Qui serait concerné par ce potentiel élargissement ?
L’Union Européenne a une longue tradition d’élargissement. Le Conseil de l’Union avait même déclaré en 2019 que l’élargissement « demeurait une politique essentielle de l’Union européenne ». Cependant le dernier remonte maintenant à 2013, et l’Union a même connu un départ avec le Brexit. Au premier trimestre de 2022, suite à l’invasion russe de l’Ukraine, cette dernière a déposé sa candidature à l’Union Européenne, s’en est suivi, seulement quelques jours plus tard, le dépôt des candidatures de la Moldavie et de la Géorgie. Le Conseil n’a mis que quelques mois à approuver le statut de candidat à l’Ukraine et à la Moldavie même s’il a émis l’avis que la Géorgie accéderait à ce statut « quand elle aura accompli les progrès nécessaires ».
La vitesse à laquelle le Conseil a apporté sa réponse aux trois pays de l’est à relancé le débat concernant l’adhésion de plusieurs pays des Balkans occidentaux qui sont bloqués dans la procédure depuis plusieurs années. La Bosnie-Herzégovine qui avait introduit une demande d’adhésion à l’UE en 2016, ne s’est vue accorder le statut de candidat que fin 2022, soit après la Moldavie et l’Ukraine. Le Monténégro, la Serbie, l’Albanie et la Macédoine du Nord disposent également du statut de candidat officiel. Un sixième pays de la région, le Kosovo, a présenté sa candidature fin décembre 2022. Ce dernier n’est cependant pas reconnu officiellement par tous les Etats membres de l’UE. Selon Eleonora Poli, chercheuse au CEP à Rome, il existe une « une influence extérieure dangereuse et un jeu de pouvoir dans la région » des Balkans occidentaux. L’Arabie Saoudite, la Chine ou encore la Russie se livrent activement à une guerre d’influence dans la région. D’après la chercheuse, « l’UE signalerait qu’elle n’est pas assez forte pour agir en tant que puissance régionale cohésive si elle retardait l’intégration de certaines parties de sa propre région géographique ».
Une question qui divise les Etats membres
Fin Août, en Slovénie s’est tenu le Forum stratégique de Bled. Charles Michel, président du Conseil européen, y a prononcé un discours sur l’élargissement de l’Union européenne à l’Est et aux Balkans occidentaux. Il y a évoqué un horizon 2030 pour un prochain élargissement. Le couple franco-allemand s’est prononcé en faveur de cet élargissement sous réserve que des réformes institutionnelles aient eu lieu au sein de l’UE. « 2030 pourrait être une année d’élargissement, si toutes les parties mettent en œuvre les réformes nécessaires » et « L’adhésion de nouveaux membres est dans l’intérêt de l’UE et la rendra plus forte, plus stable et plus sûre » ont respectivement déclarés les porte-paroles pour les affaires européennes du Parti social-démocrate et des Verts allemands.
Outre Paris et Berlin, d’autres États membres se sont exprimés à ce sujet. L’Autriche appelle à commencer une intégration progressive des Balkans occidentaux pour faciliter leur adhésion en tant voulu. Cette dernière, ainsi que la Croatie et la Slovénie ont demandé une ouverture des négociations entre la Bosnie-Herzégovine et l’Union Européenne d’ici la fin de l’année. D’autres Etats se sont montrés plus frileux en tempérant cet horizon 2030. Le Portugal ou l’Italie ne s’y sont pas montrés opposés mais ont souligné qu’il n’était pas souhaitable d’acter un délai fixe à cet élargissement. De son côté le gouvernement polonais, bien que partisan de l’adhésion de l’Ukraine à l’Union, s’oppose totalement à plusieurs réformes jugées nécessaires avant tout nouvel élargissement.
Une Europe paralysée par un trop grand nombre d’Etats membres ?
Un élargissement faisant passer l’Union Européenne de 27 à 35 ou 36 membres constituerait un bouleversement de l’Union tant au niveau politique que budgétaire. Ce sujet a donc tout naturellement occupé une place importante lors du troisième sommet de la Communauté politique européenne et de la réunion informelle du Conseil européen qui s’en est suivie à Grenade, en Espagne. La déclaration de Grenade du Conseil Européen affirme que « l’élargissement constitue un investissement géostratégique dans la paix, la sécurité, la stabilité et la prospérité ». Il y est également écrit que « l’Union doit mettre en place en interne les travaux préparatoires et les réformes nécessaires ». En juillet, des experts de sept pays européens, Danemark, Estonie, Finlande, Lettonie, Lituanie, Pologne et Suède, avaient publié un texte présentant leurs idées concernant les réformes nécessaires à un élargissement de l’Union. Ce document insiste sur la nécessité et la faisabilité d’un élargissement. Il évoque également le coût que représenterait un « non-élargissement » pour l’UE.
De leur côté, les gouvernements français et allemand ont missionné un groupe de 12 experts pour écrire un rapport sur les réformes institutionnelles à introduire dans la perspective des futurs élargissements. Il a été remis fin septembre aux ministres des Affaires européennes des deux pays. Le rapport, intitulé « Naviguer en haute mer : réformer et élargir l’Union européenne », estime que l’Union n’est pas prête à accueillir de nouveaux Etats membres et préconise des réformes pour l’améliorer. Un des grands sujets, évoqués dans ce rapport mais aussi dans de nombreuses autres publications, est la question de l’unanimité qui existe toujours au Conseil sur certains sujets. Celle-ci peut mener à des blocages comme cela a été le cas avec la Hongrie au sujet des sanctions à l’encontre de la Russie. Avec un élargissement, ce risque de blocage serait multiplié. Le rapport préconise donc que la règle de l’unanimité ne devienne plus qu’une exception. De la modification des règles de la majorité qualifiée à la mise en place de procédures simplifiées pour faire respecter l’état de droit, en passant par la révision du nombre de commissaires et de députés européens ou encore une harmonisation des lois électorales des Etats, le rapport est riche de propositions.
Les experts proposent aussi une « différenciation » avec quatre niveaux d’intégration. Ceux-ci seraient un cercle restreint avec les pays de la zone euro et de l’espace Schengen, un deuxième qui serait l’Union Européenne en elle-même, le marché unique comme troisième cercle et la Communauté Politique Européenne en quatrième niveau.
En outre, la politique budgétaire de l’UE devrait être revue et notamment la PAC (politique agricole commune). La France est actuellement la première bénéficiaire de cette politique. Cependant dans le cas d’une adhésion de l’Ukraine, c’est cette dernière qui en deviendrait la première bénéficiaire. Un document du Conseil affirme qu’en cas d’adhésion des pays de l’est et du sud-est de l’Europe « tous les Etats membres devront payer plus et recevoir moins du budget de l’UE ; de nombreux Etats membres qui sont actuellement des receveurs nets deviendront des contributeurs nets ».
Les étapes à venir
Bien qu’une réforme des traités soit envisageable, nombre de ces réformes pourraient être appliquées sans cela. La réduction du nombre de commissaire européens est, par exemple, déjà prévue par le traité de Lisbonne. De son côté, la Commission présentera dans les prochains jours les rapports de progrès annuels des pays faisant partie du processus d’adhésion. D’après M. Várhelyi, commissaire européen hongrois au voisinage et élargissement, la Commission présentera dans le même temps des « propositions substantielles », comme l’augmentation des fonds de préadhésion de l’Union et la possibilité d’accéder de manière anticipée à certains champs d’actions de l’UE. Le calendrier sur la question promet d’être chargé. Fin octobre lors d’un sommet européen à Bruxelles, les dirigeants devraient de nouveau traiter le sujet ainsi qu’évoquer l’ouverture des négociations pour l’Ukraine et la Moldavie. Puis mi-décembre il y aura un sommet UE-Balkans-occidentaux.
L’Union Européenne a été créée avec l’objectif d’instaurer une paix durable entre les pays européens et notamment la France et l’Allemagne. Cet objectif a été amplement réussi à l’intérieur de l’Union, alors pourquoi ne pas viser un élargissement de celle-ci à d’autres pays du continent souffrant d’instabilité.
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