De la pratique originelle du communisme de Gramsci et Togliatti, il a gardé l’aptitude à comprendre les choix de pouvoir qui s’imposent à certains moments clefs, ainsi que la fermeté nécessaire pour les faire, sans pour autant être prisonnier de positions idéologiques.
Il s’est constamment inspiré de la “révolution libérale” de Piero Gobetti afin de mener, avec Giorgio Amendola, le parti communiste vers le réformisme social-démocrate, au moment où l’Histoire le permettait (et pas avant). Et il a compris que seule une approche libérale pouvait permettre de gérer les rapports entre des forces politiques très diverses ayant souvent tendance à s’enfermer dans leurs enclos idéologiques.
Il a tiré du fédéralisme d’Altiero Spinelli la profonde conviction que l’objectif de l’unité politique du continent était le plus grand projet politique de l’après-guerre et que l’ancrage de l’Italie dans ce processus d’unification constituait la condition essentielle pour son salut. Cela impliquait que les réformes nationales, traditionnellement conservatrices, devaient désormais provenir des impulsions que la construction européenne posait.
Je crois que c’est véritablement sur la base de ces trois éléments fondamentaux qu’il est possible d’interpréter deux moments cruciaux de sa présidence. Le premier, à l’automne 2011, quand le pays se retrouva face au risque de faire défaut sur sa dette publique (avec le spread à 570, trois mois après la Grèce), chose qui aurait rapidement entrainé la zone euro dans une crise irréversible, mettant en danger le projet européen. Là, Napolitano réalise son « chef d’œuvre » politique : il convainc Berlusconi de se mettre à l’écart pour le bien du pays (et le sien personnel) et d’être remplacé par un libéral comme Mario Monti, qu’il charge de ramener l’Italie en Europe.
Dextérité et ténacité togliattienne, solution partagée par les « larges ententes », vision européenne de la solution. C’est un succès tel que le New York Times lui attribue, le 2 décembre 2011, le surnom de King George, pour sa « majestueuse » défense des institutions démocratiques italiennes. Et son choix se révèle rapidement gagnant. En l’espace de six mois, le gouvernement Monti, grâce à ses réformes européennes, replace le pays dans le sillage de sa tradition, rendant l’Italie à nouveau crédible en Europe. Il est établi que c’est uniquement grâce à la stabilité politique retrouvée de l’Italie que le Conseil européen de juin 2012 peut annoncer le projet des quatre Unions pour la zone euro : l’Union bancaire, fiscale, économique et politique. Il est également établi que c’est uniquement grâce à la sortie de l’Italie du risque de défaut que Mario Draghi, dans son discours du 2 août 2012, peut dire que la BCE interviendra pour défendre l’euro whatever it takes.
Le second moment survient au printemps 2013, lorsqu’il décide d’accepter un deuxième mandat pour mener le pays hors de l’impasse politique dans laquelle il est tombé après les élections législatives de février 2013 – entre autres à cause de l’incapacité et de l’irresponsabilité de plusieurs forces politiques à mettre en place un gouvernement pour le pays. Avec Enrico Letta (véritable expression de la présidence de la République), Napolitano propose à nouveau la seule solution de realpolitik envisageable à ce moment-là : un gouvernement de « larges ententes » avec le devoir d’entamer les réformes structurelles en mesure d’assurer une permanence du pays en Europe. Cette direction est restée en place, même avec l’arrivée au pouvoir de Matteo Renzi – un choix totalement interne du Parti Démocratique, auquel Napolitano ne participa pas et qu’il respecta. Le choix de rester président jusqu’à la fin du semestre italien de présidence de l’Union européenne est un témoignage supplémentaire du fait qu’il s’est considéré, jusqu’au dernier moment, le garant de la position européiste de l’Italie.
Giorgio Napolitano a été un grand président de la République italienne, un président « fédéraliste », comme Luigi Einaudi et Carlo Azeglio Ciampi, qui se sont appropriés le choix à faire entre le progrès et la réaction, tracé dans le Manifeste de Ventotene :
« La ligne de démarcation entre partis progressistes et partis réactionnaires suit donc désormais non pas la ligne formelle du stade plus ou moins avancé de démocratie, du niveau plus ou moins élevé de socialisme à instaurer, mais la ligne bien plus substantielle et toute nouvelle de séparation entre ceux qui conçoivent comme finalité essentielle de la lutte la vieille ambition de la conquête du pouvoir politique national - et qui feront par là même, et bien qu’involontairement, le jeu des forces réactionnaires, en laissant se solidifier la lave incandescente des passions populaires dans le vieux moule, et en permettant que renaissent les vieilles absurdités - et ceux qui verront comme une tâche centrale la création d’un état international solide, qui canaliseront vers ce but les forces populaires et qui - même après avoir conquis le pouvoir national - s’en serviront, en toute première urgence, comme instrument de la réalisation de l’unité internationale. »
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