Réforme de la loi électorale de l’Union européenne : Vers un Marché politique unique

, par Jo Leinen

Réforme de la loi électorale de l'Union européenne : Vers un Marché politique unique
Jo Leinen est député européen (S&D) et président du Mouvement Européen - International. Il est rapporteur pour la réforme de la loi électorale du Parlement européen. - © European Parliament (Flickr)

Dans cet article, Jo Leinen, député européen et président du Mouvement Européen – International, revient sur son rapport sur la proposition de réforme de la loi électorale de l’Union européenne. Malgré l’approbation du Parlement, la proposition n’a pas encore obtenu l’accord du Conseil.

Dans deux articles précédents, intitulés « Europe’s Road to Democracy » (The Federalist Debate 3/2014) et « The European Electoral System – The Weak Link of Supranational Democracy » (The Federalist Debate 1/2015), j’affirmais que le nouveau modus operandi pour l’élection du président de la Commission européenne, avec des candidats chefs de file désignés par les partis politiques européens, a représenté un pas important vers la démocratie supranationale en Europe, qui doit être renforcé par une réforme du système électoral européen. C’est pourquoi j’ai appelé le Parlement européen à user de son droit découlant de l’art. 223 du Treaty on the Functionning of the European Union (TFEU) pour initier une révision de l’Acte électoral européen de 1976. La Commission des affaires constitutionnelles (AFCO) a été saisie de cette proposition et a désigné sa présidente, Danuta Hubner, et moi-même, comme co-rapporteurs pour l’élaboration d’une proposition de réforme de la loi électorale européenne.

Après des mois de travail et de débats intenses, nous avons soumis à la fin juin 2015 un projet de rapport, actuellement en cours d’examen en commission, et qui devrait être approuvé en séance plénière à la fin d’octobre (note) déjà, afin d’engager rapidement les négociations avec le Conseil (Redaction : un point de situation figure a la suite de l’article). Dans le présent article, je voudrais présenter les principales innovations proposées dans notre rapport.

Une approche en deux temps

Je suis profondément convaincu que nous avons besoin d’un système intégré de partis politiques au niveau européen pour favoriser véritablement un débat sur les politiques européennes, qui ne soit pas axé sur les politiques et les personnalités nationales. Ainsi, l’instauration de listes transnationales établies par les partis politiques européens demeure l’objectif ultime.

Cependant, il convenait de tenir compte des réalités politiques et du caractère délicat de la procédure de réforme de la loi électorale, davantage apparentée à une révision des traités qu’a la procédure législative ordinaire. Le Conseil doit approuver à l’unanimité les propositions du Parlement européen, et tous les Etats membres doivent ratifier la décision conformément à leurs règles constitutionnelles respectives. Nous avons donc opté pour une approche en deux temps, commençant par faire des propositions qui sont aussi ambitieuses que possible, mais aussi pragmatiques que nécessaires pour obtenir des premières améliorations en vue des élections européennes de 2019.

Il est malheureusement vrai que les liens entre les partis nationaux et les partis politiques européens auxquels ils sont affiliés ont été par le passé insuffisamment expliqués aux électeurs, et qu’ils demeurent peu apparents. Le but de l’actuelle proposition de réforme est de remédier à cette lacune en donnant aux partis politiques européens davantage de visibilité dans les campagnes électorales. Ceci devrait constituer une étape intermédiaire vers l’instauration de listes transnationales, ces dernières devant permettre aux partis politiques européens d’entrer directement en compétition pour des sièges au Parlement européens.

Dans un rapport séparé en cours de préparation à la Commission des affaires constitutionnelles, définissant la position du Parlement européen sur le futur développement institutionnel de l’UE et une réforme des traités, nous ferons des propositions plus substantielles pour un « système électoral européen » qui devrait enfin mettre la procédure des élections européennes en conformité avec le caractère supranational du Parlement européen.

Faire connaître les partis politiques européens

Notre proposition vise aussi à franchir un pas supplémentaire à la suite de l’initiative fructueuse des partis politiques européens de désigner, lors des élections de 2014, des candidats chefs de file, établissant ainsi un lien entre les élections européennes et l’élection du président de la Commission, et permettant aux citoyens d’exercer directement une influence sur la sélection du dirigeant de l’exécutif de l’UE.

En premier lieu, nous voulons préserver cette pratique pour 2019 et exclure la possibilité pour le Conseil européen de revenir aux temps antérieurs à Lisbonne, ou le choix du président de la Commission résultait d’arrangements conclus en coulisse par les chefs d’Etat et de gouvernement. La désignation de candidats chefs de file par les partis politiques européens sera une disposition contraignante dans l’Acte électoral européen, avec pour ce faire un délai de douze semaines avant les élections. Ceci devrait non seulement consolider la procédure, mais aussi, pour la toute première fois, accorder aux partis politiques européens, de par la loi européenne, un rôle formel lors des élections européennes.

De plus, nous proposons des mesures pour faire connaître aux électeurs l’affiliation des partis nationaux aux partis européens, ainsi que les candidats chefs de file de ces derniers. Lors des élections européennes de 2014, beaucoup de citoyens ne savaient pas comment soutenir un candidat en particulier à la présidence de la Commission. Alors que Martin Schulz était candidat pour le Parti socialiste européen (PSE) et Jean-Claude Juncker pour le Parti populaire européen (PPE), les noms et logos de ces partis n’étaient visibles ni dans le matériel de campagne ni sur les bulletins de vote. La raison invoquée à l’encontre d’une telle visibilité a toujours été que cela pourrait dérouter les électeurs, qui se trouveraient tout à coup face aux noms et logos des partis politiques européens sans pouvoir voter pour eux.

De mon point de vue, ceci est non seulement une étrange façon de voir et une sous-estimation méprisante de l’intelligence des électeurs, mais aussi un faux raisonnement. Si on ne veut pas mettre les votants en présence des partis politiques européens sous prétexte qu’ils ne les connaissent pas, comment donc pourraient-ils les connaître ? Si nous voulons sérieusement encourager une démocratie transnationale en Europe, il faut bien commencer quelque part.

Notre rapport propose que « les bulletins de vote utilisés lors des élections au Parlement européen accordent la même visibilité aux noms et logos des partis nationaux qu’à ceux des partis politiques européens auxquels ils sont affiliés, si une telle affiliation existe ». Avec cette formulation, les Etats membres pourront toujours concevoir les bulletins selon leurs traditions nationales. En Finlande et en Suède, par exemple, les noms des partis ne sont pas, traditionnellement, mentionnés sur les bulletins de vote, et il n’y a aucune raison de changer cette pratique. En revanche, dans les Etats membres qui mentionnent les partis nationaux, le nom du parti politique européen devra apparaître également – et si le logo figure sur le bulletin, ceci doit s’appliquer également à celui du parti politique européen. De cette manière, les électeurs auront pleine conscience de voter à la fois pour un parti national et pour le parti politique européen, ainsi que pour le candidat chef de file qu’ils soutiennent.

Alors que la visibilité des partis politiques européens sur les bulletins de vote devrait être obligatoire, nous recommandons par ailleurs que les partis nationaux eux-mêmes commencent enfin à faire référence à leur affiliation à un parti politique européen dans leurs outils de campagne, en particulier les affiches, brochures et spots de télévision et de radio. Les Etat membres sont de surcroit encouragés à faciliter la participation des partis politiques européens dans les campagnes électorales. Des dispositions légales régissant les temps d’antenne des partis en compétition n’existent pas dans tous les Etats membres, mais si elles existent pour les partis nationaux, elles devraient s’appliquer également aux partis européens.

Davantage de transparence et de démocratie

Le renforcement des partis politiques européens est l’idée forte de notre rapport. Mais nous proposons aussi un certain nombre d’innovations additionnelles destinées à rendre les élections européennes plus démocratiques et plus transparentes. Une date limite commune pour la finalisation des listes des candidats mettra fin à la pratique de certains Etats membres consistant à dévoiler les candidatures le plus tard possible avant les élections. Tous les électeurs disposeront ainsi du temps nécessaire pour faire un choix éclairé, et il y aura aussi un point de départ commun en Europe pour faire campagne. De même, les bureaux de vote dans les Etats membres devraient fermer en même temps le dimanche soir, créant ainsi un moment paneuropéen pour la publication des premières estimations.

Par ailleurs, nous proposons que l’égalité des genres, en tant que valeur fondatrice de l’UE, soit une préoccupation constante tout au long du processus électoral ; que les partis nationaux respectent les procédures démocratiques et la transparence dans la sélection de leurs candidats ; et que les citoyens de l’Union aient le droit de voter bien que résidant dans un pays tiers.

Afin de créer des conditions similaires dans tous les Etats membres, les règles relatives aux seuils électoraux devraient être également révisées. Considérant qu’actuellement 186 partis nationaux sont représentés au Parlement européen, et que l’immense majorité des Etats membres ont soit un seuil légal entre 3 et 5%, soit un seuil de fait supérieur à 3%, nous proposons de formaliser cette pratique pour l’uniformiser à l’échelle de l’Union. Dans les circonscriptions comptant plus de 26 sièges, un seuil légal de 3 à 5% devrait être institué. Le Traité de Lisbonne attribuant au Parlement européen un rôle accru, son bon fonctionnement et sa capacité a constituer des majorités stables doivent être préservés.

Compte tenu de l’évolution de la société au cours des précédentes décennies, les Etats membres sont encouragés à fixer à 16 ans l’âge minimum des électeurs. Les élections européennes doivent être aussi ouvertes que possible, et considérant que chacun peut travailler, payer ses impôts et accomplir son service militaire dès l’âge de 16 ans dans la plupart des Etats membres, nous pensons qu’il est temps de donner la parole à la jeune génération. De plus, afin de faciliter la participation aux élections, nous conseillons aux Etats membres de recourir aux nouvelles technologies, et proposons d’introduire le vote électronique, assorti de mesures garantissant la fiabilité des résultats, la confidentialité du vote et la protection des données.

Accélérer le programme de réforme

Jusqu’à présent, le Conseil a toujours refusé la moindre des propositions de réforme électorale présentées par le Parlement européen, jugeant celles-ci irréalistes, trop fédéralistes ou incompatibles avec les traditions nationales. Notre rapport propose des mesures qui jettent les bases d’une réforme plus globale du système électoral européen à l’avenir.

Toutefois, tout ne peut pas être régi par la loi. Beaucoup de choses dépendent des partis nationaux, en particulier de leur bonne volonté à associer plus étroitement les partis politiques européens aux campagnes électorales, à accepter le rôle de coordination de ces derniers, et à promouvoir ensemble la candidature du chef de file européen. La transnationalisation des politiques européennes et l’émergence d’un système partisan européen intégré exigent une dynamique nouvelle et davantage d’implication. Si elle est correctement mise en œuvre, cette réforme pourrait faciliter le processus et constituer les prémisses d’élections véritablement européennes, qui pourraient alors être instituées lors de la réforme suivante.

Point de situation sur l’état d’avancement de la proposition de réforme

Suite au rapport de l’AFCO, le Parlement européen a adopté en séance plénière le 11 novembre 2015 une résolution qui est toujours en cours d’examen par le Conseil de l’UE. Les parlements nationaux se sont aussi saisis de la question. Nombre d’entre eux ont exprimé des réserves sur plusieurs propositions de réforme, en invoquant le principe de subsidiarité selon le Protocole n° 2 annexé au Traité de Lisbonne. Les dispositions relatives aux candidats chefs de file pour la présidence de la Commission font l’objet d’une forte opposition au niveau du Conseil, qui refuse d’institutionnaliser ainsi le processus initié lors des élections de 2014. On espère parvenir à un accord entre le Conseil et le Parlement au plus tard à la fin de l’année 2016, pour permettre la mise en application de la réforme avant les élections de 2019.

Cet article a été publié initialement dans la magazine Fedechoses.

Vos commentaires
  • Le 11 septembre 2016 à 07:52, par Julien-e En réponse à : Réforme de la loi électorale de l’Union européenne : Vers un Marché politique unique

    Tout cela est très bien, mais, les temps ont changé (Brexit, Orban, et al.), et ces propositions toujours séduisantes mais anciennes risquent de se fracasser contre l’esprit du moment.

    Ne faudrait-il pas réfléchir à des réformes plus radicales, qui, sans être incompatibles avec le fédéralisme, s’adresseraient a un électorat plus large parfois fatigué de l’Europe :

     réduire d’un tiers le nombre de députés européens (sans attendre que les États membres en fassent autant).

     mettre en place ces listes transnationales pour une partie du Parlement.

     pour le reste des sièges, revenir à un Parlement européen composé de membres des parlements nationaux, ce qui évacuerait une fois pour toutes le débat sur l’association des parlements nationaux.

     régler la question du siège du Parlement.

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