La colère grandissante des étudiants serbes
Le 1er novembre 2024 s’effondrait l’auvent récemment rénové de la gare de Novi Sad, en Serbie. Faisant 15 morts, cet incident a provoqué une vague de révoltes chez les étudiants serbes. Très vite, ils se rassemblent régulièrement à l’heure du drame, 11h52, et effectuent 15 minutes de silence. Mais ce qui a commencé comme une série de rassemblements pour honorer les victimes a vite évolué. Au fil des semaines, les manifestations se sont enchaînées, prenant toujours plus d’ampleur. Selon la population serbe, cet incident est dû à la corruption présente au sein du gouvernement d’Aleksandar Vučić, qui avait conclu un accord avec la Chine et la Hongrie en 2013 dans le cadre de la modernisation des structures ferroviaires du pays.
Lors de la manifestation du 22 novembre dernier, le mouvement a pris un tournant décisif. Durant le quart d’heure de silence habituel, certains manifestants ont été violemment attaqués par un groupe de personnes pro-Vučević, sous les yeux de la police qui n’a rien fait pour arrêter l’agression. Depuis cet événement, les manifestations se sont intensifiées, et en plus des établissements d’enseignement supérieurs occupés, les enseignants ont commencé des grèves à durée indéterminée. Un mois plus tard, ce sont 100 000 étudiants, lycéens, professeurs et agriculteurs qui se rassemblent sur la place Slavija à Belgrade, marquant la plus grosse manifestation depuis l’an 2000. Fin janvier, de nouvelles attaques violentes ont lieu envers les manifestants, provoquant la démission de Vučević, premier ministre serbe.
En février, les étudiants avaient organisé une marche de Belgrade à Novi Sad afin de bloquer les trois ponts sur le Danube. Cette marche avait provoqué une nouvelle vague de soutien des habitants serbes, qui étaient descendus dans la rue pour nourrir et aider les marcheurs. Des compagnies de taxis avaient même offert de ramener les manifestants à Belgrade gratuitement. Ces deux dernières semaines, un groupe de cyclistes a effectué la route de Novi Sad à Strasbourg afin d’alerter la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) et de porter leurs revendications devant les institutions européennes. Après 13 jours de voyage, ils ont atteint Strasbourg le 15 avril au soir, où ils ont été salués dans une ambiance de fête, le tout ayant été retransmis sur écran géant dans la ville, mais également à Novi Sad.
Une Europe silencieuse
Aujourd’hui, ces manifestations étudiantes représentent le mouvement le plus massif qui ait eu lieu en Serbie depuis les manifestations de l’an 2000 ayant fait chuter l’ancien président Slobodan Milošević. Mais là où Milošević n’avait pas réussi à mener une politique étrangère efficace, Vučić, lui, a pu à se faire des alliés au-delà de ses frontières. Bien que la Serbie ait envoyé 800 millions de dollars de munitions en Ukraine depuis 2022, elle refuse d’imposer des sanctions à la Russie. Elle s’est également rapprochée de la Chine, notamment pendant la crise sanitaire du Covid 19, chez qui elle a acheté ses vaccins. De plus, elle mène une politique étrangère compatible avec l’administration Trump.
En revanche, l’Union européenne est restée relativement silencieuse ces six derniers mois, adoptant une politique du « wait and see » (“attendre et voir”). Le 25 mars dernier, la CEDH a néanmoins demandé à la Serbie de s’expliquer sur l’utilisation d’armes soniques lors de la manifestation ayant eu lieu dix jours plus tôt à Belgrade. De son côté, Gert Jan Koopman, directeur général de la Commission pour l’élargissement, a déclaré que l’UE « n’acceptera ni ne soutiendra un changement de pouvoir violent en Serbie », des propos soutenus par Kaja Kallas, cheffe de la diplomatie européenne.
Entre-temps, Vučić, arrivé au pouvoir il y dix ans en promettant de lutter contre les détournements d’argent public, reste à la tête d’un pays dont l’index de perception de la corruption (IPC) est parmi les plus élevés. En 2024, sur 180 pays évalués par l’ONG Transparency International, la Serbie se trouvait en 105ème position et selon Amnesty International, le gouvernement serbe utilise couramment des logiciels espions intrusifs et fait une utilisation abusive de certains outils contre les manifestants.
Vučić ciblé, l’Europe interpellée
Cette série de manifestations semble cibler de plus en plus directement Vučić et son gouvernement. L’incident de Novi Sad a été l’élément déclencheur d’un mouvement citoyen qui, alimenté par le dégoût de la corruption, exprime aujourd’hui le mécontentement du peuple serbe face à un régime toujours plus autoritaire. Une enquête avait d’ailleurs été ouverte suite à la chute de l’auvent de la gare, mais toutes les personnes inculpées ont finalement été relâchées. Cependant, cela n’a pas découragé les étudiants serbes qui, depuis le soir du 14 avril, bloquent les locaux de la radio et de la télévision serbe à Belgrade. La programmation a même dû être ajustée et le journal télévisé n’a pas pu être diffusé ce weekend. Les manifestants ont déclaré qu’ils continueront « jusqu’à ce qu’un nouveau concours de sélection des membres du Conseil de l’Organe de régulation des médias électroniques (REM) soit annoncé ».
Aujourd’hui, les étudiants ont une liste simple de quatre revendications qui, pour l’instant, n’ont pas été honorées : publier toute la documentation sur la reconstruction de la gare de Novi Sad et poursuivre pénalement les responsables de l’effondrement de l’auvent, engager des poursuites pénales contre les responsables des attaques contre les manifestants, abandonner les charges criminelles contre les personnes arrêtées lors des manifestations et augmenter de 20% le budget de l’enseignement supérieur. Le 15 mars, lors d’un rassemblement réprimé de manière particulièrement violente à Belgrade, une voiture fonce dans la foule et fait trois blessés. Suite à cet incident, les étudiants serbes ajoutent une cinquième revendication : l’ouverture d’une enquête détaillée sur ces faits. Cette cinquième demande avait été entendue par la CEDH et depuis, il semblerait que l’Union européenne commence à se pencher plus sérieusement sur le sujet.
Le 9 avril, le Parlement européen publie un rapport dénonçant les lacunes serbes dans des domaines tels que l’État de droit, le système judiciaire et l’alignement sur la politique étrangère de l’UE et appelle à honorer la première revendication des étudiants, soit entamer des procédures judiciaires complètes et transparentes à la suite de l’enquête sur l’incident de Novi Sad. Pendant que le Parlement européen adoptait ce rapport, Macron recevait Vučić à l’Élysée pour réaffirmer son soutien à l’intégration européenne de la Serbie.
Malgré cette avancée sur le front européen, le rapport du mouvement à l’Union européenne reste ambigu. Après de longs mois de silence de la part des institutions de l’UE, les manifestants serbes sont plutôt résignés quant à leur relation avec l’UE, même s’ils reconnaissent la nécessité d’une aide européenne dans leur combat.
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