Trilogie vaccinale, épisode 3 : Géopolitique vaccinale

, par Sophia Berrada

Trilogie vaccinale, épisode 3 : Géopolitique vaccinale
Sommet du G20 des 21 et 22 novembre dernier. Crédits : Union européenne 2020 - Service audiovisuel de la Commission européenne (photographe : Étienne Ansotte)

Alors que l’OMS et l’Union européenne défendent une approche multilatérale, que les États-Unis de Donald Trump jouent en solo, que la Russie coiffe sa politique d’atours “guerre froide”, et que la Chine cherche à faire oublier d’où est partie l’épidémie en devenant un partenaire scientifique auprès des pays en voie développement, à quoi jouent les grandes puissances dans cette réponse vaccinale au coronavirus : au chamboule-tout, au poker, ou au jeu de go ? Dans quelles mesures le G20, tenu à distance les 21 et 22 novembre dernier, a-t-il pu faire avancer la coopération internationale pour rendre l’accès au vaccin équitable ? A suivre, un panorama des alliances géopolitiques naissantes et valsantes dans la course au vaccin anti-Covid-19.

L’Europe défend une approche multilatérale

« Aucun de nous n’est à l’abri de la pandémie et aucun de nous ne peut vaincre le virus seul. Nous avons donc un intérêt commun dans cette lutte. Nous ne serons vraiment en sécurité que lorsque nous le serons tous – à travers tous les villages, villes, régions et pays du monde ». Ces quelques mots sont extraits de la tribune qu’avaient signée la présidente de la Commission européenne Ursula Von der Leyen, le président du Conseil européen Charles Michel, Emmanuel Macron, Angela Merkel, Giuseppe Conte et Erna Solberg, Premier ministre de la Norvège, le 1er mai dernier. Par ce langage, les dirigeants européens appelaient à participer au dispositif ACT-Accelerator (pour Access to Covid-19 Tools), créé par l’OMS quelques jours plus tôt, le 24 avril 2020. L’objectif : catalyser la recherche et permettre le développement, l’accès et la distribution équitable des outils diagnostiques, thérapeutiques et des vaccins futurs. Le moyen : récolter des fonds de la part des Etats et des organisations privées (souvent des fondations philanthropiques).

Cet appel des dirigeants européens annonçait la tenue d’une grande conférence des donateurs le 4 mai. Celle-ci a permis la récolte de 7,4 milliards d’euros. Ursula Von der Leyen, cheffe d’orchestre de l’opération, initiait dans la foulée une grande campagne marathon, surnommée “Covidthon”, permettant la récolte de 6,15 autres milliards d’euros. Depuis, au total, ce sont 15,9 milliards d’euros qui ont pu être collectés pour soutenir les différentes organisations internationales de santé, dont 5,1 milliards sont destinés au programme ACT-Accelerator. Cette enveloppe est répartie entre plusieurs programmes permettant de renforcer les systèmes de santé fragiles, de soutenir la recherche, ou de distribuer équitablement matériel, médicaments, et dispositifs médicaux. Le programme qui nous intéresse au sein de l’ACT-Accelerator s’appelle COVAX, qui veut garantir l’égalité d’accès au vaccin partout dans le monde. La Commission européenne s’est engagée auprès de COVAX à hauteur de 500 millions d’euros.

Pour l’Union européenne, être un acteur moteur de la réponse mondiale et solidaire au coronavirus est une occasion de défendre sa vision d’un multilatéralisme indispensable, à l’heure où la tendance mondiale était au repli - y compris entre ses frontières, et de renouveler son soutien à l’OMS. Donald Trump, accusait en mai dernier l’Organisation dirigée par le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus d’une trop grande complaisance à l’égard de la Chine, son éternelle rivale. Il a mis sa menace à exécution en la quittant officiellement le 7 juillet, la privant de son contributeur le plus important.

Le président républicain, apôtre de “l’America First”, et avide d’un second mandat, avait baptisé son plan vaccinal Warp Speed (Vitesse de l’éclair), dépensé 20 milliards de dollars en pré-commandes pour son seul pays, et appelé les Etats fédérés à se préparer en urgence à une éventuelle campagne de vaccination de masse pour le 1er novembre (soit deux jours avant le scrutin présidentiel). Les laboratoires de recherche étatsuniens et l’agence fédérale responsable de la sécurité des médicaments ont fait état de pressions, et assuré leur refus de toute instrumentalisation politique de la recherche scientifique. Le président élu Joe Biden devrait avoir, dès son investiture le 20 janvier, une attitude similaire à celle des Européens, à savoir : protéger sa population mais ne pas oublier le reste du monde, en s’investissant à son tour dans le programme COVAX.

Le vaccin : un bien public mondial ?

La fondation Bill & Miranda Gates a demandé à la Northearn University d’étudier deux scenarii de répartition des vaccins à travers le monde. Dans la première hypothèse, on imagine que 50 pays à hauts revenus ont préempté les 2 premiers milliards de doses de vaccins disponibles. Dans la seconde, ces 2 milliards sont répartis équitablement en fonction de la population de chaque pays. Le rapport, publié mi-septembre, indique que le second cas de figure permettrait d’éviter 61% de décès à travers le monde, quand le premier en éviterait 33%. Plusieurs biais existent dans cette étude, puisque les chercheurs l’ont réalisée avant que nous ne disposions des premières données sur les vaccins en cours d’élaboration. Ils se sont donc projetés sur un modèle de vaccin administré en une seule dose, d’une efficacité située entre 65 et 80%. Cette étude ne peut donc pas être considérée comme prédictive de l’avenir, mais elle a le mérite de mettre en lumière l’avantage d’une meilleure coopération internationale.

On estime que 13% des pays ont réservé ou commandé 50% des premières doses de vaccin. Grâce à cette infographie du Monde, on s’aperçoit que 3,5 milliards de doses ont d’ores et déjà été réservées par les seuls Canada, Royaume-Uni, Australie, Union européenne, États-Unis et Japon. Le Canada a par exemple, dans son portefeuille vaccinal, environ 9,5 doses par habitant. En comparaison, l’initiative COVAX a commandé 1,6 milliards de doses. L’OMS, pour sa part, préconise de vacciner 20% de chaque pays en priorité au cours de l’année 2021.

Najat Vallaud-Belkacem, directrice France de l’ONG One qui lutte contre l’extrême pauvreté et les maladies évitables, expliquait le 1er décembre dernier au micro de France Inter que pour respecter les objectifs de l’OMS et que le vaccin soit un véritable “bien public mondial”, les entreprises pharmaceutiques doivent s’engager davantage. Usuellement, 7 années s’écoulent entre la découverte d’un médicament par un laboratoire et la bascule de ce médicament dans le domaine public (quand la “recette” est mise à la disposition de tous, et que chaque laboratoire peut produire des médicaments génériques, qui présentent les avantages d’être aussi efficaces que l’original dit “princeps”, moins chers et accessibles). Dans un contexte de pandémie, l’ancienne ministre appelle les laboratoires à céder leurs droits de propriété intellectuelle, comme l’avait fait en 1955 Jonas Stalk l’inventeur du vaccin contre la poliomyélite qui avait refusé de le faire breveter pour le rendre immédiatement accessible à tous. Najat Vallaud-Belkacem appelle aussi les industries à partager leurs technologies, leurs savoir-faire nécessaires à la production du vaccin. Enfin, elle demande à ce que les entreprises vendent leurs vaccins à prix coûtant, compte tenu de l’urgence sanitaire et des aides financières publiques massives, qui se comptent en milliards d’euros, dont ils ont bénéficié. Certains jouent le jeu, comme Astrazeneca qui estime le prix de son vaccin autour de 3€, d’autres moins comme Moderna et ses 50$ (41,25€) l’unité.

La Chine et la Russie tissent de nouvelles alliances

Pour remplir l’objectif de l’OMS et vacciner 20% de la population de chaque pays, il faudrait produire 2 milliards de doses en une année. Une telle ambition réclame des capacités industrielles pharaoniques, partout dans le monde. Peu de pays les ont. Certains ont les capacités industrielles mais n’ont pas de capacités de conception (pas de laboratoire pharmaceutique victorieux dans la mise au point d’un candidat vaccin). Ces contraintes ont motivé le tissage de nouvelles alliances. La Chine et la Russie, en particulier, dont les découvertes vaccinales occupent peu le terrain médiatique dans nos pays occidentaux, s’engagent dans de très nombreux partenariats à travers le monde. Ces deux pays ont compris que ceux qui contrôlent la distribution des vaccins gagneront en puissance dans le ballet géopolitique futur.

La Russie, dont le vaccin a été baptisé Spoutnik-V en référence au satellite soviétique mis en orbite en 1957 - coiffant au poteau les Américains, conduit des tests en Biélorussie, et a signé des contrats avec l’Inde, le Brésil, la Corée du Sud et même la Chine pour produire son vaccin massivement. Le président Vladimir Poutine avait lui-même annoncé dès août l’efficacité de Spoutnik-V, vantant même une “efficacité durable”, bien que celui-ci n’avait pas encore commencé les essais cliniques à grande échelle. Cette opération avait suscité la méfiance de la communauté scientifique et des pays occidentaux, mais avait convaincu certains pays de passer des précommandes. La Hongrie, pays en opposition ostensible avec l’Union européenne sur bien des sujets (budget, état de droit, politique migratoire...) figure parmi eux, bien que 7% seulement de ses ressortissants se sont déclarés prêts à se faire inoculer le vaccin Spoutnik-V.

Contrairement à la Russie, la Chine s’est engagée à participer au mécanisme COVAX (tardivement : en octobre du gouvernement chinois laissent entendre que le pays attendrait des faveurs politiques en l’échange du vaccin. En outre, les résultats des essais cliniques ne proviennent que de sources officielles (gouvernementales, ou de la presse officielle) : les autorités compétentes refusent de répondre à des enquêtes, y compris lorsqu’elles émanent de scientifiques.

Bien que ces accords permettront à des pays d’accéder à des vaccins, l’Union européenne, comme l’OMS, recommande de favoriser le passage par des accords multilatéraux, par le programme COVAX donc, pour faciliter une répartition plus équitable entre tous, et motiver les choix politiques par des raisons de santé publique.

L’OMS exhorte, le G20 s’engage, Angela Merkel s’inquiète

Le sommet réunissant les 20 plus grandes puissances mondiales s’est tenu les 21 et 22 novembre dernier, sous la présidence de l’Arabie Saoudite, dans un format virtuel. Alors que les Nations Unies craignent la domination d’un nationalisme vaccinal, et préconisent pour atteindre l’objectif qu’ils ont fixé, d’engager 4,2 milliards de dollars supplémentaires au programme ACT-Accelerator pour garantir un accès équitable au vaccin, le G20 s’est clôt sur une déclaration volontariste, certes, mais convenue : « Nous ne reculerons devant aucun effort ». Ils promettent de combler les financements manquants, sans plus de détails ni mention des fameux et urgents 4,2 milliards d’euros. Angela Merkel, qui célébrait également ses 15 années à la tête de la chancellerie allemande, faisait part de son inquiétude : « Nous allons maintenant voir avec l’Alliance du vaccin (Gavi) quand ces négociations vont commencer, parce que je suis inquiète que rien n’ait été encore fait », indiquait-elle à l’issue du sommet, puis après avoir rappelé les 500 millions d’euros promis par la Commission européenne au mécanisme COVAX a conclu « Le plus important pour moi est que Covax entame les négociations avec les fabricants de vaccins en utilisant l’argent qu’il a déjà collecté ».

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