Robert Schuman et la réconciliation des peuples d’Europe

Un exercice d’écriture dans le cadre d’un atelier organisé par l’UEF – Île de France.

, par Alexandre Marin

Robert Schuman et la réconciliation des peuples d'Europe
Crédit photo : Théo Boucart - Le Taurillon

Dernier texte de notre série littéraire imaginative organisée par l’UEF-Île de France pour les 70 ans de la Déclaration Schuman. Aujourd’hui, Alexandre Marin tente de mesurer l’exploit de Robert Schuman d’avoir réussi à réconcilier des nations européennes jusqu’à présent belliqueuses et à pacifier l’Europe.

Il était une fois, deux voisins qui habitaient près de Passau, de part et d’autres de la rivière Inn, juste avant que cette dernière ne fusionne avec l’Ilz pour former le Danube. Hans qui vivait sur la rive Est avait adopté la religion luthérienne, tandis que Velten, sur l’autre rive, était demeuré catholique. Les différences religieuses n’altéraient guère la bonne entente des deux voisins, qui vira à l’amitié fidèle avec les années.

En 1552, Hans rejoignit la délégation de protestants dirigée par Maurice de Saxe pour entamer avec l’empereur Charles Quint des pourparlers liés à la reprise des sessions du Concile de Trente initiée par le Pape. Mais au lieu de discuter, Maurice de Saxe attaqua l’armée de l’empereur et le contraignit à signer un traité permettant aux protestants de pratiquer leur religion à Passau.

Velten vit comme une trahison la complicité de Hans aux manœuvres de Maurice de Saxe. Les deux voisins se vouèrent une haine farouche et trois ans s’écoulèrent sans qu’un jour n’ait été épargné par le conflit qui les opposait. En 1555, la paix d’Augsbourg fut signée consacrant le principe selon lequel chaque prince germanique choisirait sa religion et l’imposerait à ses sujets.

Nos chers voisins, avec lesquels le sort a voulu jouer, se retrouvèrent chacun sur une terre appartenant à un souverain qui avait choisi une foi opposée à la leur. La rive Est de l’Inn serait rattaché à l’évêché de Salzbourg, alors que le terrain de Velten, rattaché à Passau, serait réservé à des protestants.

Hans, outré de devoir échanger sa maison avec son voisin tant conspué, préféra la brûler plutôt que de la céder. En représailles, Velten mit le feu à la sienne.

Ils devinrent donc tous les deux vagabonds et furent condamnés à errer côte à côte. Un jour, Saint-Martin vint voir les deux parias et se mit en tête de les réconcilier. Il promit à Velten de lui offrir tout ce qu’il souhaiterait à condition que Hans en reçût le double. Toujours rancunier, Velten décida de perdre un œil.

Comprenant trop tard les conséquences de son funeste désir, Velten voulut se repentir, mais Saint-Martin lui dit qu’en ces circonstances, ils ne pouvaient rien en l’absence de paix entre les ennemis. Pour pouvoir se réconcilier, il fallait qu’Hans et Velten s’en allassent dans les Balkans ottomans, là où les communautés vivaient chacunes selon leurs lois, et où les affaires intéressant la collectivité dans son ensemble étaient décidées par les autorités impériales, selon ce qu’avait préconisé le penseur Althusius afin de mettre fin aux guerres de religion en Europe.

Les deux anciens voisins, devenus dépendants l’un de l’autre, furent obligés de dialoguer, de s’entraider, et de se réconcilier. Ils se rappelèrent leur amitié passée, leurs affinités, leur proximité de caractère et abandonnèrent leurs différends d’ordre religieux. Ils s’en allèrent, jusque dans les Balkans, alors territoire Ottoman.

Devant ces communautés vivant dans une paix parfaite, les anciens ennemis guérirent de leurs anciennes blessures, rejoignirent la communauté chrétienne de Sarajevo. La paix leur était promise, mais bien vite, ils regrettèrent la liberté dont ils jouissaient auparavant. Les communautés étaient strictement séparées, les tensions étaient vives, mais la menace d’une dispute était écartée par les soldats et les mercenaires de l’empire qui n’hésiteraient pas à réprimer dans le sang tout désir d’émancipation exprimé trop fort. Les discriminations, les injustices, et l’arbitraire étaient la norme. Le sultan de la sublime porte était le maître absolu pourvu qu’il laissât les différentes confessions gérer leurs affaires internes. Une autonomie du fait du prince, prix de la paix sociale, paix qui pesait toujours plus lourdement sur les épaules de nos héros, ils vécurent en paix, en pleine santé, jouissant de nombreux bien, mais soumis à une autonomie qui ne compensait guère la charge que représentait leur état de sujet.

Quelques siècles plus tard, les tensions finiront par éclater. Les différents peuples catholiques, orthodoxes, et musulmans s’émanciperont de la tutelle ottomane, et règleront leurs différends en millions de morts. Une tentative de fédération verra le jour, mais sera tyrannique et s’effondrera.

Despotisme ou guerre, c’était le choix cornélien de l’Europe et du monde jusqu’au 9 mai 1950, il y a soixante-dix ans.

Ce jour-là, Robert Schuman scella la réconciliation entre les pays d’Europe, réconciliation sans équivalent dans l’espace et dans le temps, réconciliation à laquelle parvinrent à peine Martin Luther King et Nelson Mandela et à laquelle échoua Gandhi. Combien sont-ils, Israéliens ou Palestiniens, Indiens ou Pakistanais, Coréens du Nord ou du Sud, Algériens et Marocains ? Même en Irlande du Nord ou dans les Balkans, on attend un Robert Schuman qui mettent fin aux haines recuites qui divisent les sociétés.

Maintenant que la première pierre, celle de la réconciliation a été posée, il faut y ajouter la deuxième pierre, celle de la paix. Faire la paix, c’est remplacer les rapports de force entre entités antagonistes par des rapports de droit, en soumettant les différends à une juridiction dont les décisions seraient obligatoires. Il faut aussi une police qui se charge d’appliquer de telles décisions dans le cas où les entités justiciables ne le feraient pas d’elle-même. C’est cela qu’on appelle une fédération.

C’est ainsi que l’on pourra jouir, à la fois de la liberté et de la paix ; garantir le plus de libertés aux individus et aux collectivités locales, tout en édictant des règles communes dans les domaines où les collectivités ne peuvent pas agir seules, et en créant des institutions policières et judiciaires pour s’assurer du respect des règles communes. C’est cela qu’on appelle une fédération.

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