Un tribunal inédit pour le crime d’agression
Le Comité des ministres est en train de finaliser les instruments juridiques requis au lancement du Tribunal spécial pour le crime d’agression contre l’Ukraine, suite à l’approbation de la création du Tribunal lors de sa réunion annuelle à Luxembourg le 14 mai 2025. Ce tribunal disposera de compétences particulières visant à poursuivre spécifiquement les hauts responsables politiques et militaires ayant eu recours à la force armée contre un autre État. C’est ce que le droit international appelle le crime “d’agression”. Toutefois, il existe déjà une Cour pénale internationale (CPI) basée à la Haye. Alors pourquoi ce tribunal spécial est-il nécessaire ?
Ce tribunal est déclaré par le Conseil de l’Europe comme “complémentaire de la Cour pénale internationale”, qui est "compétente pour enquêter sur les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et le génocide en Ukraine" mais "n’a pas actuellement l’autorité juridique nécessaire pour poursuivre le crime d’agression." Pour Alain Berset, secrétaire général du Conseil de l’Europe, cette nouvelle instance “vise à garantir la responsabilité, et à faire en sorte que celles et ceux qui portent la plus grande part de responsabilité répondent de leurs actes. Car sans responsabilité, il ne peut y avoir de paix durable — ni pour l’Ukraine, ni pour l’Europe.”
Entre principes et réalité, une démarche uniquement symbolique ?
Comme l’a expliqué Zelensky, la création de ce tribunal n’est pas seulement un outil juridique, c’est un signal pour le monde. Le président du Comité des ministres, Ian Borg, a affirmé que c’était un “moment décisif pour la justice internationale”, et le président du Groupe Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe (ADLE), Iulian Bulai, a rappelé que la paix durable est impossible sans responsabilité ni justice, et que “personne n’est au-dessus des lois”.
Cependant, malgré ces espoirs, l’arrestation de Vladimir Poutine et de ses proches demeure lointaine et incertaine. En effet, il existe des obstacles juridiques et politiques à la mise en place de ce tribunal. Tant que Vladimir Poutine sera au pouvoir, il ne pourra pas être inquiété. Il reste protégé par l’immunité liée à son statut de chef d’État.
Olivier Corten, spécialiste du droit de la paix et de la sécurité internationale explique justement que, lorsque Poutine ne sera plus en fonction, deux possibilités émergeront : “Soit les nouvelles autorités russes restent proches de lui et ne coopèrent pas avec le tribunal”, soit, dans le cas contraire, à la suite d’un renversement de pouvoir, elles pourraient coopérer avec le tribunal, “ce qui reste très hypothétique”.
Étant donné l’immunité des responsables russes, les efforts du tribunal visant à lutter contre le crime d’agression se prolongeront à long terme. Ce tribunal revêt donc, pour l’instant, surtout d’une portée symbolique.
Toutefois, Zelensky a voulu porter un message clair : “tous doivent savoir que justice sera faite, nous avons déjà beaucoup progressé, la justice prend du temps, mais elle passera, j’en suis sûr”. L’instauration de ce tribunal spécial tente finalement de combler une faille de la CPI tout en dénonçant le recours à l’agression militaire comme un levier politique.
Accueilli en allié
Cet espoir de justice s’est transmis dans l’ensemble de l’hémicycle. Avant la signature, Alain Berset a débuté avec un message empreint d’hospitalité : “Cette maison est la tienne, et celle des Ukrainiens depuis 30 ans”, rappelant que cette année marque le 30e anniversaire de l’adhésion de l’Ukraine au Conseil de l’Europe, officialisée le 9 novembre 1995. Continuant son chemin vers l’hémicycle, le Président ukrainien a été acclamé par de chaleureux et presque inépuisables applaudissements.
Les mots “Welcome home” (Bienvenue chez vous), prononcés par le Président de l’Assemblée Theodoros Rousopoulos, ont suivi son arrivée.
Le président Zelensky a ensuite salué l’Assemblée, rappelant que le Conseil de l’Europe et particulièrement l’APCE a toujours soutenu l’Ukraine depuis son invasion par la Russie. En effet, l’APCE a été la première instance internationale à recommander l’exclusion de la Russie, qui a été actée le 16 mars 2022 par le Comité des ministres du Conseil de l’Europe. La Russie avait adhéré à l’organisation le 28 février 1996. L’Assemblée a même qualifié le régime russe de “terroriste” et jugé le président russe “illégitime”.
Ce soutien politique s’est accompagné d’un message de fraternité de la part du président de l’APCE : “Nous vous accueillons parmi des amis et des alliés.” Il a également déclaré avant la séance “Ce tribunal est pour nous tous. Il défend l’idée que la souveraineté n’est pas une suggestion, que la guerre n’est pas un bruit de fond, que la justice a toujours son mot à dire”.
Après les mots, les actes ?
A la suite des premières déclarations, les parlementaires ont eu l’occasion de questionner le président ukrainien. Christopher Chope, membre du bureau du Groupe des Conservateurs européens, Patriotes & Affiliés (CEPA) a demandé à Zelensky comment apporter une aide supplémentaire. Le président du Groupe des socialistes, démocrates et verts Frank Schwabe a quant à lui évoqué la reconstruction de l’Ukraine, et la co-présidente du Groupe pour la gauche unitaire européenne Laura Castel a fini par lui demander sa vision d’une paix durable.
Le président ukrainien a ensuite répondu par des propositions concrètes. Il a premièrement appelé les pays européens à investir en Ukraine. Il a insisté sur le fait que les investissements réalisés pendant la guerre démontrent la croyance “en l’indépendance de l’Ukraine et que l’Ukraine l’emportera”. Il a exprimé sa reconnaissance pour le soutien politique que l’Europe lui assure, mentionnant plusieurs fois, “l’extrême importance de celui-ci”. Ensuite, il a expliqué avoir besoin d’un soutien militaire pour tenir. Cependant, il estime que pour en finir avec cette guerre, il est nécessaire de faire chuter l’économie de la Russie, en appelant à des sanctions maximales dans plusieurs domaines : secteur bancaire, de l’énergie, et sur les composants destinés aux industries de défense.
Pour finir, Zelensky a invité les européens à maintenir leur alliance avec Donald Trump afin d’éviter que Moscou ne finisse par les “détruire”.
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