Stop au « vieux monde » : Planet first !

Double article « pour ou contre la reprise des négociations commerciales entre les États-Unis et l’Union européenne ? »

, par Alexandre Duporte

Stop au « vieux monde » : Planet first !
Une manifestation de Fridays for future. Source : Flickr (© Jörg Farys / Fridays for Future)

Pour ou contre la reprise des négociations commerciales entre les États-Unis et l’Union européenne ? Le sujet fait débat, même au sein de notre rédaction. Alexandre Duporte soutient le fait que le libre-échange actuellement pratiqué est contradictoire à l’urgence climatique et plaide pour un nouveau paradigme de développement.

Après l’échec en 2016 des négociations autour du TTIP (Transatlantic Trade and Investment Partnership), également dénommé TAFTA (Transatlantic Free Trade Agreement), les accords commerciaux entre l’Union européenne (UE) et les États-Unis reviennent sur la table. Faut-il reprendre les discussions pour des relations commerciales approfondies ? Sur le plan économique, peut-être. Mais si nous adoptons un prisme environnemental, sans doute pas.

Des bénéfices économiques incertains

Le climat se réchauffe, les catastrophes naturelles s’intensifient, les migrations climatiques s’accentuent, la biodiversité se meurt et les populations animales disparaissent. Avons-nous vraiment besoin de rappeler l’urgence environnementale en 2020 ? Et pourtant, des nouveaux accords économiques sont susceptibles d’être bientôt négociés avec les États-Unis de Donald Trump.

Si nous nous basons sur le dernier accord débattu, le TTIP, les bénéfices économiques sont présents, néanmoins minces. Visant à éliminer les droits de douanes et à harmoniser les standards, le TTIP aurait permis d’échanger davantage de biens et de services entre l’Union européenne et les États-Unis, encourageant ainsi la croissance économique et la création d’emplois. L’annonce d’une croissance annuelle du PIB de 0,5% (120 milliards) par la Commission européenne en 2013 est cependant remise en cause. Des études ont montré une augmentation de seulement 0,01%, et sur une période de 10 ans (Hartmann 2013, 22).

Une autre motivation se cacherait derrière la volonté affichée des dirigeants américains et européens de créer « la plus grande zone de libre-échange au monde ». Il s’agirait plutôt de contrebalancer l’émergence d’économies en forte croissance comme celle de la Chine, et de booster l’expansion des entreprises européennes et américaines (Ibid).

Le libre-échange, phénomène d’envergure défendu par certains…

Prenons du recul pour imaginer l’impact environnemental du libre-échange, principe qui serait au cœur d’un accord entre l’UE et les États-Unis. L’augmentation de la part du commerce international dans le PIB mondial entre 1960 et 2015 – de 24% à 58% – nous renseigne sur son impact potentiel sur l’environnement (Carter 2018, 282). 37% des émissions globales des énergies fossiles proviennent du transport international, à quoi s’ajoute 23% des émissions globales provenant du carbone incorporé dans les marchandises échangées (Abbas 2013, 35).

Pour les penseurs libéraux, le libre-échange est positif pour l’environnement (Carter 2018, 282). L’argument central de la thèse néolibérale est qu’il contribue à la croissance économique, ce qui génère la prospérité nécessaire au financement d’améliorations environnementales. Pour étayer cette théorie, ils s’appuient sur la courbe de Kuznets environnementale (CKE). Celle-ci suggère qu’il y a une relation directe non linéaire en forme de « U inversé » entre le revenu par habitant et la qualité environnementale ; le revenu augmentant, la dégradation environnementale va d’abord augmenter et ce jusqu’à un certain point, après lequel elle va décliner (Ibid, 245).

Cependant, ce modèle est remis en cause pour diverses raisons, comme sa définition de la nature de la pollution, le postulat que la détérioration de l’environnement est réversible et la non-prise en compte d’un « effet d’envergure » (Abbas 2013).

…et malgré tout néfaste pour l’environnement

Concernant la thèse néolibérale sur le libre-échange, les bénéfices potentiels retirés sont rapidement éclipsés par l’ensemble de la croissance de l’activité économique. Plus de commerce signifie en général plus de pollution parce que davantage de biens finis ou partiellement finis sont transportés autour de la terre. Si les gains de rendement conduisent à des baisses de prix, alors la demande pour ces biens va augmenter et induire une hausse de la consommation.

Le libre-échange échoue actuellement à prendre en compte les coûts externes environnementaux de l’activité économique : le prix qu’un consommateur paye pour un bien n’inclut pas la valeur totale de la ressource naturelle (comme son « irremplaçabilité ») ou les coûts de transports (à l’échelle d’un pays, les coûts liés à la gestion des problèmes de pollution et à l’augmentation des émissions de CO2). Donc l’augmentation du commerce conduit à davantage de destruction environnementale (Carter 2018, 284).

Par exemple, les effets positifs liés à l’amélioration du carburant des avions ont été annihilés par la croissance spectaculaire du trafic aérien, provoquant finalement une augmentation des émissions aériennes de gaz à effet de serre (GES) de 76,1% entre 1990 et 2012 (Ibid, 283).

Par la même occasion, le libre-échange peut aussi exacerber les inégalités économiques et les dommages environnementaux (Ibid, 284). La spécialisation de la production concentre la pollution dans certains endroits, typiquement dans les pays et régions en développement, alors que les pays riches bénéficient de ces biens avec un dommage environnemental moindre. La thèse du « paradis des pollueurs » suggère que le libre-échange encouragerait un pays en développement à exploiter un possible avantage comparatif en utilisant les faibles régulations environnementales nationales comme une sorte de subvention, sous forme de « non-taxe », pour encourager les industries polluantes à s’y installer, et booster ainsi son économie.

Changer de paradigme

Ces accords de libre-échange sont entrepris sous le biais du paradigme économique. Dans le plan d’action pour l’environnement de la conférence de Stockholm en 1972, il était stipulé « tous les pays […] acceptent de ne pas invoquer leur souci de protéger l’environnement comme prétexte pour appliquer une politique discriminatoire ou réduire l’accès à leur marché » (Abbas 2013, 33). Plus tard, est apparue la thèse du « soutien mutuel » entre les politiques commerciales et environnementales, mais l’OMC (Organisation mondiale du commerce) est accusée de maintenir une hiérarchie des valeurs favorables au libre-échange, limitant ainsi les politiques climatiques (Ibid, 34 ; Carter 2018, 286).

Or, le spectre d’une crise environnementale planétaire doit amener les sociétés à adopter, à la place, un paradigme environnemental. L’idée n’est pas d’opposer la protection de l’environnement à l’économie mais de prendre les décisions économiques dans un cadre favorable au développement durable en privilégiant l’urgence environnementale.

L’importance des standards environnementaux

Si nous revenons au cas d’un accord de libre-échange avec les États-Unis, quid des différences de standards environnementaux ? Chez nos partenaires transatlantiques, les OGM (Organismes génétiquement modifiés) non-labellisés sont autorisés, tout autant que l’utilisation d’hormones dans les élevages d’animaux (Gerry 2013). Depuis les années 90, l’Union européenne n’autorise pas ces procédés en se référant au principe de précaution.

Néanmoins, des négociations sur un accord de libre-échange entre les États-Unis et l’Union européenne serait l’opportunité d’homogénéiser des standards environnementaux forts et de créer un puissant précédent pour le reste du monde qui souhaiterait échanger avec ce nouvel espace commercial. Mais la présence d’une administration américaine climato-sceptique à la table des négociations laisse peu d’espoir à cette éventualité.

Dans une perspective écologique, il reste donc préférable de refuser de nouveaux accords commerciaux avec les États-Unis et d’imaginer une « autre » globalisation. Une globalisation compatible avec l’urgence environnementale, objectif auquel serait soumise la libéralisation des échanges. Une globalisation qui s’ajuste aux défis environnementaux, sociaux et économiques du XXIème siècle.

Sources :

Abbas, Mehdi. 2013. « Libre-échange et changements climatiques : « soutien mutuel » ou divergence ? ». Mondes en développement 2 (62) : 33-48.

Alons, Gerry. 2013. « The TAFTA/TTIP and agriculture : making or breaking the tackling of global food and environmental challenges ? ». The Transatlantic colossus. Global contributions to broaden the debate on the EU-US free trade agreement.

Carter, Neil. 2018. The politics of the environment. Ideas, Activisim, Policy. Third edition. Cambridge University Press. New York

Hartmann, Alessa. 2013. « TAFTA/TTIP : no thank you ! That’s not what a transatlantic partnership means ». The Transatlantic colossus. Global contributions to broaden the debate on the EU-US free trade agreement.

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