent donc subir inégalement les chocs liés aux crises. Pour contenir ces risques non négligeables pour la cohésion d’une zone monétaire, des transferts budgétaires vers les pays touchés par une crise sont indispensables. Ces transferts proviendraient d’un budget alimenté par les États membres via un impôt collecté au niveau de la zone euro. La manière de financer est importante car elle supprime les notions tant controversées de « contributeurs et bénéficiaires nets » présentes dans le budget de l’Union européenne. La négociation de ce dernier tous les 7 ans donne lieu à d’intenses négociations de la part des États membres pour en tirer le maximum d’avantages tout en limitant le plus possible leur contribution. Cela explique aussi pourquoi le budget de l’UE est si faible (1% du PIB de l’Union). Avec un impôt (partiellement) communautarisé au niveau de la zone euro, le budget serait suffisamment important pour opérer des aides budgétaires dans des pays souffrant de chocs asymétriques.
Cette idée a bien sûr de nombreux détracteurs. Selon un argument répandu, notamment chez les décideurs politiques allemands, un filet de sécurité conséquent favoriserait les comportements de « passager clandestin », car un pays qui ne maîtriserait pas sérieusement ses finances publiques serait de toute manière aidé en cas de crise. Cette approche non solidaire de la politique économique de la zone euro a compromis sérieusement la survie de la monnaie unique dans les premières années de la crise. Après d’âpres négociations entre la France et l’Allemagne, le Mécanisme Européen de Stabilité (MES) est mis en place en 2012. Cet instrument est un premier pas vers une solidarité budgétaire malgré des réformes nécessaires pour son fonctionnement et le mode d’attribution des aides [1].
L’harmonisation fiscale dans l’Union Européenne
Puisqu’il s’agit ici de financer le budget de la zone euro par un impôt collecté au niveau de celle-ci, la question de l’harmonisation fiscale se pose. La tâche paraît particulièrement ardue car les systèmes fiscaux, à l’instar des systèmes sociaux, sont le reflet des traditions différentes de la formation des États européens et sont donc particulièrement ancrés et difficiles à changer.
Une action coordonnée au niveau européen a néanmoins été initiée à l’occasion de la mise en place de l’acte unique en 1987 pour la TVA avec notamment un taux minimal de 15% dans l’Union européenne et dans la zone euro. Les autres impôts et notamment ceux concernant les ménages, les entreprises et leurs patrimoines doivent connaître la même évolution, d’autant plus que la libéralisation totale des mouvements de capitaux dans le marché unique renforce le dumping fiscal notamment pour attirer les revenus des plus riches et les profits des grandes entreprises, qui sont les flux de capitaux les plus mobiles. Cette situation accentue la pression fiscale sur les ménages les plus pauvres et les PME.
Plusieurs manières d’envisager ce mouvement de convergence des systèmes fiscaux sont possibles. La solution la plus simple à l’heure actuelle serait une coordination fiscale sous la forme d’une assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés (ACCIS). Ce système permettrait de comptabiliser le bénéfice taxable des entreprises au niveau européen puis serait réparti en fonction des chiffres d’affaires, des investissements et des facteurs de production de ces entreprises dans les pays membres, peu importe le taux d’imposition de ces derniers. Ce projet d’ACCIS a été relancé par la Commission Européenne en octobre 2016, ce qui représente un bon début d’harmonisation [2].
Une solution plus ambitieuse serait d’harmoniser directement les taux d’imposition des entreprises mais aussi des ménages ainsi que de leurs patrimoines. La pression des lobbys et la réticence des petits États aux régimes fiscaux avantageux, comme l’Irlande ou les Pays-Bas, sont néanmoins des obstacles pour le moment difficilement surmontables.
Un système de péréquation entre les pays partageant l’euro
La péréquation est un système fondamental dans les États fédéraux mais aussi unitaires comme la France. Il s’agit d’un mécanisme de redistribution d’impôts entre l’État central et les entités fédérées (dans le cas d’un État fédéral) ou les collectivités locales (dans le cadre d’un État comme la France) ou bien entre ces subdivisions administratives.
Alors que le budget de la zone euro aurait pour but de réduire les déséquilibres conjoncturels (en fonction de la situation économique du moment), la péréquation instaurée dans la zone euro devrait corriger les déséquilibres structurels des économies européennes (les différences dues à la qualité des infrastructures, à l’investissement, à la productivité des travailleurs, etc.). Le but principal de ce système de péréquation serait d’accélérer le mouvement de convergence des économies dans la zone euro (la convergence étant dans ce contexte l’harmonisation des indicateurs macroéconomiques comme le PIB par habitant, le taux d’inflation ou de chômage).
L’application de cette péréquation pourrait elle aussi prendre différentes formes. En l’absence d’un État fédéral européen (et ce n’est pas demain la veille qu’il sera créé), la péréquation serait horizontale sous la forme de transferts des États les plus riches vers les États les plus pauvres comme le système allemand du Länderfinanzausgleich.
La péréquation pourrait aussi se mettre en place à l’échelon inférieur, au niveau des régions. Les fonds structurels comme le FEDER, le Fonds de cohésion et le Comité des régions peuvent servir de base pour créer un système plus ambitieux. L’avantage serait de mieux répondre aux objectifs de convergence (l’écart de développement entre les régions de l’UE et de la zone euro se résorbe moins vite que l’écart entre les pays membres) [3]. Il faudrait néanmoins remettre à plat la politique régionale européenne, davantage portée vers la concurrence entre les territoires que vers la réduction des déséquilibres.
Il apparaît de plus en plus clair que l’Union Économique et Monétaire (UEM) ne peut pas survivre à long terme sans des mécanismes de solidarité budgétaire. L’efficacité des transferts aux États-Unis entre l’État fédéral et les états fédérés sont une preuve de plus du bien-fondé de cette politique. Malgré l’institutionnalisation des politiques d’austérité, la solidarité a progressé dans la zone euro avec le MES, les réflexions sur l’harmonisation fiscale ou l’importance croissante de la politique régionale européenne. Pour rendre la zone euro résiliente aux crises futures, il faudra impérativement mobiliser plus de moyens financiers et impliquer les institutions démocratiques nationales et le Parlement Européen, largement laissés de côté jusqu’à présent.
1. Le 8 juin 2017 à 14:41, par Alain En réponse à : Zone euro : la solidarité ou la mort !
Désolé mais c’est une collection d’âneries :
– une imposition directe par l’Europe ferait disparaître la notion de contributeurs et bénéficiaires ? on aura forcément les recettes par pays et les dépenses par pays et le maintien de cette notion qui est d’ailleurs une exigence de la transparence dont se vante tant l’UE
– une taxe européenne en plus des taxes nationales, car qui peut croire qu’un impôt national sera diminué ou supprimé ?
– quand on parle de budget, c’est pour quel usage ? personne n’en parle car personne ne sait quels types de dépenses permettraient une égalisation des conditions économiques
– une solidarité et une péréquation européenne ? Outre que c’est financièrement hors de portée (je me souviens de calcul disant que cela représenterait un effort de 8% du PIB pour l’Allemagne alors que la plupart des pays ne sont même pas capable de consacrer 1% de leur PIB à aider les pays en voie de développement encore plus faibles que les plus faibles des Européens) ? Alors que les Flamands rechignent aux transferts vers leurs compatriotes wallons, les Italiens du Nord aux transferts vers les Italiens du Sud ?
– comment une « union » dont le mot d’ordre est la concurrence libre et non faussée pourrait être solidaire ce qui est l’antinomie de la concurrence ?
Et tout cela pour maintenir au mépris du simple revenu de survie des plus faibles l’outil de propagande qu’est l’euro ?
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