Slava Ukraïni ! Les dessous de Maidan

2nd partie

, par Dimitri Halby

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Slava Ukraïni ! Les dessous de Maidan

Le Taurillon ouvre ses colonnes à un Français revenu d’Ukraine après avoir suivi la révolution de très près. Il nous décrypte la situation.

Je m’appelle Dimitri, un prénom Russe, mais je suis français, j’habite en Irlande et ma femme est née en Ukraine. Oui, je sais, c’est compliqué. Lorsque la révolution a pointé le bout de son nez sur la place Maidan, j’ai suivi ça de prêt. Pendant 3 mois, j’admirai le courage des manifestants restant stoïquement sur place par -10, -20, arrosés à coup de lance à incendie par les forces de l’ordre. Et puis, la semaine dernière, la première vague de morts. Pas juste un ou deux mais une bonne vingtaine le mardi. Le mercredi on était accroché aux nouvelles, espérant que ça se débloque mais le jeudi, deuxième vague, encore pire, une soixantaine de morts. Ma femme était en pleurs jusqu’à ce que je lui propose de partir à Kiev et d’aller rejoindre les révolutionnaires sur Maidan…

Au retour d’Ukraine, pas mal de mes amis me posaient des questions pour savoir si ce que disaient les médias était vrai. Je me suis rendu compte qu’il y avait beaucoup d’omissions et d’inexactitudes, voire d’ignorance. Voici mon point de vue sur les grandes questions posées sur le conflit.

Il y a eu un bain de sang, ça aurait pu être pire ?

Bien sûr. La grande chance des manifestants a été le fait que la police se mette à leurs côtés et que l’armée refuse d’attaquer. On a retrouvé un plan d’attaque de Ianoukovitch qui était destiné à miner le mouvement et tuer pas mal de gens : les opérations Boomerang et Wave.

Dans le détail, les plans prévoyaient d’encercler la place pour un jeu de massacre avec déploiement de 22,000 policiers, dont 2,000 Berkouts et 224 officiers du groupe anti-terroriste Alpha SBU (services de sécurité de l’Ukraine), dont sept snipers. En plus de cela, 17 agent-provocateurs SBU devaient infiltrer le campement des manifestants sur Maidan. A côté de ça, 4 groupes d’officiers SBU devaient se rendre dans le centre de Kiev pour attaquer des civils au hasard, détruire des propriétés privées en prétendant être des révolutionnaires pour saper la réputation du mouvement.

Des parties du plan ont été mises à exécution : la plupart des morts de la journée de jeudi sont l’œuvre des snipers, les entrées de métro et de la place ont été fermées pour éviter la fuite des protestataires, etc. Pour le reste, on pense qu’il y a eu refus de la part de certains militaires et policiers de participer au plan.

On entend beaucoup parler de l’extrême-droite, de fascistes qui seraient une majorité sur Maidan, c’est vrai ?

Nous n’avons vu aucun signe fasciste excepté deux svastikas mais rien ne prouve qu’elles n’aient été peintes par des provocateurs (titouchkis, payés par Ianoukovitch). L’extrême-droite est présente tout autant que l’extrême-gauche, la droite, la gauche, le centre. Il n’y a pas d’extrême droite majoritaire à Maidan. La véritable chose positive qu’Ianoukovitch ait accomplie, est de réunir dans un même mouvement tous les mouvements politiques du pays ou presque, de l’extrême-gauche a l’extrême -droite en passant par les modérés. Tous unis contre lui et contre la corruption en général.

J’ai vu des photos, c’est impressionnant ! Alors tout le pays était à feu et à sang ?

Non, la plupart des morts ont eu lieu autour de Maidan et sur la place elle-même. Quelques rues plus loin, dans Kiev même, les gens faisaient leur courses comme si de rien n’était. Pour les autres villes, il y a eu des blessés également mais tous les événements restaient très centralisés, ce qui a certainement aidé à accélérer les choses.

Y avait-il des casseurs/agresseurs/pilleurs parmi les manifestants comme l’a affirmé Ianoukovitch dans sa dernière intervention ?

Au contraire, une des choses les plus impressionnantes en arrivant sur Maidan au lendemain de la tuerie de jeudi est qu’après 3 mois de manifestations, la plupart des magasins étaient intacts ! Les manifestants les protégeaient contre les casseurs/provocateurs payés par le gouvernement (les fameux titouchkis). Les seuls pillages qui auraient dû avoir lieu, mais ont été bloqués par la fuite de Ianoukovitch, étaient commandés par lui auprès de ses forces spéciales pour déstabiliser le mouvement. Pareil pour les « pogroms » évoqués par Ianoukovitch. Au contraire, tout était calme et il est dur d’imaginer que la semaine dernière, les snipers tiraient dans tous les sens.

Qu’est ce qui t’as le plus étonné lors de ta visite de Maidan ?

La première chose : l’organisation des protestataires. Vraiment impressionnant, tout le monde a un rôle, des fourneaux aux combattants. Quand nous sommes partis, ils avaient empilés tous les pavés qui avaient été enlevés la semaine précédentes pour pouvoir les remettre en place. Le volontariat également, il y a une queue tous les jours de volontaires pour faire des sandwichs pour des dizaines de milliers de personnes, prêter sa voiture pour transporter des matériaux ou des personnes, etc. Dans les bâtiments utilisés par les manifestants, les endroits pour coucher sont organisés également (places disponibles indiquées).

La solidarité : le pays est pauvre et en crise mais tout le monde donne pour la cause révolutionnaire, que ça soit une carte de crédit téléphonique (beaucoup de besoin à ce niveau pour l’organisation et la communication) ou encore, comme on nous a proposé sur une barricade, des manteaux de pluie neufs pour nous protéger, des casques, etc.

Autre chose : le rôle engagé de l’église, nous sommes allés assister à une messe à la mémoire des morts et une partie de l’église était cachée derrière un rideau car elle servait de base à la « croix rouge » (en réalité toute personne voulant aider à transporter les blessés ou ayant un minimum de connaissances médicales). D’une manière générale, les hommes d’église sont au front, non pour se battre avec des armes mais avec des discours et des prières.

Il parait que les protestataires étaient armés quand ils attaquaient la police, exact ?

Oui, de bric et de broc comme on dit. Je n’ai pas vu une seule arme à feu par exemple. Les protections se résumaient en général à des plaques de métal censé imiter les gilets pare-balle, des boucliers en bois, des casques de vélo, etc. Les « armes », elles, étaient les pavés arrachés du sol, des cocktails molotovs et tout ce qui pouvait plus ou moins ressembler à un gourdin : pieds de table, etc.

Quasiment jusqu’à la fin, les protestataires n’étaient pas armés du tout, la plupart des morts des tirs de snipers n’avaient même pas un bâton pour se défendre (nous avons beaucoup discuté avec les personnes qui étaient là ce jour-là et ont aidé à retirer les blessés). Les combattants sont maintenant plus armés car ils ont récupéré du matériel auprès de la police et ils pensent qu’ils doivent se défendre contre une éventuelle agression.

Sur les photos, vous pouvez voir des gilets pare-balle et des boucliers en métal confisqués au policiers mais c’est uniquement parce que ceux-ci se sont rangés du côté du peuple et leur ont fourni ce matériel. Lors de la tuerie des snipers du jeudi, personne n’avait d’armes ou de protection adéquate, un jeu de massacre commandé par Ianoukovitch…

Il y a des morts parmi la police mais il semblerait qu’ils aient été tués par les mêmes snipers qui ont descendus les manifestants. Par exemple, le chef des Berkouts a expliqué que dès son arrivée sur place, un sniper a blessé 12 personnes de son équipe.

Photo : Dimitri Halby et Oksana Halby, common license Article écrit avec l’aide d’Oksana Halby Retrouvez une composition originale : https://soundcloud.com/gealach-2/slava-ukra-ni-geroyam-slava

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