Vers plus de protection pour les lanceurs d’alerte en France

, by Adriana Dagba

Vers plus de protection pour les lanceurs d'alerte en France

Le 17 novembre dernier, les députés français ont examiné et adopté en première lecture la proposition de loi “visant à renforcer la protection des lanceurs d’alerte”. Présenté par les députés Sylvain Waserman (MoDem), Patrick Mignola (MoDem), Christophe Castaner (LREM), Olivier Becht (UDI) et Raphaël Gauvain (LREM), ce projet de loi consiste en une transposition de la directive européenne 2019/1937 en droit français.

Un approfondissement de la loi Sapin II

La loi Sapin II, votée en 2016, accordait pour la première fois un statut aux lanceurs d’alertes. Considérée à l’époque comme une avancée majeure en matière de protection des lanceurs d’alerte, elle a désormais besoin d’être renforcée. Pour cela, la France, comme les autres pays de l’Union, doit transposer dans sa législation, la directive européenne “sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union” avant la fin de l’année 2021.

La proposition de loi vise à mieux protéger les lanceurs d’alerte et s’imposera à toutes les entreprises comptant plus de 50 employés. D’abord, elle étend la définition de lanceurs d’alerte : alors que dans la loi Sapin, il se devait d’agir “de manière désintéressée”, l’article 1 retire cette “notion ambiguë de désintéressement” et la remplace par l’explicite “sans contrepartie financière directe”.

Elle protège aussi les lanceurs d’alerte des représailles et procédures baillons. Il s’agit généralement de pratiques professionnelles ou judiciaires mises en place par l’entreprise ou l’organisation visée par les révélations, dans le but d’intimider, dissuader ou nuire au lanceur d’alerte. Elles prennent des formes diverses: mise à pied, harcèlement, pressions, inscription sur liste noire ou pertes financières, notamment via l’implication dans de nombreuses procédures juridiques coûteuses.

Justement, pour pallier l’aspect financier, le projet de loi prévoit une aide financière aux whistleblowers (autre nom pour lanceur d’alerte) qui, sur ordre du juge, pourront voir leurs frais de défense imputés à l’attaquant. C’est ce qu’énonce Sylvain Waserman, député LREM du Bas-Rhin et rapporteur de ce projet de loi, au micro d’Europe 1.

Une protection qui n’est pas sans limites

Malgré ces avancées, le projet de loi présente encore plusieurs failles. En effet, il demande au lanceur d’alerte de signaler ses intentions avant de divulguer les informations qu’il détient. Pour cela, il peut avoir recours à des canaux internes ou externes. Autrement dit, un lanceur d’alerte souhaitant bénéficier de la protection introduite dans le projet de loi, doit nécessairement prévenir l’entreprise qu’il compte compromettre ou les autorités nationales compétentes, qui auront jusqu’à 6 mois pour traiter son signalement. Une position délicate qui risque de ne pas encourager les dénonciations.

Par ailleurs, un lanceur d’alerte transgressant un secret d’État, ne sera pas protégé non plus. Ainsi, “les faits, informations ou documents (...) couverts par le secret de la défense nationale, le secret médical, le secret des délibérations judiciaires, le secret de l’enquête et de l’instruction ou le secret des relations entre un avocat et son client, sont exclus du régime de l’alerte”. Face à ce qui peut sembler être un garde-fou politique, le député Sylvain Waserman répond: “ces secrets ont des dérogations dans le droit et dès lors qu’une dérogation existe, alors ce champ est ouvert aussi aux lanceurs d’alerte ”.

Une réplique insuffisante voire inquiétante dans un contexte où la France est sous le coup d’une affaire d’État suite aux révélations de Disclose qui s’appuie justement sur des documents confidentiels de la Direction du renseignement militaire français (DRMF).

Comment s’en sortent nos voisins européens?

En jetant un œil chez nos voisins européens, on s’aperçoit que tous n’en sont pas au même point sur la transposition de la directive 2019/1937 dans leurs législations.

Les États membres disposent d’une marge de manœuvre dans l’application de cette directive et peuvent y inclure des spécificités nationales. Par exemple, en France, comme dans 12 autres pays de l’UE, la participation citoyenne a été prise en compte dans le processus de création du projet de loi. Ainsi, en Espagne, la fin du mois de janvier 2021 clôturait la période de consultation publique permettant aux citoyens espagnols de donner leur opinion sur le projet de loi. Après avoir été débattu au Congrès et que l’idée d’une autorité indépendante chargée de collecter et répondre aux dénonciations de lanceurs d’alerte ait émergé, le ministère de la justice travaille toujours sur le projet de loi qui doit encore passer par le Conseil des ministres. L’Espagne semble donc connaître un léger retard dans la transposition de cette directive.

Et ce n’est pas la seule : le gouvernement italien n’évoque absolument plus la question depuis l’expiration, début août, de la délégation parlementaire chargée de préparer le projet de loi. Selon un article du Fatto Quotidiano, le pays ne respectera pas les délais et “rien ne sera fait avant début 2022”.

Que se passe-t-il si la directive n’est pas transposée à temps?

Si un État membre dépasse la date limite du 17 décembre 2021 pour transposer la directive, la Commission européenne peut engager une procédure formelle d’infraction. Suite au recensement d’infractions au droit de l’Union dans un pays, la Commission peut lancer cette procédure en plusieurs étapes. Elle commence par demander de plus amples informations au pays concerné qui peut finir par être sanctionné par la Cour de justice de l’Union européenne.

Dans le cas italien, il est plus probable qu’une période d’extension soit accordée par l’institution européenne selon Giorgio Fraschini, responsable du whistleblowing chez Transparency International Italia, une ONG qui lutte contre la corruption. En revanche, la directive s’applique quand même dans un État retardataire, en attendant d’être totalement transposée.

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