Quel bilan pour l’Union bancaire européenne ?

, par Théo Boucart

Quel bilan pour l'Union bancaire européenne ?
Le nouveau siège de la Banque centrale européenne à Francfort sur le Main, en Allemagne. La BCE a acquis énormément de pouvoir depuis le début de la crise des dettes souveraines.

Mise en place officiellement le 4 novembre 2014 avec le mécanisme de supervision unique (MSU), l’Union bancaire européenne (UBE) est qualifiée par certains comme « le saut fédéraliste le plus important depuis le lancement de l’euro ». S’il ne fait strictement aucun doute que l’UBE est nécessaire à la bonne gouvernance économique de la zone euro, quel est son bilan après trois ans d’effectivité ? Quelles sont les améliorations à apporter à cette construction du reste largement imparfaite ?

Tout comme la construction de l’Union européenne elle-même, la construction de la zone euro devient une dialectique crise-relance. La gouvernance de la zone euro, loin de sombrer dans l’anarchie au plus fort de la crise, s’est au contraire renforcée avec la mise en place du mécanisme européen de stabilité (MES) et de la « règle d’or budgétaire ». L’UBE est comme le MES, un organisme ad hoc, élaborée pour répondre aux problèmes créés par la crise. Son but est de casser le lien entre crise bancaire et dettes souveraines en permettant de recapitaliser les banques en difficultés avec le MES. Il fallait également prévenir les paniques bancaires et lutter contre la fragmentation bancaire.

L’UBE a été évoquée une première fois en 2012 pour répondre à la crise bancaire espagnole, menaçant encore plus la pérennité de la zone euro, déjà bien éprouvée par les « spreads » de taux d’intérêts des pays du Sud de l’Europe. L’idée d’une union bancaire ne date cependant pas de 2012. Dès les années 1960, des propositions dans ce sens ont été émises, afin d’avancer dans l’unification du marché commun de la CEE. Lors des crises bancaires qui ont secoué l’Europe au début de la décennie, le Président du Conseil européen de l’époque, Herman van Rompuy, a évoqué la possibilité d’une union bancaire européenne pour empêcher un effondrement pur et simple de la zone euro puis de l’UE dans son rapport « vers une véritable UEM ». [1]

Comment fonctionne l’Union bancaire européenne ?

L’union bancaire telle que conçue par les autorités européennes se compose au sens large de trois piliers : le mécanisme de supervision unique (MSU), le mécanisme de résolution unique (MRU) et le système européen de garantie des dépôts (SEGD). Le « single rulebook » (règlement uniforme) est un ensemble de règlements et de directives renforçant la régulation micro- et macro-prudentielle de la zone euro, l’enjeu principal de l’UBE.

Le MSU est chargé de la supervision préventive et centralisée des bilans des plus grands établissements de crédits européens. Celui-ci se compose de la BCE et des autorités de contrôle nationales. Les établissements concernés doivent remplir au moins l’une de ces conditions : détenir un total d’actifs supérieur à 30 milliards d’euros, un total d’actifs supérieur à 20% du PIB de l’État membre, être considéré comme l’un des trois établissements les plus importants par l’autorité nationale compétente, avoir demandé ou reçu directement une aide financière du MES. Près de 130 banques ont subi l’Asset Quality Review, un exercice d’analyse approfondie de la qualité de leur bilan avant le lancement du MSU et près de 220 banques sont aujourd’hui sous supervision de celui-ci. Toutes les banques ne sont donc pas concernées, en partie à cause du refus de l’Allemagne de voir ses caisses régionales supervisées par la BCE. Le MSU est opérationnel depuis le 4 novembre 2014.

Le MRU repose lui sur la directive sur le redressement et la résolution des crises bancaires (BRRD, 2014/59/UE) et le règlement MRU 806/2014. Ce dernier instaure le Conseil de résolution unique (CRU) qui doit décider de la recapitalisation d’un établissement ou de sa liquidation. Lorsqu’une banque sollicite un plan de résolution, le principe de renflouement interne (le « bail-in ») par les actionnaires et les créanciers devient la règle. Si cela s’avère insuffisant, le fonds de résolution unique (FRU) peut être mis à contribution. Ce fonds est directement alimenté par les banques et atteindra en 2023 les 55 milliards d’euros (soit 1% du total des actifs dans la zone euro). Si les pertes de la banque défaillante excèdent 13% du passif, les États et le MES pourront intervenir si le CRU ne décide pas de la liquidation de celle-ci. Le CRU est entré en action en juin 2017 en procédant à la résolution organisée de la banque espagnole Banco Popular qui avait été déclarée en faillite par le MSU.

Le SEGD n’est quant à lui pas encore en vigueur, car la directive EDIS, proposée par la Commission européenne en novembre 2015, a rencontré de fortes résistances de la part de l’Allemagne, hostile à une mutualisation des garanties de dépôts favorables aux systèmes bancaires des pays du Sud de l’Europe. Le texte initial étant au point mort (quand l’Allemagne n’est pas d’accord, il est assez difficile d’avancer), la Commission a formulé fin 2017 de nouvelles propositions moins ambitieuses. Celle-ci a mis sur la table un mécanisme de partage des risques plus progressif et plus limité, conditionné au nettoyage des créances douteuses dans le bilan des banques. Malgré des objectifs revus à la baisse, la Commission insiste sur l’harmonisation des conditions de sauvegarde de dépôts. Le système se formera en trois temps : premièrement, le système européen épaulera uniquement les systèmes de garanties de dépôts nationaux ; deuxièmement, une « coassurance » sera mise en place ; troisièmement, le SEGD assurera entièrement la garantie de dépôts inférieurs à 100.000 euros.

L’UBE est absolument indispensable…

La crise financière de la fin des années 2000 a bousculé le consensus monétariste sur le rôle que doit jouer une banque centrale. Selon les monétaristes, la banque centrale devait seulement s’occuper de la stabilité des prix au moyen d’un seul instrument, le taux d’intérêt. Cette vision simpliste et naïve de la finance (les marchés financiers étaient censés fonctionner de manière optimale) a été substituée par une vision élargie de la mission des banques centrales. A côté de la stabilité des prix (l’objectif toujours aussi fondamental), la BCE doit désormais s’occuper de la stabilité financière et de la surveillance macro-prudentielle. L’UBE s’inscrit exactement dans cette logique.

De plus, la crise de la zone euro a eu pour conséquence une nouvelle fragmentation financière entre les pays partageant la monnaie unique. Cette fragmentation est potentiellement très préoccupante dans la mesure où les ménages et les entreprises n’ont pas les mêmes garanties face aux risques selon les pays. Les investissements sont également pénalisés. L’UBE a pour but d’harmoniser tout cela et de faire redémarrer la convergence bancaire. La BCE doit également être le décideur unique (les systèmes nationaux devant exécuter les décisions prises), car si les systèmes nationaux ont trop de marge de manœuvre et ne communiquent pas suffisamment, il y a un risque d’asymétrie d’information, ce qui est pénalisant pour l’intégration économique et financière.

… mais encore insuffisante en cas de nouvelle crise.

Il a déjà été dit que l’UE n’avançait que dos au mur. Dès lors que la situation s’améliore, les égoïsmes nationaux tendent à reprendre le dessus. C’est aussi le cas ici. L’UBE est loin d’être achevée, le troisième pilier n’est pas encore mis en place à cause de la réticence de l’Allemagne et de certains pays d’Europe du Nord. Les premier et second piliers présentent également des imperfections. Le MSU ne s’occupe que des plus grandes banques de la zone euro (le lobbying allemand s’est une fois de plus avéré payant) mais le risque de faillite existe également chez les petits établissements financiers.

Le MRU (et son principe du « bail-in ») fait peur aux États. Le renflouement interne mettant à contribution principalement les actionnaires et les gros épargnants, il est évident que ceux-ci soient plus rétifs à investir dans le système bancaire européen, entravant de ce fait son développement. L’exemple italien est à ce titre très éloquent. Le système bancaire transalpin est extrêmement instable et représente une menace pour l’équilibre européen. Pourtant Rome a décidé par plusieurs fois l’année dernière de mettre en place des plans de sauvetage en lieu et place des renflouements internes pour sauver certaines de ses banques. De plus, le FRU est non seulement trop faible (55 milliards d’euros alors que plusieurs centaines de milliards d’euros ont été dépensés pour sauver les banques il y a dix ans) mais il ne sera opérationnel qu’en 2023 (une nouvelle crise a toutes les chances de se produire d’ici là).

Le problème de la répartition des tâches se pose aussi. Alors que la supervision est partagée (même si la BCE est responsable de la très grande majorité des actifs financiers), les mécanismes de résolution et de garanties de dépôts restent encore très « nationaux ». Les mécanismes de sauvetages européens sont encore embryonnaires et le système risque d’être longtemps incohérent et de manquer finalement de légitimité. Il est difficile de dire quand l’union bancaire européenne sera complètement réalisée (si elle l’est un jour). Elle est néanmoins indispensable pour l’intégration européenne (même si pour le moment, seule la zone euro est concernée) et confère à la BCE de nombreux pouvoirs supplémentaires qu’elle devra gérer en toute transparence et en toute indépendance. Il est peu probable que l’UBE soit pleinement opérationnelle lors de la prochaine crise financière, qui peut arriver bien plus vite qu’attendu.

Notes

[1Questions internationales : L’euro, un dessein inachevé (Les enjeux de l’union bancaire)

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