« Sinimustvalge » : histoire du drapeau de l’Estonie

, par Alexis Vannier

« Sinimustvalge » : histoire du drapeau de l'Estonie

« Bleu-noir-blanc », trois couleurs arborées fièrement par un peu plus d’un million d’Estoniens ce 24 février qui marque la déclaration d’indépendance du pays en 1918. L’Estonie, membre de l’URSS de 1940 à 1991, considère cette période comme une invasion étrangère, comme une longue parenthèse dans l’histoire de son indépendance. En 2018, le pays a donc fêté très officiellement son centième anniversaire.

La difficile quête de l’autonomie

L’Estonie est une construction plus ou moins récente, dans une région dominée par des puissances extérieures suédoises, danoises, russes et vikings. Elle tient ses origines dans la Livonie, duché sous contrôle suédois de 1629 à 1721 qui constituait alors la seule partie sud de l’Estonie actuelle. La Livonie arborait alors un drapeau aux couleurs rouge (pour la force), vert (pour le territoire essentiellement forestier) et blanc pour la neige, disposées horizontalement. Des éléments géographiques que nous retrouverons par la suite. L’invasion russe, dans le courant du XVIIIème siècle, y place un gouvernement fantoche. Nouvelle entité parmi la kyrielle qui forme l’immense Empire russe, le Gouvernement d’Estonie hisse un drapeau horizontal vert-violet-blanc. C’est au cours de cette période que les mouvements indépendantistes antirusses prennent de l’ampleur. La Société des étudiants estoniens de Tartu, la Virumaa, fondée en 1870 au sein de l’université de cette ville de l’est de l’Estonie adopte les trois couleurs bleu-noir-blanc dès 1881. Son caractère politique et militant en fera un fer de lance de l’indépendantisme national, quarante ans après le Printemps des peuples. Le 26 mars 1884, alors que les autres associations étudiantes tournent le dos à la Virumaa pour éloigner la colère russe, une membre de la Société tisse le premier exemplaire en soie du drapeau national, selon la disposition actuelle. Il est toujours visible dans le futuriste Musée national. Il se propagera ensuite parmi les indépendantistes locaux. À la proclamation de la République d’Estonie, le 24 février 1918, le tricolore bleu-noir-blanc est hissé partout, avant son adoption officielle le 21 novembre suivant. Le tricolore horizontal est ainsi préservé alors que les propositions fleurissent : pour rapprocher le pays de leurs voisins du Nord, certains proposent d’adopter la croix scandinave en gardant les trois couleurs. Cependant, l’engouement n’est pas au rendez-vous et le tricolore horizontal est maintenu. Mais, le drapeau tricolore est maintenu pour peu de temps : dès 1940 la moitié orientale de l’Europe est partagée comme un gros gâteau, par les puissances totalitaires nazie et soviétique. Rouge, puis brune, puis de nouveau rouge, l’occupation du pays fait disparaître les couleurs nationales en même temps que toute liberté. La tour Pikk Hermann, l’Eiffel de Tallinn, voit ainsi son bleu-noir-blanc tomber. Officiellement autorisé par les deux puissances au début des années 1940, le drapeau national est supplanté par la bannière rouge dès 1944 sur laquelle la faucille et le marteau sont surmontées des lettres ENSV pour Eesti Nõukogude Sotsialistlik Vabariik, République socialiste soviétique d’Estonie. À la mort de Staline en 1953, un certain dégel se fait sentir concernant l’acceptation des identités nationales, constituantes de l’identité soviétique. Ainsi, les drapeaux sont modifiés pour ajouter un élément distinctif : l’Estonie hérite de deux vagues bleues et blanches (qui rappellent le drapeau actuel des Kiribati) symbolisant les rives de la Baltique, que l’on retrouve, quasi-identiques, sur le drapeau soviétique letton. Cependant, profitant de la lente déliquescence de l’URSS, la tour Pikk Hermann retrouve son tricolore favori dès le 24 février 1989, 71 ans après la proclamation de la République, et de manière un peu plus officielle le 20 août 1991 pour la restauration de l’indépendance. À ce moment-là, les mêmes débats reviennent sur l’adoption de la croix nordique pour remplacer le tricolore « à la baltique ». Mais le dessin de Tartu est trop profondément ancré, l’identité nationale déjà forgée, le tricolore horizontal résiste une nouvelle fois aux sirènes « nordistes ». Le récent refus du Conseil arctique de faire de l’Estonie un membre observateur marque une nouvelle limite à cet appel du nord.

Sinine (bleu), Must (noir), Valge (blanc)

Le célèbre poète estonien du début du XXème siècle Martin Lipp, a donné une interprétation communément admise aux couleurs estoniennes : le bleu pour le ciel surplombant la terre-patrie, le noir pour l’attachement des estoniens au sol ainsi que le destin tragique qu’ils ont connu durant des siècles et le blanc pour la pureté, le dur labeur et l’engagement du peuple. Une version romantique aperçoit dans cette bannière, un ciel d’hiver surplombant une forêt de pins noirs sur un sol enneigé. Plus poétique, non ? Comme de nombreux autres pays (Ukraine, Slovaquie ou encore Malte), l’Estonie prévoit un drapeau spécial pour sa présidence, le tricolore surplombé des armoiries nationales. Les armoiries d’Estonie, adoptées en 1918, reprennent le lion, en trois exemplaires, du blason du roi danois Valdemar II, alors roi d’Estonie durant son règne de 1202 à 1241. Des rameaux de chênes dorés entourent le blason comprenant les trois lions bleus. Le pavillon de beaupré, utilisé sur les navires estoniens, reprend les couleurs du drapeau mais avec une disposition rappelant celle de l’Union Jack britannique, à l’instar des pavillons de beaupré letton, bulgare ou encore russe. À noter enfin que les couleurs estoniennes sont les mêmes, à quelques nuances près, que le drapeau de la république africaine très éloignée géographiquement, culturellement, linguistiquement et politiquement du Botswana.

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