Un prix littéraire unique pour l’Union européenne

, par Christine Lehnen

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Un prix littéraire unique pour l'Union européenne
CC Flickr / Bart Heird

Prix Goncourt, Man Booker, Prix Nobel… Toute l’année, des prix littéraires sont accordés au meilleur écrivain français, au meilleur de langue anglaise et même au meilleur du monde. Le prix Nobel en particulier contribue à créer une politique culturelle internationale : pour quelques semaines, le monde parle d’une même voix d’un auteur et son œuvre. Si l’Académie suédoise n’hésite pas à distinguer un auteur parmi tous les écrivains du monde, pourquoi n’osons-nous pas faire le même pour l’Europe ? Un tel prix serait garanti de contribuer à la création d’une politique culturelle européenne et à la constitution d’un public européen, actuellement inexistants puisque les trois prix littéraires mis en place à l’échelle européenne manquent d’ambition et de moyens.

Bob Dylan est le récipiendaire du Prix Nobel de la littérature 2016. En apprenant la nouvelle, certains ont bondi de joie, d’autres de colère, mais le monde entier a réagi. L’Académie Suédoise, responsable d’accorder le prix chaque année, fait son choix parmi tous les auteurs du monde et occupe l’actualité internationale pendant plusieurs semaines. De la Chine jusqu’à l’Afrique du Sud, la planète entière discute du même écrivain et de son œuvre.

Le prix Nobel donc est la preuve qu’un prix littéraire peut créer une politique dont l’impact dépasse les frontières. Il est une vérité très simple, mais très puissante, qu’on lit n’importe où, n’importe quand : raconter des histoires est une activité universelle apparue avant même la naissance de l’écrit. Quelques philosophes, anthropologues et écrivains comme Walter Fisher, Brian Boyd ou Salman Rushdie comparent même l’homme à un « animal narratif », « the storytelling animal ».

Pourquoi donc n’avons-nous pas un prix littéraire européen ? Ou, plutôt : Pourquoi ne savons-nous pas que nous en avons plusieurs ?

Le Prix européen de littérature

Avec le Prix européen de littérature, le Prix de littérature de l’Union européenne et le Prix du livre européen, l’impression des connaisseurs est qu’ils sont trop nombreux, que l’on a déjà essayé de bâtir une politique culturelle européenne et que le projet a été un véritable échec. Or les choses ne sont pas si simples ; car tous ces prix, qui sont sans doute importants et de qualité pris séparément, ont quelques caractéristiques qui les empêchent de devenir le « prix Nobel » européen. Premièrement, le Prix européen de littérature, dont le dernier lauréat est l’écrivain Jaan Kaplinski (Difficile de devenir léger, éd. Corsaire, 2016), se réfère explicitement au Prix Nobel de littérature, mais son but est de « donner un visage à chaque culture d’Europe ». C’est un projet ambitieux, mais qui n’est pas conforme à l’idée de créer un prix européen : sa perspective reste nationale ou régionale, entrant ainsi en concurrence avec les jurys déjà existants dans les pays membres de l’Union européenne. De plus, les partenaires médiatiques du prix sont pour la plupart français, ce qui rend encore moins probable une réception à l’échelle européenne.

Le Prix du livre européen

Deuxièmement, le Prix du livre européen rencontre un problème similaire. Au premier regard, ce prix semble le meilleur candidat pour un prix Nobel de littérature européenne : les membres du jury viennent de différents pays membres et sont pour la plupart journalistes dans les principaux médias nationaux, ce qui pourrait garantir la portée européenne des résultats. Les jurys sont présidés par des « grands hommes » (pas beaucoup de grandes femmes en effet) de la littérature européenne, par exemple Julian Barnes, Bernard Henry-Lévi et même le réalisateur franco-américain Oliver Stone. L’objectif de ce prix est de « promouvoir les valeurs de l’Europe et contribuer à mieux incarner l’Union auprès des citoyens qui la composent ». Les lauréats sont sans doute des écrivains qui nous pourrions qualifier comme « européens », comme Robert Menasse (Un messager pour l’Europe, éd. Buchet Castel, 2015) ou Jean-Pierre Orban (Vera, éd. Mercure de France, 2014). Néanmoins, il reste un détail : si un citoyen européen cherche une version anglaise, allemande, italienne, hongroise ou latvienne du site internet, il découvrira rapidement que cela n’existe pas. Le prix semble encore être une affaire française. Pour ceux d’entre nous qui parlent et aiment le français, peu importe, mais pour une politique culturelle européenne plus grande, l’absence d’autres langues, ne serait-ce que l’anglais, serait un obstacle de taille.

Le Prix de littérature de l’Union européenne

Troisièmement, cette dernière caractéristique n’est pas partagée par le Prix de littérature de l’Union européenne qui a été créé par la Commission européenne en 2009. Le site internet est en français et en anglais et les extraits de tous les lauréats sont publiés en anglais, français ainsi que dans la langue d’origine. Les lauréats sont également présents à la plus grande foire du livre du monde, à Frankfort. De plus, la Commission mobilise des bourses pour traduire les livres dans d’autres langues et pour faire voyager les auteurs dans d’autres pays. Pourtant, le prix n’est pas totalement européen, puisque, chaque année, il y a douze lauréats, soit un pour chaque pays qui participe au prix. Les jurys, les auteurs et la sélection : tout se passe à l’échelle nationale, où, encore une fois, il existe déjà beaucoup de prix de littérature très renommés, comme le Prix Goncourt ou le Deutsche Buchpreis. Si l’idée était présente, le Prix de littérature de l’Union européenne a manqué d’ambition.

Fusionner les prix européens

Par conséquent, si l’on souhaite créer un prix de littérature qui soit véritablement européen et qui ait le potentiel de contribuer à bâtir une politique culturelle européenne, il serait en effet nécessaire de fusionner ces trois prix. Tirant les leçons des échecs précédemment décrits, le nouveau prix littéraire devrait (1) être financé par l’Union européenne, idéalement par le Parlement Européen – ce qui inclurait des bourses pour permettre la traduction et la promotion des ouvrages dans les vingt-huit États membres , (2) avoir des jurys composés par des journalistes et des libraires de tous les pays de l’organisation – afin d’assurer une vaste diffusion dans les médias comme dans les librairies –, (3) être présidé par une grande femme ou grand homme de la littérature européenne, (4) avoir pour but de trouver et de distinguer une écrivaine ou un écrivain réellement européen – bref, un livre ou auteur qui ne pourrait pas recevoir et n’aurait pas reçu le Prix Goncourt, le Deutscher Buchpreis, le Man Booker ou même le Prix Nobel, parce que l’ouvrage ne serait pas seulement un livre français, allemand ou planétaire, mais un livre européen.

Un tel prix de littérature ne serait pas seulement une louange, mais aussi une motivation pour que les auteurs écrivent sur l’Europe, dans une ère où la plupart des prix littéraires sont nationaux ; pour que les lecteurs rencontrent l’Europe ; pour que ceux qui osent déjà écrire sur l’Europe soient plus visibles, et pour leur montrer qu’ils ne sont pas seuls.

Pour finir, des candidats de tous les âges ? Les Misérables par Victor Hugo ; Une Drôle de Petite Fille par Irmgard Keun ; Le Monde d’Hier. Souvenirs d’un Européen par Stefan Zweig ; L’Installation de la Peur par Rui Zink. Voilà, des petites propositions pour une « PAL » (Pile à Lire) européenne !

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