Le drame avait fait la une des journaux européens : le 30 octobre 2015, un incendie dans une boîte de nuit de Bucarest avait coûté la vie à 63 personnes. Les autorités avaient été achetées pour fermer les yeux sur le non-respect des normes de sécurité des équipements de la discothèque. Des dizaines de milliers de Roumains étaient descendus dans la rue pour protester contre la corruption qui gangrène le pays depuis l’ère communiste. Le parti social-démocrate avait alors dû abandonner le pouvoir, il revient aujourd’hui plus fort que jamais. Il a remporté dimanche les élections législatives avec plus de 45% des voix. Une victoire sans concession pour le SPD, descendant direct du Front de Salut national, le Parti qui a dirigé la Roumanie après la révolution de 1989 et l’exécution de Ceaușescu.
De nombreux cas de corruption
Pourtant, ces dernières années, les sociaux-démocrates ont souvent été montrés du doigt pour corruption. Adrian Nastase, ancien premier ministre, a été condamné en 2012 à 2 ans de prison ferme pour avoir détourné 1,5 million d’euros pour sa campagne. En 2014, 9 ministres sont accusés d’avoir reçu des pots de vin dans une affaire d’achats de logiciels informatiques. Liviu Dragnea, le chef du Parti social-démocrate, a lui-aussi été condamné à 2 ans de prison avec sursis en avril dernier pour des affaires de fraudes électorales en 2012. Victor Ponta, le Premier ministre qui avait démissionné en 2015, est également candidat dans la région du Gorj, malgré des poursuites à son encontre pour 17 infractions. Un mouvement civique formé après l’incendie de Bucarest, “Inițiativa România”, a passé en revue les 746 prétendants aux postes de députés en 2016. 352 d’entre eux ont été concernés par des “indélicatesses”, des petits arrangements aux actes de corruption, en passant par la pression exercée sur l’opposition. Autant dire que la classe politique semble entièrement atteinte par la corruption, et que les électeurs sont désabusés, ce qui explique la forte abstention aux élections (39,5% de participation seulement pour le scrutin de dimanche dernier).
Des tentations européennes
Une campagne très populiste dans les zones rurales, assortie de promesses d’augmentation phénoménales des salaires, a permis au parti Social-Démocrate de reprendre le contrôle du Parlement. Le débat s’est cristallisé autour de la Nation, et pas du tout sur la question de l’État de droit, pourtant l’une des préoccupations majeures de l’Union européenne à propos de la Roumanie. L’Europe a mis en place un système de contrôle qui émet un avis annuel sur l’état de la corruption en Roumanie, dans la perspective de son entrée dans l’espace Schengen. Le pays est loin d’atteindre son objectif, malgré les efforts d’une partie de la classe politique qui voudrait limiter la corruption et accélérer l’intégration de la Roumanie à l’Europe. Le Président de la République, Klaus Iohannis, élu en 2014 sur un programme anti-corruption et pro-transparence, avait nommé Dacian Cioloș Premier ministre après la démission de Victor Ponta, en 2015. Cioloș est l’ancien commissaire européen à l’Agriculture, pour la Commission Barroso II, et également représentant de la Roumanie au Conseil de l’Europe en 2007. Ce technocrate longtemps éloigné des malversations financières roumaines est considéré comme un exemple d’intégrité. Il a depuis dirigé le pays avec un gouvernement de techniciens, et a été candidat à sa propre succession, soutenu par le Parti national libéral. Il n’a obtenu que 20% des suffrages.
Litiges autour du futur Premier ministre
Désormais, la tradition voudrait que le Président de la République nomme à la tête du gouvernement le chef de file du parti vainqueur des législatives. Mais Klaus Iohannis a déclaré pendant la campagne refuser de nommer à la tête du pays « toute personne ayant des démêlés avec la justice ». La condamnation de Dragnea le rendrait inéligible. Ce dernier soutient pourtant qu’il est légitime que le pouvoir lui revienne, et est prêt à en découdre avec le Président. En effet, ce dernier a besoin de l’aval de la majorité parlementaire pour installer quelqu’un à la tête du gouvernement. Le pays entre dans une nouvelle crise institutionnelle, bien loin des préoccupations des Roumains. La Roumanie est l’un des pays les plus pauvres d’Europe : malgré une croissance de 4,8% en 2015 (la plus forte d’Europe), le salaire moyen est d’environ 400 euros et un Roumain sur quatre vit sous le seuil de pauvreté.
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