Strasbourg. L’atmosphère au sein de l’hémicycle est bien plus légère que d’ordinaire. Et pour cause, le Parlement européen invite traditionnellement un dirigeant à s’exprimer le jour de l’Europe. Un an après l’intervention très remarquée par le Président Emmanuel Macron, c’est Olaf Scholz qui s’est prêté au débat “C’est l’Europe” (tel qu’appelé par le Parlement européen).
L’appel à une Union géopolitique et de valeurs d’Olaf Scholz
Avouant lui-même reprendre les éléments principaux énoncés lors du discours de Prague, Olaf Scholz dessine les contours de ce qu’il imagine être une Union géopolitique. Même si cette position, à l’origine très ambitieuse, est désormais partagée par une majorité des députés européens, elle s’explique avant tout par l’invasion russe en Ukraine. Se mettant en opposition claire face à l’impérialisme poutinien, il identifie un certain nombre d’enjeux à aborder en conséquence.
Le discours de manière très pragmatique se recoupe en trois parties : d’abord la place de l’Union européenne sur la scène internationale, puis une réflexion sur les thématiques à régler dans l’immédiat et enfin le respect des valeurs européennes.
Alors que la scène internationale se polarise de nouveau, le chancelier identifie le besoin de redéfinir la position de l’Union européenne avec ses partenaires, qu’ils soient africains, asiatiques ou même voisins de l’Union européenne. Cette attitude selon lui implique de procéder à une réforme interne en matière de politique étrangère.
De manière plus substantielle, le Chancelier aborde également deux sujets auxquels l’Union doit trouver des compromis : la migration et l’environnement. Le Chancelier se félicite ainsi des avancées récentes faites par le Parlement. Celui-ci avait adopté en avril dernier un ensemble de mesures comme la Taxe Carbone aux Frontières ou le Pacte Asile et Migration. Selon lui, ces textes sont essentiels pour donner une réponse aux enjeux européens tout en respectant les valeurs européennes. L’Union doit, pour le Chancelier, continuer dans ce sens, sans pour autant perdre du temps dans des discussions interminables.
Dans la lignée de ces propos, Olaf Scholz annonce aussi ses ambitions en matière d’Etat de droit et de la démocratie. Sans mentionner la Hongrie ou la Pologne, le Chancelier manifeste son soutien à une plus grande fermeté dans le respect des valeurs démocratiques européennes.
Cette dernière proposition, ainsi que l’élargissement à venir, demande selon Scholz à ce que l’on opère une réforme future du fonctionnement de l’UE.
“La démocratie, c’est le débat”
La proposition phare de ce discours réside ainsi dans le soutien affirmé au passage à la majorité qualifiée pour la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et les politiques fiscales. Cette annonce de faire usage de la clause passerelle fait écho à la très sobre déclaration dans laquelle six Etats ont manifesté explicitement leur volonté d’en finir avec l’unanimité.
Bien que cette annonce constitue une petite révolution en soi, le Chancelier se garde pourtant de préciser si cette réforme se ferait dans le cadre des traités actuels ou non. En d’autres termes, il ne dit pas s’il est favorable ou non à l’ouverture d’une convention pour réformer les traités, ce qui n’a pas manqué de générer des frustrations à plusieurs égards chez les eurodéputés. Ces derniers lui ont notamment reproché de ne pas se prononcer sur la demande du Parlement d’activer l’Article 48 du Traité de Lisbonne. Cet article méconnu permet d’engager la formation d’une constituante en vue de réformer les traités.
Face à ces critiques, le chancelier a simplement répondu qu’il était venu pour apporter des pistes de solutions, et non des réponses. La démocratie selon lui se situe dans le débat et la définition du compromis entre forces politiques. Cette remarque mise en perspective avec son discours laisse supposer qu’il ne serait pas favorable à faire avancer l’idée d’une convention au Conseil. Après cette intervention teintée d’un timide optimisme, les députés sont ressortis pour la plupart perplexes.
“Nous n’avons plus le temps”
Un jour seulement après le discours d’Olaf Scholz, c’est un tout autre intervenant qui s’est prononcé devant les eurodéputés. Le Président Marcelo de Sousa, présent à Strasbourg, est venu présenter son analyse des enjeux européens. De manière très brève, le chef d’Etat portugais rappelle que lors de sa dernière intervention au Parlement, la situation géopolitique était bien différente. La communauté internationale croyait encore au respect du droit international. Un cycle parlementaire plus tard, c’est une toute situation qui se présente à elle. Les fondements du droit international, basés sur la diplomatie et le multilatéralisme, ont été remis en question lors de la crise migratoire, du brexit et désormais de l’invasion de l’Ukraine. L’Union européenne, qui prend pour base ces valeurs, s’est vue également remise en question.
Le temps, selon de Sousa, n’est donc plus au dialogue mais à l’action. Le Président identifie succinctement sept enjeux pour l’Europe et propose les attitudes que l’Union devrait adopter. Axé de manière thématique, il élabore ses deux premières questions autour de la place de l’Union européenne dans le monde après la guerre en Ukraine et la question de l’élargissement. A l’instar d’Olaf Scholz, de Sousa souligne le fait que l’Union ne pourra rester la même après l’intégration de nouveaux Etats.
Continuant son raisonnement, Marcelo de Sousa soulève un ensemble de questions autour de la migration, de l’économie, de la lutte contre le changement climatique ou encore concernant les partenariats internationaux. Cependant, le Président se garde d’apporter des solutions. Sa réelle inquiétude réside dans la dernière question qu’il pose.
“L’Union européenne doit accélérer le changement générationnel”
Dans les dix dernières minutes de son discours, le Président portugais accorde sa réflexion à la place des jeunes dans la société européenne. A ses yeux, la jeunesse n’a pas une place assez importante, particulièrement en politique. Une grande partie des enjeux soulevés précédemment ne pourront être correctement résolus si l’Union européenne n’engage pas un renouvellement générationnel.
Pour de Sousa, si l’Union ne donne pas la parole aux jeunes, il y aura à l’avenir un vide politique de plus en plus important qui conduira à la montée des populismes et des anti-européens, voire à un retour de la guerre dans l’Union européenne. Il identifie cette possibilité comme un échec car cela signifierait que l’Union n’a pas su mettre en œuvre ses valeurs. Inclure les jeunes dans la prise de décision est ainsi selon de Sousa l’enjeu majeur car cela constituerait la meilleure solution pour renouveler la démocratie en Europe.
Un bilan décevant
Mise en perspective, on peut constater que les deux intervenants tiennent des propos relativement similaires. Chacun, à sa manière, a identifié le fait que l’Union européenne doit changer sa position aussi bien auprès de ses partenaires qu’en son sein-même. La migration, l’environnement, l’économie sont ainsi des enjeux majeurs auxquels l’Union doit apporter rapidement des réponses. Et pour cela, elle devra se réformer pour mieux répondre à ces enjeux. Si le constat semble correctement décrire la situation, les deux dirigeants se gardent bien d’y apporter des réponses.
Et pour cause, les discours qu’ils prononcent répondent avant tout à des enjeux nationaux. Pour Scholz, il s’agit de présenter au Parlement sa politique internationale, politique intégrant l’Europe certes, mais répondant en premier lieu aux intérêts diplomatiques et économiques de l’Allemagne. En ce qui concerne De Sousa, sa profession de foi envers la jeunesse s’explique par les élections de 2022. Bien que le Portugal soit l’un des pays européens les plus stable politiquement depuis la crise sanitaire, il a pour la première fois vu une percée des partis populistes d’extrême droite et d’extrême gauche.
Ce bilan est d’autant plus frustrant que des citoyens européens se sont réunis devant le Parlement européen pour demander une réforme des traités, comme demandé lors de la Conférence sur l’Avenir de l’Europe. Le 9 mai 2022, le Parlement avait achevé en grande pompe la Conférence sur l’Avenir de l’Europe, qui avait invité les citoyens à proposer des solutions concrètes aux problèmes auxquels l’UE fait face. Bien qu’émanant de la volonté d’Emmanuel Macron, cette Conférence avait réussi à susciter l’émulation des citoyens européens.
Cette année, c’était une toute autre ambiance au Parlement. Le Parlement semble avoir repris son esprit habituel, empreint de bureaucratie, de Realpolitik et de rêves brisés, comme si la Conférence au final n’avait jamais eu lieu. Cette attitude de la part des deux dirigeants s’explique avant tout par notre négligence en tant que citoyens. Nous attendons trop et ne demandons pas assez de nos dirigeants.
Cependant, il reste encore un espoir. En 2024, nous serons appelés aux urnes pour désigner les représentants qui prendront les décisions pour les cinq années à venir. Alors soyons à la hauteur des enjeux, sachons montrer à nos élus que nous voulons une Europe plus forte, plus démocratique et plus respectueuse des droits humains. En 2024, votons et faisons voter pour des députés vraiment Européens.
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