Vote d’investiture : le paradoxe espagnol

, par Timothée Houzel

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Vote d'investiture : le paradoxe espagnol
A gauche, le leader de Podemos, Pablo Iglesias A droite, le chef du gouvernement sortant, Pedro Sanchez Photo : Flickr - La Moncloa - Gobierno de Espana - CC BY-NC-ND 2.0

A la tête du gouvernement espagnol depuis juin 2018 à la suite d’une motion de censure à l’encontre de Mariano Rajoy, sorti vainqueur des élections législatives d’avril 2019 tout en ne disposant pas d’une majorité absolue, Pedro Sanchez doit faire face à sa reconduite à la tête du gouvernement lors d’un vote d’investiture ce 23 juillet. Celui-ci a des chances de ne pas aboutir et pourrait plonger l’Espagne - si l’impasse se prolongeait après l’échec d’un second vote - dans une paralysie qu’elle n’a jamais connu depuis près de 40 ans. Une telle situation serait paradoxale tant, sur la scène politique européenne, l’Espagne renforce son rôle stratégique et cherche à influencer l’agenda politique des années à venir.

Une impasse politique, symbole de la fin du bipartisme espagnol

Le Parti socialiste espagnol (PSOE), malgré sa victoire lors des élections législatives de juin 2018, ne dispose que de 123 députés sur 350. Si depuis le mois d’avril, l’activité parlementaire est inexistante - aucune session plénière n’ayant eu lieu -, les tractations n’ont pas cessé pour tenter de trouver une majorité impossible lors du vote d’investiture chargé de reconduire Pedro Sanchez à la tête du gouvernement. Seulement, à quelques jours du vote, Sanchez ne dispose d’aucun allié :

L’option PSOE - Podemos (le parti de gauche radicale représentant 42 sièges) a échoué, après que Pedro Sanchez, refusant un gouvernement de coalition, ait annoncé une rupture unilatérale des négociations le 15 juillet dernier. Podemos exigeait en effet d’entrer au gouvernement en échange de leur soutien. Ce refus s’explique pour trois raisons principales :

  • Une telle coalition aurait suscité une forte opposition des autres partis, empêchant Sanchez de dégager une majorité suffisante, alors qu’une telle option n’aurait pas suffi à atteindre une majorité absolue (165 sièges contre 176 sièges) ;
  • Podemos aurait cherché à infléchir les priorités socialistes, en s’éloignant notamment du respect des critères budgétaires européens ;
  • Sur la question de la Catalogne, les deux partis sont divisés, les socialistes étant partisans d’une fermeté à l’égard des séparatistes tandis que Podemos se montre bienveillant et défend la possibilité d’un référendum d’autodétermination.

En renonçant le 19 juillet à un portefeuille au sein du gouvernement, Pablo Iglesias, le secrétaire général de Podemos, a permis une relance in extremis de négociations qui ne sont toutefois pas certaines d’aboutir avant le vote d’investiture.

L’option PSOE - Ciudadanos (le parti de centre-droit représentant 57 sièges) aurait permis d’obtenir une majorité absolue, mais, d’une part, Ciudadanos refuse toute alliance avec le PSOE, d’autre part, le PSOE remet en cause les tractations tenues suite aux élections municipales et régionales de mai dernier, qui ont vu des alliances se former entre Ciudadanos et le PP avec le soutien de Vox.

A la veille d’un vote décisif, Pedro Sanchez a présenté son programme de gouvernement aux parlementaires, en les appelant “à la solidarité et la générosité”. S’il n’a pas présenté la composition du gouvernement qu’il souhaite faire investir aujourd’hui, il évoque toutefois vouloir mener une coalition gouvernementale “progressiste, féministes et écologiste”.

Un premier vote se tient aujourd’hui, le 23 juillet, requérant une majorité absolue introuvable pour Sanchez. En cas d’échec, un second vote se tiendra le 25 juillet, requérant une majorité simple de voix. L’abstention du Parti conservateur espagnol (PP) et de Ciudadanos pourrait ainsi permettre à Sanchez d’obtenir une majorité simple en comptant les voix de Podemos et de certains partis régionalistes. Toutefois, en cas de blocage et de majorité introuvable, le Parlement devra être dissous, et de nouvelles élections générales seraient convoquées en novembre.

Une telle situation est caractéristique d’une scène politique espagnole fragmentée et déséquilibrée, ayant vu l’apparition de trois nouveaux partis : l’ultra-droite de Vox en 2013, la gauche radicale de Podemos et les libéraux de Ciudadanos en 2014. Ces partis viennent concurrencer le bipartisme traditionnel qui voyait alterner le PP et le PSOE depuis la fin de la dictature, tout en fragmentant les suffrages, rendant de facto plus difficile voire impossible la recherche d’une majorité de gouvernement. Cette paralysie politique se retrouve par ailleurs au niveau local suite aux élections régionales de mai dernier, voyant s’affronter les trois partis de droite dans les régions de Madrid et Murcie, obligés de s’entendre pour élire une présidence.

Une situation nationale contrastant avec une influence croissante sur la scène politique européenne

Pedro Sanchez, sans avoir la pleine prérogative d’un gouvernement de plein exercice, reste toutefois aux manettes du pays et a su tirer profit du bon score de son parti aux dernières élections européennes pour rétablir l’Espagne dans le jeu politique européen, et ce, à deux niveaux.

Un contexte européen propice pour influencer l’agenda européen

Le Brexit n’en finissant plus de diviser les britanniques, le gouvernement eurosceptique italien isolant l’Italie sur la scène européenne, la Hollande étant moins encline à défendre l’approfondissement du projet européen, le couple franco-allemand recherchant de nouveaux partenaires, etc., l’Espagne se trouve être un partenaire privilégié pour poursuivre l’intégration européenne. Car après avoir eu un rôle passif sur la scène internationale et avoir perdu de l’influence sur la scène européenne lors de la crise des dettes souveraines, l’Espagne est désormais prête à jouer un rôle proactif sur la scène européenne. A ce titre, en mai dernier, Pedro Sanchez distribua une note en amont du sommet du Conseil européen en Roumanie, celle-ci avançant 10 priorités stratégiques pour les années à venir telles que la création d’une assurance chômage commune, d’un système européen de garantie des dépôts, d’un budget pour la zone euro, d’un trésor européen capable d’émettre une dette commune, etc.

Une volonté de renforcer la présence espagnole au sein des institutions européennes

Le PSOE sortant vainqueur des élections européennes (33 % des voix contre 20 % pour le PP et 12 % pour Ciudadanos), et disposant de la plus importante délégation de députés européens au sein du groupe socialiste - la deuxième plus importante famille politique au sein du Conseil européen comme du Parlement européen -, Sanchez se place ainsi comme le leader social-démocrate européen. Ayant réussi à obtenir à Josep Borrell, son Ministre des Affaires étrangères, l’un des quatre postes clés des institutions européennes (Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité), il sera également en mesure d’influencer les équilibres au Parlement européen. Car si les allemands ont la plus importante délégation au sein du parti démocrate-chrétien (PPE), et les français au sein du parti centriste (Renew Europe), les espagnols ont davantage de députés européens conservateurs que les français tout comme davantage de députés européens libéraux que les allemands, faisant de l’Espagne un pivot au sein de chacun des trois groupes politiques qui formeront les majorités au Parlement européen pour les années à venir.

Enfin, la proximité de Pedro Sanchez avec le Président français, avec lequel il défend l’approfondissement de la construction européenne, pose la question de la confrontation PSOE - Ciudadanos, ces derniers s’avérant être de précieux alliés du parti présidentiel français.

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