Une autre guerre en Europe : l’UE sur le terrain suffira-t-elle ?

, par Ngono Essimi Ylona

Une autre guerre en Europe : l'UE sur le terrain suffira-t-elle ?
La réunion entre (de gauche à droite) Ilham ALIYEV (Président de la Republique d’Azerbaïjan), Emmanuel MACRON (Président de la France), Nikol PASHINYAN (Premier ministre de la Répiublique d’Arménie), Charles MICHEL (Président du Conseil européen), ayant acté l’envoie d’une mission civile européenne. crédit : Union européenne

L’Arménie et l’Azerbaïdjan sont deux ex-républiques soviétiques. La première est majoritairement peuplée d’Arméniens chrétiens, la seconde est quant à elle habitée par des Azéris musulmans pour la plupart. Le Haut-Karabakh, région montagneuse enclavée en Azerbaïdjan mais peuplée d’Arméniens, est la source d’un conflit occidental qui dure maintenant depuis 30 ans. Une récente escalade de violence a entraîné l’envoi d’une mission civile européenne sur place.

Les débuts du conflit et de l’aide européenne

Le Haut-Karabakh, ou Nagorny Karabakh, a une superficie de 4400 km carrés pour une population de 146 000 habitants. En 1988, alors qu’elle est une région autonome rattachée à l’Azerbaïdjan (sous décision soviétique), des manifestations ont lieu à Erevan, capitale de l’Arménie. En effet, l’enclave majoritairement arménienne réclame son rattachement à cette dernière suite à la mise en place de limitations culturelles et religieuses par la tutelle azérie. Ce souhait de rattachement est le résultat d’un vote en faveur de cette demande par le gouvernement du Haut-Karabakh ; l’Azerbaïdjan refuse.

Une première guerre éclate. De février 1988 à mai 1994, avec un pic à partir de 1992, après la chute de l’URSS, cette guerre fait près de 30 000 morts. De très nombreux réfugiés sont également comptés des deux côtés, des Arméniens fuyant l’Azerbaïdjan et inversement. Cependant, la plupart des réfugiés sont surtout des Arméniens du Haut-Karabakh qui fuient leur terre que les Azéris commencent à conquérir.

Une médiation internationale est nécessaire car le conflit occidental prend de l’ampleur, une organisation au niveau européen se met en place. L’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) est créée et donne naissance au Groupe de Minsk en 1992. Celui-ci est co-présidé par la France, la Russie et les Etats-Unis. La médiation prend lieu, des négociations sont menées mais c’est un succès en demi-mesure : un cessez-le-feu est décidé mais aucun traité de paix n’est signé. Le conflit reprend inévitablement à l’automne 2020. L’Arménie perd les territoires qu’elle avait gagnés en 1994, Nikol Pachinian, l’homme fort de cette république (Premier Ministre), déçoit l’opinion publique. C’est plus de 6500 morts qui sont à déplorer. Cette guerre de 44 jours se solde par un autre cessez-le-feu. La paix est terriblement fragile.

La situation actuelle et ses possibles débordements

En 2022 c’est le « Grand Retour » planifié par l’Azerbaïdjan depuis 2021 qui débute ; L’objectif est clair : “repeupler” la région Nagorny. C’est donc en août dernier que le retour des premiers tirs Azéris se fait entendre. Au-delà de la région disputée, c’est la république d’Arménie qui est désormais directement visée. C’est à sa frontière que les tirs retentissent. Le 3 août, trois morts sont annoncées. Ce sont deux séparatistes et un soldat Azérie. Le conflit semble sans issue d’autant plus que les deux belligérants se relancent la faute en avançant des principes contradictoires. En effet l’intégrité territoriale est plaidée par l’Azerbaïdjan qui proclame que l’enclave fait partie intégrante de ses terres et le droit du peuple à disposer de lui-même est avancé par le duo Arménie/Nagorny. En septembre dernier le compte était de 100 morts et plus récemment d’environ 280, parmi lesquels beaucoup de civils, faute que les deux adversaires se rejettent mutuellement. Aucune des deux républiques n’est prête à céder ce que chacune considère être un territoire qui lui revient de droit, défendant pour l’une un lieu qui ne lui est plus rattachée depuis 30 ans, et pour l’autre son peuple situé à l’extérieur de ses frontières.

Des enjeux pour les pays voisins rentrent désormais en compte. La Turquie et Israël soutiennent allègrement le responsable du projet « Grand Retour » car des contrats pétroliers sont en jeu. De son côté Moscou appelle à un cessez-le-feu et réclame même un traité de paix en défendant la république arménienne. Ce pays représente en fait un atout fort pour le belligérant de la guerre russo-ukrainienne puisque c’est une plateforme de tir. Les interventions extérieures prenant partie au conflit sont donc fortes et l’équilibre occidental est encore menacé. Il est nécessaire que la démocratie règne sur le continent afin d’assurer stabilité et prospérité, notamment au sein de l’Union européenne (UE) ; des caractéristiques qui risquent de s’effondrer sous une réaction domino commençant avec l’intervention de la Turquie et de la Russie.

La mission civile de l’UE, continuité du Groupe de Minsk

C’est dans une tentative de maintenir la stabilité et empêcher la propagation d’un tel conflit que l’UE a répondu à la demande d’aide formulée par le ministère arménien des affaires étrangères à la date du 28 octobre dernier. En effet, celui-ci avait interpellé la Cour Européenne des Droits de l’Homme car une claire menace pèse sur la défense de ceux-ci dans le conflit du Haut Karabakh. De nombreux tirs sur des civils ont lieu. Le vendredi 7 novembre, une décision a été prise à la suite d’une réunion en marge du sommet de Prague entre N. Pachinian, Ilham Aliyev président de l’Azerbaïdjan, Emmanuel Macron et Charles Michel président du Conseil européen : une mission civile doit se rendre aux frontières du conflit, côté arménien, pour contribuer à la définition de frontières nettes et inébranlables ainsi que pour établir un climat de confiance entre les belligérants.

Une quarantaine d’experts de l’UE font partie de cette équipe déployée sur 2 mois. C’est une commission de délimitation et de promotion d’une paix durable dans le Caucase. Ils s’aideront de la déclaration d’Alma Ata de 1991, accords mettant un terme à l’existance de l’Union soviétique, pour reconnaître l’intégrité de ces territoires. L’objectif à terme est de donner un statut international d’autonomie à l’enclave disputée mais selon beaucoup d’experts, cela paraît peu envisageable de cette manière.

On peut en effet se poser des questions sur l’efficacité de cette mission civile en se rappelant l’échec du Groupe de Minsk mais également en pointant du doigt le manque de sanctions économiques et diplomatiques envers l’Azerbaïdjan qui porte une volonté explicite de véritable conquête, voire d’un possible génocide puisque ce pays a affirmé les dires de son soutien turque, Recep Tayyip Erdoğan, qui définit les séparatistes comme étant des « restes de l’épée » faisant référence au génocide arménien de 1915. De plus, Ursula Von Der Leyen, présidente de la Commission européenne, qualifie ce gouvernement d’« allié fiable » pendant que celui-ci tente de retirer toute autonomie d’un territoire et d‘envahir un pays qui soutient cette décision. On peut même retrouver sur le site du Conseil européen une proposition « d’association politique et d’intégration économique formulée par l’UE ».

La mission civile européenne est donc pertinente mais peu convaincante en tant que seule mesure prise à l’échelle continentale. L’UE pourrait en effet profiter de sa puissance politique et économique pour impacter plus fortement ce conflit qui, s’il n’est pas plus contenu que ça, peut facilement déborder hors des frontières et menacer l’équilibre occidental que cette organisation politique a pour but de maintenir depuis maintenant plusieurs décennies.

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