Zig-ZAD en Europe

, par Hadrien Bajolle

Zig-ZAD en Europe
« Au départ les revendications des zadistes sont ultra locales mais elles se doublent assez rapidement d’enjeux plus globaux, comme le réchauffement climatique par exemple. L’idéologie des zadistes est inspirée par trois courants principaux : les mobilisations paysannes d’abord comme celles auxquelles on a pu assister dans le Larzac des années 1970. » - Squat Le Monde (CC/Flickr).

Ils se situent à la fois dans la société et en dehors, défendent des causes ultra locales et en même temps globales. Anarchistes ou utopistes, vrais écolos ou juste marginaux, les zadistes sont une mouvance difficile à cerner. Pourtant, ces mouvements d’occupation illégale des grands projets d’aménagement du territoire se multiplient partout en Europe. Symboles de quoi ? D’une attention accrue pour la défense de l’environnement ? D’un désir d’émancipation vis-à-vis de décisions trop verticales, décidées par des élites trop éloignées des territoires ? Ou simplement d’une Europe en crise qui ne laisse à certains d’autre issue que celle de l’errance ? Enquête sur le nouveau visage de la radicalité politique.

Notre Dame des Landes, juin 2015

En entrant dans la ZAD - l’acronyme administratif pour Zone d’Aménagement Différé, détourné par les militants en Zone A Défendre - on remarque d’abord les débris calcinés et les restes de barricades qui jonchent la départementale D42, barrée depuis plusieurs années par les zadistes. A intervalle régulier s’élèvent quelques miradors de fortune sur lesquels s’écrivent en lettres noires incertaines des slogans anarchistes. Des champs, certains bien cultivés, la plupart en jachère, des abris en tôle rudimentaires, quelques vieilles maisons en pierre, plusieurs fermes et 200 occupants permanents. Pas d’eau courante, l’électricité quand les générateurs ne sont pas en panne. Ici s’étend sur 2000 hectares l’une des plus anciennes ZAD de France, en tout cas la plus connue. Depuis plus de 40 ans, les zadistes y ont organisé la lutte contre la construction d’un aéroport international en plein bocage, en occupant les lieux. Mais il n’y a pas qu’un seul Notre Dame des Landes. Partout en Europe, comme à Sivens, en France, le long de la ligne de TGV Lyon-Turin, aux abords de la mine d’or à ciel ouvert de Rosia Montana en Roumanie ou de celle de la forêt d’Hambach en Allemagne, les zadistes contestent l’ordre établi.

Les ZAD ont en commun la lutte contre ce que les zadistes appellent les GPII pour « Grands Projets Inutiles et Imposés » : un barrage à Sivens, un tunnel ferroviaire entre Lyon et Turin, des mines, des routes, des bâtiments publics.

Luttes locales, portée globale

Mais quel point commun peuvent bien avoir ces luttes très locales, dont les motivations s’apparentent à ce que les Anglo-Saxons appellent des mouvements nimby (pour « not in my backyard » ) ?

« A chaque fois, le processus est le même explique Pierre Decharte, jeune journaliste travaillant sur le sujet : lorsqu’un projet est décidé, les premiers à lutter sont souvent les habitants des lieux. Ils se battent pour défendre leurs lieux d’habitation sans forcément trop d’idéologie derrière. Mais ce genre de luttes très locales peut rapidement prendre une ampleur nationale et même dépasser les frontières. J’ai par exemple vu pas mal de manifestations contre la mine de Rosia Montana dans la capitale, Bucarest, pourtant située à plus de 400km. Les militants qui s’investissent à ce moment-là sont souvent plus engagés politiquement, souvent à gauche ou chez les écolos, parfois dans des mouvances anarchistes ». Des propos confirmés par Sylvie Ollitrault, directrice de recherche au CNRS et professeur à Sciences Po Rennes : « au départ les revendications des zadistes sont ultra locales mais elles se doublent assez rapidement d’enjeux plus globaux, comme le réchauffement climatique par exemple. L’idéologie des zadistes est inspirée par trois courants principaux : les mobilisations paysannes d’abord comme celles auxquelles on a pu assister dans le Larzac des années 1970. Il y a également une dimension libertaire qui est très forte, marquée par la rupture avec l’Etat, le capitalisme. Enfin, plus récemment on voit apparaître une culture de l’opposition violente aux forces de l’ordre ».

« Lorsqu’un projet est décidé, les premiers à lutter sont souvent les habitants des lieux. Ils se battent pour défendre leurs lieux d’habitation sans forcément trop d’idéologie derrière. Mais ce genre de luttes très locales peut rapidement prendre une ampleur nationale et même dépasser les frontières. »

Difficile pourtant de généraliser, tant les enjeux, les terrains, les manières de lutter diffèrent selon les ZAD. « En France, on a le cliché de mecs très alternatifs qui peuvent lâcher leur boulot du jour au lendemain et occupent physiquement les ZAD nuit et jour. Mais ce n’est pas le cas partout. A Rosia Montana, il n’y a pas d’occupation réelle des lieux. Les gens se rendent sur place occasionnellement pour empêcher le bon déroulement des travaux. Le rapport à la violence est également différent selon les contextes. Il y a une culture de l’affrontement en France et en Italie, ce qui était moins vrai en Roumanie par exemple » selon Pierre Decharte.

Manifestation à Nantes contre l’aéroport de Notre Dame des Landes en octobre 2013. - Non à l’aéroport Notre-Dame-des-Landes (CC/Flickr).

Anarchie ou utopie ?

« Le rapport à la violence est également différent selon les contextes. Il y a une culture de l’affrontement en France et en Italie, ce qui était moins vrai en Roumanie par exemple »

Pour Sylvie Ollitraut, « il y a depuis longtemps des mouvements écologistes radicaux. Ce qui est nouveau en revanche c’est le fait qu’une vie collective s’organise autour des lieux occupés avec une démarche contre-culturelle ». De fait, de nombreuses ZAD se sont peu à peu transformées en laboratoires pour de nouvelles idées d’organisation politique et économique. A Notre Dame des Landes par exemple, la ZAD produit elles même certaines denrées comme du pain ou du fromage qui sont vendus à prix libres par et pour les occupants. Sur certaines parcelles les zadistes font des essais de permaculture et d’agroécologie. Au niveau politique, ils tentent de mettre en place des institutions plus démocratiques que celles du dehors.

Entre les différentes ZAD, des passerelles existent, créant de nouveaux types de solidarités qui ne sont plus réellement « transnationales » mais « translocales ». C’est le rôle notamment du Forum européen contre les Grands Projets Inutiles et Imposés dont la deuxième édition s’est tenue à Turin en mars dernier. Mais ces tentatives de mise en place de sociétés alternatives se heurtent au refus de toute organisation de type hiérarchique.

Mirador des zadistes sur le site de l’aéroport de Notre Dame des Landes. - Squat Le Monde (CC/Flickr).

Parce qu’elles sont dénuées de leadership clair, les ZAD sont souvent des lieux extrêmement conflictuels où la prise de décision est particulièrement compliquée. Les initiatives collectives sont rares et aboutissent la plupart du temps à des résultats décevants. A cela, il faut ajouter la grande diversité des zadistes. Car sous ce nom générique se cache en réalité une grande hétérogénéité : les occupants des lieux d’abord, souvent agriculteurs, des idéologues, des révolutionnaires professionnels œuvrant de ZAD en ZAD en fonction des opérations de police. Des marginaux enfin, souvent drogués ou alcooliques, attirés par ces zones de non droit après un long parcours d’errance. Unir un public si différent autour de projets communs relève de la gageure.

Force d’exemple

Alors les ZAD ne sont-elles que des utopies, qui comme toutes les utopies finiront au cimetière des idées ? Peut-être. Mais leur simple existence sert de révélateur aux failles de nos sociétés. Elles pointent les faiblesses des procédures censées impliquer les populations dans les décisions d’aménagement mais qui sont trop souvent perçues comme un prétexte pour justifier des choix décidés à l’avance. Elles montrent les carences d’un système représentatif qui ne sait plus représenter grand monde, au point que certains préfèrent exprimer leur citoyenneté davantage par l’occupation que par leur vote. Elles sont enfin le symptôme du grand vide idéologique dans lequel est plongé notre génération : entre partis de gouvernement simplement préoccupés par la gestion quotidienne et gauchisme moribond, que reste-t-il à ceux qui croient que la politique peut encore changer le monde et qui refusent les thèses à la mode de l’extrême droite ? Et si l’écologie radicale était le refuge des derniers idéalistes ?

Barricades sur le site de l’aéroport de Notre Dame des Landes. - Squat Le Monde (CC/Flickr->https://www.flickr.com/photos/jey-oh/13869018744/]).

Cet article a été publié dans l’édition parisienne du Taurillon, le Taurillon en Seine.

Pour aller plus loin : – ZAD partout, édition l’insomniaque Montreuil, 2013. – Le petit livre noir des Grands Projets Inutiles, édition Le Passager Clandestin. – L’interview « Des ZAD, mais pourquoi faire ? » de Nicolas Haeringer sur le Monde.fr – Le blog Les Echos du vent qui donne un bon aperçu de la diversité des luttes écologistes en France et en Europe : https://lesechosduvent.wordpress.com/ – Le projet EJOLT qui propose une cartographie des controverses environnementales dans le monde. http://ejolt.org/

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