Quel rôle pour l’Union européenne dans l’Indo-Pacifique ?

, par François Fleuriot

Quel rôle pour l'Union européenne dans l'Indo-Pacifique ?
Bateaux militaires dans l’océan Pacifique / Source Unsplash

Depuis le début de la décennie 2010, l’Indo-Pacifique est un théâtre devenant de plus en plus important pour la géopolitique. Aujourd’hui, le terme de ‘pivot’ est employé dans les stratégies publiées par les présidences Obama, Trump, et Biden pour désigner la politique américaine dans la région, indiquant un changement vis-à-vis de la Chine et de l’Asie du Sud-Est. Cette évolution peut remonter à la visite du Président Nixon en Chine en 1969.

L’Union européenne a également indiqué sa volonté d’être présente dans l’Indo-Pacifique, depuis la réunion du Conseil européen du 16 avril 2021, à l’initiative de la France. La publication d’une déclaration commune en septembre 2021 a fait office de stratégie européenne dans la région, avant que la boussole stratégique soit publiée le 21 mars 2022. Mais au-delà des documents, qu’en est-il de la réalité ? Quel rôle l’Europe peut-elle jouer en Indo-Pacifique, compte tenu de sa distance géographique et de sa faible présence territoriale dans la région ?

Un rôle de soutien et d’appui aux démocraties régionales

L’Europe est géographiquement distante de l’Indo-Pacifique. Le seul territoire que nous avons dans ces eaux est la Nouvelle-Calédonie qui est française. Mais notre faible présence territoriale ne signifie pas que nous n’avons aucun rôle à jouer. Les pays de l’Indo-Pacifique ont à plusieurs reprises, montré leur soutien à une présence européenne plus forte dans la région.

Plusieurs programmes et coopérations ont ainsi été formés, en particulier un forum ministériel pour l’Indo-Pacifique qui s’est tenu le 21 février dernier, avec des représentants de 30 pays de l’Indo-Pacifique et des 27 États membres, à l’exception des États-Unis et de la Chine. Le programme Atalanta, pour protéger les navires dans la Corne de l’Afrique, le programme CRIMARIO, en charge de protéger les routes commerciales de l’Océan Indien et les nombreux partenariats avec les pays et organisations de l’Asie-Pacifique sont clés pour maintenir une présence européenne dans la région.

La guerre en Ukraine a eu un impact sur notre présence régionale, concentrant l’attention européenne sur nos propres frontières orientales. Mais, comme l’a fait l’administration Biden en lançant « Indo-Pacific Economic Framework for Prosperity » en mai dernier, l’Europe doit projeter son regard à l’extérieur de ses frontières. L’UE n’est pas membre du partenariat commercial le plus important de la région, l’Accord de partenariat transpacifique. Le potentiel économique d’accéder à cet accord serait immense, mais à l’heure actuelle, l’UE ne dépose pas sa candidature. Le programme Global Gateway, censé être la réponse européenne aux Routes de la Soie, a permis la construction d’infrastructures en Afrique mais reste une alternative ayant besoin d’être développée.

Un rôle militaire en développement ?

Cependant, malgré son fort potentiel d’influence dans les domaines économiques et commerciaux, l’Union européenne demeure faible sur le plan militaire. Mais la situation a évolué depuis quelques années. La mise en place d’exercices militaires conjoints avec des pays de la région a renforcé le rôle de l’UE sur le plan militaire. En particulier, ceux conduits avec le Japon y sont d’une importance particulière car ce pays a une position clé à tenir dans la région, étant la base principale des forces armées américaines en Indo-Pacifique.

Il ne faut pas ignorer que ces évènements sont très récents et avec une envergure bien plus limitée que les exercices conduits par les États-Unis, comme ceux avec la République de Corée récemment. Malgré ce potentiel militaire, peu d’États membres ont les capacités maritimes de mener des missions continues dans un théâtre aussi lointain. Cependant, de plus en plus de pays ont envoyé des navires dans la région : notamment l’Allemagne qui a récemment annoncé une augmentation de sa présence dans la région. Ce changement de posture indique une volonté européenne et des États membres d’augmenter ses efforts et sa présence dans la région, marquant clairement une reconnaissance de l’importance du théâtre de l’Indo-Pacifique.

La politique de l’Europe dans l’Indo-Pacifique ne sera pas une politique aussi active que celle de Washington. L’UE a maintenu une position ambiguë vis-à-vis de la Chine, son premier partenaire commercial. Le récent voyage du chancelier Scholz avec une délégation d’industriels à Pékin indique que cette position va continuer pour des raisons économiques. Cependant, là où l’UE n’est pas présente face à la Chine, elle l’est en soutien aux autres pays de la région. Mais cette stratégie est risquée : nous pouvons maintenir une telle attitude tant qu’il n’y a pas de conflit dans la région.

La question épineuse de Taiwan

Le Congrès du Parti Communiste nous a montré que la Chine n’irait pas dans un possible ‘reset’ des relations avec l’Occident, au contraire réaffirmant sa volonté de prendre le contrôle de Taiwan et de faire face à la domination des États-Unis dans la région.

En cas d’une invasion de Taiwan, l’Union européenne sera forcée de prendre clairement position et ne pourra pas rester neutre. Ce choix sera très difficile à faire en raison de nos liens économiques et commerciaux très forts avec tant les États-Unis que la Chine.

L’UE n’a qu’un seul territoire en Indo-Pacifique, et n’a pas les capacités navales militaires suffisantes pour atteindre un niveau de présence dans la région plus important. Mais depuis quelques années, de plus en plus d’états-membres reconnaissent l’importance de l’Indo-Pacifique comme un théâtre majeur dans la géopolitique et la géoéconomie mondiale.

Même si la présence européenne dans l’Indo-Pacifique a été mise en difficulté par des crises comme l’AUKUS, elle continue de s’accroître. Le rôle de l’UE dans la région ne sera pas celui d’une puissance militaire, mais d’une puissance économique, capable d’utiliser son potentiel pour créer des liens dans la région. Cependant, cette stratégie risque d’être critiquée et ne pas être adaptée en cas d’invasion de Taiwan, car l’UE n’aurait plus la capacité d’agir.

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