La crise des migrants en Europe est sans précédent. Plus d’un million de demandeurs d’asile s’est présenté aux portes de l’Europe l’année dernière, les images des migrants secourus en mer sont quotidiennes, les photographies de corps noyés échoués sur nos plages ne choquent même plus.
Cette situation inédite fait trembler les fondations mêmes de l’Union européenne. Première institution en péril : l’espace Schengen. En effet l’afflux de migrants remet en cause le bienfondé de l’espace Schengen ainsi que son mode de fonctionnement. On ne compte plus les politiques qui proclament son décès, alors que les 30 ans de l’accord ont été célébrés en juillet dernier.
Initialement signés en 1985, les accords de Schengen prévoyaient la suppression des frontières intérieures entre cinq Etats membres de l’Union : la France, la RFA et les pays du Benelux (Belgique, Pays-Bas et Luxembourg). Ce n’est qu’à partir de 1997 avec la signature du traité d’Amsterdam que les accords de Schengen sont intégrés au droit communautaire. Désormais 26 Etats sont membres de l’espace Schengen. Deux axes de coopération se dégagent : harmonisation des contrôles aux frontières extérieures et renforcement de la coopération policière et judiciaire.
Depuis le début de la crise migratoire cependant, les accords Schengen font l’objet de modifications successives qui fragilisent l’espace au lieu de le renforcer. Les problèmes émergent entre les Etats membres en partie à cause du règlement dit « Dublin II » qui impose aux migrants de déposer leur demande d’asile dans le premier pays où ils ont mis le pied. La plus grande partie du fardeau incombe aux Etats situés aux frontières extérieures de l’espace Schengen, alors même que ces derniers, Italie et Grèce en tête, ne sont pas les destinations finales des migrants, qui cherchent à rejoindre principalement les pays du Nord de l’Europe. Dans les faits la solidarité entre les Etats membres se retrouve compromise.
Le cas du différend qui opposa la France et l’Italie en 2011 est exemplaire. Pour faire face aux arrivées massives de migrants au Sud du pays, le gouvernement italien octroya 25 000 titres de séjours temporaires, donnant de facto le droit à leurs détenteurs de voyager en Europe. Face à l’afflux, le gouvernement français décida de suspendre le trafic ferroviaire à sa frontière avec l’Italie. Bruxelles arbitra en faveur de la France et opéra une modification des règles de libre circulation.
Depuis 2013, il est désormais possible pour un Etat de fermer ses frontières en invoquant des « déficiences persistantes et sérieuses d’un Etat membre dans le contrôle des frontières externes ». Le rétablissement des contrôles aux frontières, pour une période de 6 mois renouvelable au maximum 3 fois, menace l’existence même des accords de Schengen, plus qu’il ne les sauve.
Face à une telle situation de défiance vis-à-vis de l’espace Schengen il est urgent de trouver une solution politique qui permette de sortir l’Union européenne de la double crise dont elle est victime. Crise de confiance dans le fonctionnement des institutions européennes d’une part, crise liée à l’accueil des migrants d’autre part. C’est de la solution apportée à cette dernière que dépend l’avenir même de l’Union, ont rappelé des responsables politiques de tous bords. Après les premiers ministres hollandais et Français, Mark Rutte et Manuel Valls, c’est Christine Lagarde qui a dit « que la crise migratoire pourrait, selon sa gestion, mener à la réussite ou à la ruine de l’espace de libre circulation européen de Schengen » [1].
La survie de Schengen : un enjeu avant tout économique
Face aux réactions politiques souverainistes qui prônent un rétablissement des frontières nationales, les acteurs économiques européens préviennent que la disparition de l’espace Schengen entraînerait mécaniquement des pertes colossales, dépassant largement des dizaines de milliards d’euros. N’oublions pas que les accords Schengen ont été initialement signés à la demande des transporteurs routiers pour favoriser le commerce intra-européen. En effet l’explosion des échanges en Europe avait dès les années 1980 montré le besoin d’établir la libre circulation, les douaniers ne pouvant contrôler tous les véhicules transitant en Europe, si ce n’est au prix pour les transporteurs de temps d’attente bien trop longs. Or le commerce dans l’Union n’a cessé de croître depuis lors, rendant tout retour en arrière difficilement envisageable, ou alors au prix d’une réorganisation économique de très grande ampleur.
Trouver une solution politique durable à la crise des migrants
Si la réinstauration des frontières nationales aurait des conséquences économiques désastreuses pour l’Union européenne, force est de constater qu’elle ne résoudrait en rien la crise des migrants. Premièrement les flux migratoires sont provoqués par les situations internes des pays d’émigration. Ainsi fermer les frontières n’incitera pas les ressortissants de pays en guerre, comme la Syrie ou l’Irak, à renoncer à leur périple. Deuxièmement la construction de murs aux frontières de l’Europe, ne fera que grever les budgets des Etats membres sans pour autant résoudre le problème. Tant qu’il y aura une demande pour parvenir en Europe, les réseaux de passeurs proliféreront, peu importe les prises de parole politiques déclarant la guerre aux passeurs.
Ainsi l’agence Frontex a fait de la lutte contre les passeurs une priorité depuis plus de dix ans. Si on constate une hausse des interpellations de passeurs de 31% pour l’année 2015, cela n’a pas pour autant diminué le nombre d’entrées illégales sur le continent européen.
Repenser notre engagement citoyen
Face à l’absence de volonté politique actuelle et à l’inanité du repli sur soi, les citoyens européens sont appelés à repenser leur rôle dans la crise migratoire. Nonobstant le traitement médiatique de la crise migratoire, qui nous impose la vision répétée de foules arrivant par voies maritime et terrestre, nous devons repenser notre conception de la crise. Par le passé déjà, des afflux massifs de population sont venus enrichir les pays européens.
La France en particulier a accueilli à bras ouverts de nombreuses populations provenant du Sud de l’Europe et de bien plus loin. 450 000 républicains espagnols ont été accueillis en 1939, 13 0000 « boat people » ont trouvé refuge dans l’hexagone dans les années 1980. Ces exemples prouvent que notre incapacité à accueillir les migrants qui se pressent à nos portes ne se fonde pas sur un prétendu manque de ressources économiques mais bien sur une peur injustifiée et lancinante de l’autre, subrepticement entretenue par les images qui nous parviennent et les lectures nationalistes qui en sont faites. Néanmoins nous pouvons, et devons, rester optimistes sur l’avenir de l’Union européenne. Comme l’écrivait Jean Monnet dans ses Mémoires, « l’Europe se fera dans les crises et elle sera la somme des solutions apportées à ces crises ».
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