En Europe, certains États ont souhaité l’adhésion à l’Union afin de bénéficier de sa stabilité. Cet arrimage n’a cependant guère eu d’effet sur les velléités d’indépendance de certaines régions comme en Catalogne ou en Flandre, voire a boosté ces processus comme en Écosse. Une disparition de l’Union européenne aurait-elle des conséquences sur le dessin des frontières sur le Vieux continent ? Prenons l’exemple des États baltes.
Les « États baltes » : une construction moderne
Déchirés entre les invasions ou occupations russe, danoise, suédoise, teutonne, prussienne, polono-lituanienne, livonienne, nazie, soviétique… les États baltes ne sont devenus une entité géographique dans l’esprit occidental qu’au cours du XIXème siècle. On peut remonter l’histoire de la Lituanie au Moyen-Âge avec le Grand-Duché lituanien, russe et samogite, dissous ensuite dans la République des Deux-Nations avec la Pologne. Le territoire estonien a quant à lui été longtemps partagé entre Danois, Suédois et Russes, alors que la présence teutonne était plus forte sur le territoire letton. La Livonie rassemblait le sud de l’Estonie et le nord de la Lettonie telles que nous les connaissons aujourd’hui.
Les mouvements d’indépendance consécutifs à la révolution d’Octobre amenuisent l’intérêt d’une identité unique balte : l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie naissent en 1918. La Lituanie, moins tournée vers l’espace maritime et catholique, se distingue de ses deux voisines du nord. En 1934, face à la montée des périls rouge et bruns en Europe, les trois États signent à Genève en Suisse l’Entente baltique qui officialise une coopération politique et l’établissement d’une politique étrangère commune. Évidemment, elle ne fera pas long feu devant le projet d’invasion germano-soviétique : le Pacte Molotov-Ribbentrop du 23 août 1939 prévoit l’occupation par l’Union des Républiques socialistes et soviétiques (URSS) de l’Estonie et de la Lettonie, et par l’Allemagne de la Lituanie. Cette dernière sera finalement occupée par Moscou en l’échange de voïvodies polonaises.
Devant les horreurs et les déportations commises par les Soviétiques, l’arrivée des troupes allemandes en 1941 est vécue là-bas comme une libération, jusqu’au retour de l’Armée rouge en 1944. S’opère alors une re-soviétisation violente et amèrement vécue par les populations ayant goûté à l’indépendance. Jamais les populations ne l’accepteront : chacun se souvient de ces formidables images de la Voie balte, la chaîne humaine qui reliait les capitales baltes sur 687 km le 23 août 1989.
Ce n’est que cinquante ans après que, à l’occasion de l’implosion de l’URSS en 1991, les États baltes recouvrent leur indépendance. Ils s’engagent dans un mouvement de réformes ambitieuses ayant pour objectif le rapprochement avec l’Europe, l’Occident et l’Atlantique. Les efforts soutenus de Tallinn, Riga et Vilnius font figure d’exemple pour les forces démocratiques des anciennes républiques soviétiques et sont salués par les autorités européennes qui engagent rapidement le processus d’adhésion à l’Union européenne (UE). Treize ans après le retour à l’indépendance, en 2004, Estonie, Lettonie et Lituanie font leur entrée dans l’UE mais également dans l’OTAN (Organisation du Traité de l’Atlantique Nord).
Aujourd’hui, quand l’Estonie se tourne vers les pays nordiques (historiquement et linguistiquement liée aux pays scandinaves et à la Finlande), la Lituanie s’est beaucoup rapprochée de la Pologne.
Unis dans la crainte du voisin russe
S’il y a bien un point commun qui réunit les États baltes, c’est la crainte de la Russie. Au cours du siècle dernier, ces États ont connu seulement 31 ans d’indépendance et se sont fait envahir trois fois dont deux par Moscou. Le rapprochement avec l’Europe et les États-Unis, et donc l’éloignement de la Russie irriguent de nombreuses décisions politiques des États baltes. Que ce soit par leur adhésion à l’Union européenne, à l’OTAN, par leur assistance apportée aux ennemis du Bélarusse Loukashenko, fidèle allié de Vladimir Poutine, leur soutien plein et entier aux sanctions européennes contre le Kremlin, leur raccordement prochain au réseau électrique centreuropéen…
La présidente estonienne Kersti Kaljulaid déclarait il y a peu avoir « perdu [ses] dernières illusions à l’égard de la Russie », dans le dossier ukrainien.
Dans une Europe qui aurait perdu son Union, un continent où les douze étoiles auraient disparu loin dans le ciel, une terre où les frontières auraient retrouvé leurs gardes, les États baltes se retrouveraient bien seuls. Le navire européen coulé, le canot de sauvetage balte serait bien isolé du reste de l’équipage, mais bien trop proches à leur goût des rivages russes.
Dans un premier temps, encore abasourdis de l’échec bruxellois, chacun tenterait au plus vite de se sauver, l’Estonie irait sans doute taper avec un peu plus d’insistance qu’auparavant à la porte du Club nordique, qui ne nous a pas habitué à une grande générosité vis-à-vis de leurs voisins ; la Lituanie se rapprocherait probablement de la Pologne, dont le gouvernement, s’il est sensiblement le même qu’aujourd’hui, se réjouirait de former un nouveau centre d’attractivité est-européen sur les ruines de l’Union.
Néanmoins, il paraît fort probable que, sur le modèle de la réunion à Genève en 1934, les trois pays relancent l’idée d’une Entente baltique, ne serait-ce que pour garantir la liberté de circulation, essentielles pour leurs économies interdépendantes et parfois complémentaires. Dans des temps difficiles, les humains ont tendance à rechercher le plus petit dénominateur commun pour « faire société ». Une situation géographique commune et des histoires nationales entrelacées suffisent pour créer un lien. Néanmoins, les dangers seraient accrus avec la disparition de l’OTAN qui garantie au moins formellement la défense de la souveraineté territoriale des alliés. Difficile de prédire l’avenir, pourtant, le bouclier de l’OTAN levé, il n’est pas invraisemblable d’imaginer une opération militaire russe sur ses anciennes provinces, et alors il n’est pas sûr que les alliés d’hier se hâtent de porter secours à Tallinn, Riga et Vilnius face à Moscou.
La disparition de l’Union européenne serait donc un motif fondamental – sans pour autant être essentiel – pour légitimer une poussée fédéraliste balte. Dans le même ordre d’idée, il serait intéressant d’observer les conséquences de la chute de l’UE sur les mouvements indépendantistes comme en Catalogne. Le Brexit peut nous apporter certains éléments de réponse.
1. Le 20 juin 2021 à 13:11, par Charlotte Knight En réponse à : UEtopie 2036 : les pays baltes, la crainte de la Russie comme moteur politique
Bonjour, je suis en train de traduire cet article. Qui était le péril brun en Europe - les nazis ou les chinois ? Merci
2. Le 21 juin 2021 à 08:59, par Théo Boucart En réponse à : UEtopie 2036 : les pays baltes, la crainte de la Russie comme moteur politique
Bonjour Charlotte, merci pour ton message. Le péril brun désigne les Nazis. Bon courage pour la traduction !
3. Le 4 mars 2022 à 20:09, par Alex ba Matembera En réponse à : UEtopie 2036 : les pays baltes, la crainte de la Russie comme moteur politique
Les frontières, c’est d’abord dans la tête. Si les frontières africaines peuvent bouger, partout au monde, ça peut bouger. Cessez d’alimenter ce narratif divisif. Le plus prioritaire en Afrique, c’est justement une récupération des instruments économiques et les décisions politiques pour des bonnes politiques qui redonnent la dignité aux africains. Et les frontières, personne ne va en parler. Suis Canado-congolais.
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