Vers une européanisation du cycle de défense
Alors que l’Europe de la défense semblait devoir rester un tabou de la construction européenne depuis l’échec de la Communauté Européenne de Défense en 1954, son développement, à vitesse accélérée semble aujourd’hui acté. Pressée par les enjeux sécuritaires de plus en plus préoccupants, au premier rang desquels la lutte contre le terrorisme et la pression sur sa frontière Est, l’Union européenne a aussi senti le contre coup de l’élection de Donald TRUMP. Les chefs d’Etats comme la Commission européenne sont désormais unanimes, l’Union européenne doit prendre en main sa défense.
C’est ce qu’a acté le Conseil Européen du 22 juin dernier, prenant acte de la proposition de la Commission en la matière. Le Fonds européen de la défense doit s’appuyer sur un réseau de PME européennes pour mettre en place une industrie innovante et, dans la mesure du possible, à apport mixte (civil et militaire). Sa création s’accompagnera d’une coopération structurée permanente nécessaire à la mise en commun de projet mais aussi à la prise de décision coordonnée et rapide.
Finalement, plus qu’une européanisation des forces opérationnelles, il s’agit de poursuivre et d’approfondir l’européanisation du cycle de défense, de l’analyse géopolitique au déploiement en passant par le programme d’armement.
Sans cap politique, quel avenir pour une défense européenne ?
Il ne s’agit pas ici de critiquer ces avancées, loin s’en faut ! Il est extrêmement positif de voir qu’un processus que l’on pensait mort et enterré reprend forme de façon aussi vivace. Il s’agit plutôt de s’interroger sur les limites du processus actuel et sa soutenabilité à long terme.
Le plan de la commission, tout comme les propositions du conseil s’appuie sur des coopérations avant tout techniques. A l’image de ce qui se fait déjà aujourd’hui, l’idée est de faire converger le travail des industries d’armement, dans le but, avoué, de faire baisser les coûts ; et d’intégrer les états-majors sur des pans de moins en moins spécifiques. Finalement, on rejoint l’esprit de la construction européenne avec la création de solidarités de fait. On notera ainsi que la Commission n’évoque pas du tout la constitution d’une armée européenne dans sa proposition, une mesure qui n’aurait qu’une incidence pratique limitée mais une incidence politique considérable. Ne risque-t-on pas alors de reproduire les écueils du passé en excluant volontairement tout ce qui est trop politiquement connoté ?
Et la première question qui vient immédiatement à l’esprit concerne les objectifs que l’Union européenne va devoir développer en commun. Le flou reste absolu en la matière, si la coopération structurée permanente doit permettre l’élaboration d’objectifs communs, on ne sait pas encore comment cela sera rendu possible. D’autant que les diplomaties européennes restent encore divergentes sur de nombreuses questions que cela soit dû à des histoires ou des intérêts économiques différents. Et, dans ce domaine, la question politique des objectifs est une garantie essentielle d’efficacité. Finalement, sans pouvoir politique contrôlé démocratiquement, pourra-t-on vraiment assister à la création d’une réelle défense européenne ?
La nécessaire politisation du processus à des fins d’efficacité et de responsabilité
Les chefs d’Etat sont extrêmement réticents à assumer le transfert de leur politique étrangère à l’Union, quand bien même ils acceptent de fait le transfert d’une large part du processus de défense. A l’image d’autres politiques européennes, comme l’euro, le risque est grand. Celui de l’inefficacité tout d’abord. La moindre crise diplomatique conduira à un blocage du système et au retour de négociations bi ou multilatérales. Peut-être plus problématique encore, celui de la désaffection de la population européenne incapable de voir une politique claire et d’identifier clairement les acteurs. Le sentiment de subir l’Europe plutôt que de la construire risque alors de prévaloir.
Seule la constitution d’un réel ministère des affaires étrangères de l’Union Européenne peut permettre d’éviter cet écueil. A ce stade, il n’est pas évoqué de modification substantielle du poste de Haut Représentant de l’Union pour les affaires étrangères qui n’a pourtant pas pu prendre l’ampleur qui lui revient depuis sa création. La coopération structurée permanente est peut-être destinée à remplir ce vide. Sans ministre indépendant des Etats membres, disposant de pouvoirs étendus mais contrôlé par le Parlement européen, la politique européenne de la défense est vouée à se cantonner à des dispositions techniques, certes positives mais largement insuffisantes dans l’incertitude grandissante de notre monde.
Cela peut paraitre irréaliste ou idéaliste mais finalement, n’est-ce pas le principe de réalité qui, à la lumière des échecs passés de l’Union, impose de faire de l’Europe de la défense un projet éminemment politique indissociable d’une structure fédérale.
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