La possibilité pour les électeurs de faire un choix significatif lors des élections européennes en mai 2019 dépendra de plusieurs choses : si les leaders nationaux respectent le système des Spitzenkandidaten, si le Parlement européen dans son ensemble continue à soutenir le processus, et si les partis parviennent à promouvoir leur candidat tête de liste. Néanmoins, cela dépendra aussi de l’existence de différences significatives entre ces candidats. Quels enjeux Manfred Weber et Frans Timmemans mettent-ils respectivement en avant ? Quelles différences y’aurait-il si l’un plutôt que l’autre prenait la tête de la Commission ? [1]
Manfred Weber : un conservateur conciliant
Le Bavarois Manfred Weber, désigné à l’issue de l’élection interne du PPE face à Alexander Stubb, représente l’aile conservatrice du parti. Connu en politique pour son attitude de recherche de compromis, il a adopté un ton moins agressif envers le Fidesz, parti du Premier minsitre hongrois Viktor Orban, dont la place au sein du PPE est contestée (bien qu’en septembre dernier, Manfred Weber ait voté en faveur du déclenchement de l’article 7 contre le gouvernement hongrois). [2]. Son profil de personnage unificateur et non clivant est d’ailleurs un facteur ayant joué dans sa désignation comme chef du PPE au Parlement européen (poste qu’il occupe depuis 2014). Politico Europe avait d’ailleurs souligné que Manfred Weber ne défendait ni l’austérité ni le fédéralisme, deux sujets de controverses. A propos de l’immigration, un enjeu clé pour la campagne à venir, le député européen a insisté sur la gestion des frontières extérieures de l’UE et le soutien financier des pays d’Afrique du nord, pour que davantage de demandes d’asile soient traitées en-dehors de l’Europe.
Bien que Manfred Weber bénéficie du soutien des partis démocrates-chrétiens à travers l’Europe et que son travail parlementaire soit reconnu par ses pairs, il n’est pas franchement le plus connu des politiciens de l’Union européenne. Les critiques soulignent également que Manfred Weber n’a aucune expérience du pouvoir exécutif, n’ayant jamais été ministre. A l’opposé, un Alexander Stubb énergique et à l’aise avec les médias aurait pu être un meilleur Spitzenkandidat pour susciter l’intérêt des citoyens européens pour les politiques européennes. Contrairement à Manfred Weber, le Finlandais avait publié un manifeste de campagne en amont de l’élection au sein du PPE. Malgré tout, à l’occasion d’une interview accordée à Politico le mois dernier, Manfred Weber évoquait la nécessité pour le Président de la Commission européenne de ”se reconnecter” avec les citoyens européens, en étant physiquement présent. C’est un domaine dans lequel Manfred Weber a de l’expérience, connu pour engager volontiers la conversation aves les habitants de son village de Wildenberg. Au congrès du PPE, il a en tout cas aisément convaincu les membres de son parti : il s’agit maintenant de convaincre les électeurs.
Frans Timmermans : un champion de l’Etat de droit et bras-droit de Juncker
En tant que premier Vice-président et Commissaire européen pour l’amélioration de la législation, les relations institutionnelles, l’Etat de droit et la Charte des droits fondamentaux, Frans Timmermans incarne la lutte de la Commission européenne pour défendre le principe de l’Etat de droit face aux récentes politiques controversées du gouvernement conservateur en Pologne, entre autres. Sa position ferme contre la Pologne cette année l’a parfois mis en porte-à-faux face à certains de ses collègues de la Commission, y compris le Président Juncker lui-même. Frans Timmermans a également joué un rôle clé dans la gestion par la Commission de la récente crise migratoire et du référendum d’indépendance catalan, mais avait été écarté au profit de Michel Barnier pour mener les négociations du Brexit.
Le Curriculum Vitae de Frans Timmermans est considérable : avant de rejoindre la Commission, il a été député à la Seconde chambre des Etats généraux des Pays-Bas, ministre des Affaires étrangères de 2012 à 2014, et Secrétaire d’Etat aux Affaires européennes entre 2007 et 2010. Polyglotte, doué en rhétorique, il a été salué comme ”sans doute le meilleur communicant de l’UE du XXIème siècle”. Au même moment, cependant, des critiques ont relativisé la force de sa candidature, dans la mesure où son parti national, le Parti travailliste néerlandais, est actuellement affaibli et s’est retrouvé dans l’opposition suite aux élections de 2017.
Ce Néerlandais de centre-gauche est connu pour ses idéaux sociaux-démocratiques, y compris en politiques sociales, méfiant face aux politiques qui reposeraient trop sur l’auto-régulation des marchés. Dans une interview accordée au Financial Times, il a récemment affirmé que la lutte contre le nationalisme et la protection des valeurs de l’UE seraient ses priorités lors des élections. Le Président du PSE, Sergei Stanishev, a également assuré que Frans Timmermans ”mettrait la justice sociale, l’égalité et le développement durable au coeur de notre programme électoral”. Frans Timmemans est ayssi connu pour avoir défendu les quatre libertés de circulation (des personnes, des biens, des services et des capitaux) ainsi que des règles de taxation plus justes pour les multinationales, tout en voulant s’assurer que les règles de dette et de déficit de la zone euro soient respectées par les Etats membres.
Deux candidats de ”l’establishment” pour affronter les défis à venir
Les deux candidats ont mis en avant l’importance de protéger les valeurs européennes lors de cette élection. Frans Timmermans a davantage insisté sur ce point à travers son engagement et son travail concernant l’Etat de droit en Pologne. Il faut le reconnaître, le fait que le Fidesz de Viktor Orban soit membre du PPE a compliqué les choses pour Manfred Weber, l’élection interne face à Alexander Stubb ayant montré que l’allemand est loin d’être le membre le plus sévère du PPE sur le sujet. Alors que les sociaux-démocrates continent d’accuser le PPE et Manfred Weber de se montrer trop indulgents envers la Hongrie, il est certain que ce problème demeure un point de désaccord entre les deux partis. Après les élections, il sera intéressant d’observer si de futurs conflits sur le sujet émergeront au sein de la ”grande coalition” du PPE et du PSE qui domine actuellement les politiques de l’Union européenne.
Une autre différence importante et potentiellement décisive entre les deux candidats est leur relation avec le Conseil européen. Comme nous l’avons mentionné plus haut, Manfred Weber est un député européen reconnu, mais n’a jamais été Premier ministre et n’a jamais occupé de poste au gouvernement. Cela sera vu comme une faiblesse par les leaders nationaux au Conseil européen, qui ont toujours préféré choisir le Président de la Commission au sein de leurs propres rangs. Tous les Présidents précédents de la Commission ont au moins été ministres. De la part d’un Conseil européen ayant à coeur de garder le contrôle sur le processus de sélection du Président de la Commission, face à un Parlement européen de plus en plus ambitieux, un député européen tel que Manfred Weber n’apparaît pas forcément comme le choix le plus tentant. D’un autre côté, la ”croisade” de Frans Timmermans pour déclencher l’article 7 ne lui a pas attiré beaucoup de sympathie parmi les gouvernements de droite en Europe de l’Est représentés au Conseil européen, ni parmi les eurosceptiques, qui sont susceptibles de constituer une part non négligeable des députés européens après les élections.
Cependant, si une majorité d’eurodéputés sont engagés dans la procédure des Spitzenkandidaten et sont prêts à forcer la main au Conseil européen, celui-ci a finalement peu d’alternatives à la nomination d’un Spitzenkandidat comme Président de la Commission. Et si les eurosceptiques se retrouvent en minorité au Parlement européen, ils échoueraient dans leur mission de sabotage de la procédure.
Un autre obstacle potentiellement sérieux pour les candidats du PPE et du PSE est le fait que le parti libéral de l’ALDE ait refusé de soutenir la procédure des Spitzenkandidaten en ne désignant non pas un candidat unique mais une liste, ou « Spitzenteam » allant jusqu’à neuf représentants. L’ALDE, désormais de concert avec La République En Marche, clame qu’il s’agit là d’une option plus démocratique que le système des Spitzenkandidaten, dont ils affirment qu’il favorise les grands partis de "l’establishment” comme le PPE.
En conséquence, la première tâche des candidats du PPE comme du PSE sera de s’assurer que la procédure des Spitzenkandidaten prévale, bien qu’elle manque de soutien au sein du Parlement européen lui-même. Une campagne visible et engagée, de la part de Manfred Weber comme de Frans Timmermans, ainsi que d’autres partis comme les Verts, qui désigneront prochainement leur Spitzenkandidat, bénéficiera à la démocratie européenne. Des manifestes clairs et différenciés, montrant concrètement ce que les partis représentent et en quoi ils diffèrent sont aussi d’une importance capitale. Au mieux, ce contexte est une opportunité en or pour montrer aux Européens qu’il existe un choix significatif à faire entre différentes visions pro-européennes, et non pas seulement entre pro-européens et anti-européens.
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