Son nom ne figurait pas parmi les choix les plus probables. Et pourtant, Ursula Von der Leyen, actuelle ministre allemande de la défense, sera la prochaine Présidente de la Commission européenne… à condition que le Parlement européen vote en sa faveur le 16 juillet. Cette nomination par les chefs d’Etat et de gouvernement du Conseil européen pourrait être le dénouement d’une longue période de tractation pour choisir le successeur de Jean-Claude Juncker. Cette proposition semble être un compromis franco-allemand, acceptée par les autres pays de l’Union européenne. Peut-on de ce fait parler d’une victoire de Paris et Berlin ? Il serait plutôt bien plus pertinent d’évoquer une défaite de la démocratie européenne…
Européenne revendiquée
Ursula Von der Leyen a pourtant un profil européen assumé. Née Ursula Albrecht à Bruxelles en 1958, elle fréquente dès le début des années 1960 l’école européenne d’Ixelles, ce qui lui vaut d’être parfaitement bilingue français – allemand. Plus tard, ses études à la London School of Economics puis à l’Université de Stanford en Californie lui ont permis d’acquérir une excellente maîtrise de l’anglais. Pouvoir parler les trois langues de travail de l’Union européenne est assurément un point fort, en particulier par rapport au Spitzenkandidat du Parti populaire européen, Manfred Weber. Ursula Von der Leyen est de plus la fille d’Ernst Albrecht, ancien ministre-président de Basse-Saxe, après une grande carrière européenne à la CECA et à la Commission européenne.
Mais c’est surtout son expérience politique qui a fait la différence : contrairement à Manfred Weber, Ursula Von der Leyen a eu plusieurs mandats électifs au niveau régional et fédéral. En 2001, onze ans après son adhésion à la CDU, elle obtient un premier mandat électif à l’assemblée régionale de Hanovre, la capitale du Land de Basse-Saxe, puis est élue députée au Landtag (l’assemblée de ce même Land) deux ans plus tard, ce qui lui permet de devenir ministre régionale des affaires sociales. Elle est rentrée au gouvernement fédéral en 2005, lors de la première victoire électorale d’Angela Merkel, d’abord en tant que ministre de la famille, puis du travail et des affaires sociales en 2009 et enfin de la défense en 2013.
Durant toute sa carrière politique, Ursula Von der Leyen n’a cessé de se considérer comme francophile et pro-européenne. Le renforcement du couple franco-allemand lui est fondamental, « La France et l’Allemagne ne sont pas seulement le cœur mais aussi le moteur de l’idée européenne » déclarait-elle pour les 50 ans du traité de l’Elysée en 2013. Pour l’Europe, elle a plaidé plusieurs fois pour des « Etats-Unis d’Europe » et pour notamment la création d’une véritable armée européenne, à l’heure où Donald Trump remet systématiquement en cause le soutien américain à la sécurité européenne.
Femme politique controversée
Si le parcours académique, politique, et la conviction européenne d’Ursula Von der Leyen en fait une nomination plutôt intéressante, son bilan politique, sa popularité et sa réputation au sein du gouvernement fédéral sont plus mitigés. Tandis que des avancées positives sont à mettre à son crédit en tant que ministre de la famille (notamment concernant la politique familiale) et du travail (la réforme Hartz IV et la création d’un salaire minimum en Allemagne), son aura a commencé à décliner quand elle est devenue ministre de la défense. Les nombreux problèmes techniques de la Bundeswehr, le manque de moyens alloués et le développement de l’extrême-droite dans les rangs de l’armée lui ont valu de nombreuses critiques.
La nomination de cette proche d’Angela Merkel (c’est le seul membre du gouvernement de 2005 à être encore en poste en 2019) a de plus suscité de nombreux remous au sein de la Grande Coalition, déjà très fragilisée. Les Sociaux-Démocrates ont en effet sévèrement critiqué ce choix. Martin Schulz en particulier a fustigé que « la ministre la plus faible chez nous [au gouvernement fédéral] » est une « victoire pour Viktor Orban et compagnie ». Il est également possible que malgré l’approbation d’une large majorité des chefs d’Etat et de gouvernement, cette nomination pourrait être perçue comme un énième compromis franco-allemand (renforcé par le choix de Christine Lagarde pour la Banque centrale européenne) au détriment des citoyens des 26 autres pays membres de l’Union européenne. Le vote du Parlement européen le 17 juillet risque d’être serré, les Sociaux-Démocrates n’excluant en aucun cas de voter contre le choix du Conseil européen, malgré l’élection d’un député de leur rang pour la présidence du Parlement de Strasbourg.
Von der Leyen va devoir faire ses preuves
Tous ces obstacles imposent la plus grande prudence pour Ursula Von der Leyen, quasiment muette depuis sa nomination. La ministre allemande a rencontré Jean-Claude Juncker (qui a lui-même regretté le « manque de transparence » de la nomination de l’Allemande à la tête de l’exécutif européen [9]) et doit néanmoins entamer une campagne pour convaincre les eurodéputés, mais aussi tous les citoyens et citoyennes choqué.e.s par le non-respect du principe des Spitzenkandidat, unique innovation démocratique majeure du Traité de Lisbonne et des élections européenne de 2014. Il existe en effet un décalage dérangeant entre l’européisme revendiqué de Madame Von der Leyen et la manière fort peu démocratique de sa nomination.
Toujours est-il qu’elle va devoir diriger la Commission européenne et le Collège des commissaires dans une Union européenne a peine plus solide qu’il y a cinq ans. Si la situation économique est moins pire qu’en 2014 (malgré une nécessité toujours aussi aiguë de réformer la zone euro), le populisme eurosceptique et europhobe est toujours aussi puissant, avec une représentation non négligeable au nouveau Parlement européen. En tant que nouveau visage du Berlaymont, siège de la Commission européenne à Bruxelles, Ursula Von der Leyen va devoir s’employer à renforcer le rôle de l’Union européenne sur la scène internationale, aux côtés de Josep Borrell, le nouveau haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, et Charles Michel, le nouveau Président du Conseil européen. A l’intérieur comme à l’extérieur, les difficultés ne font donc que commencer pour elle.
1. Le 10 juillet 2019 à 14:27, par Jacques FAYETTE En réponse à : Ursula Von der Leyen, nouveau visage du Berlaymont ?
Où avez-vous vu que les Spitzenkandidaten étaient une innovation du Traité de Lisbonne ? Quant aux difficultés de Ursula von der Leyen à la tête du ministère de la défense, elles sont principalement dues à l’opposition du ministre SPD des finances d’honorer les engagements budgétaires pris par l’Allemagne auprès de l’OTAN.
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