Où en est l’Union Européenne en 2010 ?
Cette question peut aisément trouver réponse à la lecture des journaux actuels. Pourtant le discours de Joschka Fischer de l’an 2000, qui fixait les enjeux de la décennies à venir, apporte un éclairage nouveau, permettant d’aller plus loin que l’écume de l’évènement. Que nous dit Joschka Fischer ? Qu’au fond, notre génération doit faire face au plus délicat défi depuis le début de la construction européenne. La cause ? La chute du mur de Berlin en 1989 qui rend incontournable l’arrivée des pays de l’Est dans l’Union Européenne à courte échéance. Dans le cas contraire, le projet d’Union Européenne s’en trouverait décrédibilisé et l’Europe de l’Est serait soumise aux influences extérieures.
Joschka Fischer prévient : cette intégration massive de pays de l’Est ne peut se faire sans réforme constitutionnelle. L’Etat nation moderne a au fond trois sources de souveraineté : la monnaie, la sécurité intérieure, et la sécurité extérieure. La souveraineté en matière de monnaie est devenue européenne au traité de Maastricht. Joschka Fischer voit comme indispensable une réforme de la sécurité intérieure (la légitimité de l’exécutif par le peuple) et de la sécurité extérieure (l’armée et la diplomatie). Ces réformes ayant été trop tardives ou trop timides, l’intégration a été incomplète.
Joschka Fischer perçoit de manière presque instinctive, que le concept de fédéralisme est menacé par l’ouverture des pays à l’Est et qu’au cours de la décennie, les problématiques politiques vont progressivement laisser place au sein des opinions à des problématiques économiques et identitaires : la question « veut on du fédéralisme ou de l’unionisme ? » laisse place aux questions : « que signifie être européen quand l’UE augmente double son nombre de pays », « quels risques pour nos économies cette révolution engendre-elle ? ».
Pourtant, en 2010, avec la progressive mise en place du traité de Lisbonne, deux des trois transferts de souveraineté qu’appelle Joschka Fischer se mettent timidement en place, et laissent envisager des lueurs d’optimisme.
Quel est l’aboutissement du fédéralisme ?
Tout jeune européen ressent un jour la difficulté de définir personnellement le concept de fédéralisme et la vue d’ensemble du projet politique et institutionnel pour lequel il se bat.
Le discours de Joschka Fischer a le mérite d’apporter quelques lumières sur un projet européen fédéraliste. Il s’agit d’abord de revenir aux fondamentaux : un parlement européen qui assure un travail législatif, un gouvernement européen représentant l’exécutif. Dans ce dispositif, la place des Etats-nations est primordiale, il serait une erreur de vouloir gommer ou aller à l’encontre de l’échelon national. Il s’agit simplement d’effectuer un partage des souverainetés entre l’échelon national et l’échelon européen. Joschka Fischer le pressent : le fédéralisme risque d’être assimilé à un centralisme.Pour ce partage des souverainetés, il est indispensable que le parlement soit constitué de deux chambres, l’une représentant les élites politiques, l’autre les opinions publiques. Une assemblée pourrait être proche de l’actuel parlement et représenterait des parlementaires issus des opinions publiques européennes. Un sénat, où chaque pays aurait deux membres, serait composé de parlementaires également de députés élus appartenant en même temps aux parlements nationaux.
Concernant l’exécutif, Joschka Fischer propose deux options : soit faire du conseil européen un gouvernement à part entière, le gouvernement européen sera constitué à partir des gouvernements nationaux, soit procéder à l’élection au suffrage universelle direct d’un président de l’Europe, doté de larges pouvoirs exécutifs, qui aurait un gouvernement dont la structure serait proche de celle de la commission européenne.
Un traité constitutionnel déterminerait bien entendu la répartition des compétences entre l’Etat-nation et l’Europe. Même si le partage n’est pas clairement établi (et cela constitue peut-être une faiblesse du discours) on devine que les valeurs culturelles, les modes de vies, les habitudes démocratiques resteraient nationaux, tandis que la diplomatie et l’armée viendraient au premier plan des prérogatives européennes, tant Joschka Fischer ancre son discours dans la construction d’une Europe de la paix, reprenant le projet des années 1950.
Ce qui paraît utopique à une époque ne l’est pas à une autre, ce n’est pas nécessairement « refaire le monde » que proposer un projet institutionnel autre. Mais, un projet différent ne peut se passer de la méthode décrite pour y accéder, au risque sinon d’être chimère. C’est le dernier point du discours qui peut intéresser les JE, parfois confrontés au reproche de porter un projet utopique.
Que signifie l’idée de continuer l’oeuvre des « pères de l’Europe » ?
« Continuer l’oeuvre de Monnet et Schuman ». Cette idée est fondatrice de la création des Jeunes Européens France. Mais que signifie pour Joschka Fischer précisément ce bel objectif ? Pour Joschka Fischer, pour continuer l’oeuvre des pères, il faut remettre en cause leur méthode. Non la fin, mais les moyens. La méthode Monnet de l’intégration européenne a montré ses limites : cette méthode, basée sur le pragmatisme, souhaitant établir une unité de fait, sans traité constitutionnel général, ni modèle augurant du résultat final a engendré un déséquilibre de la construction européenne.
Les intérêts économiques, qui avaient intérêt à s’unir se sont unis. les intérêts politiques pour qui l’unification signifiaient une perte de souveraineté politique ont freiné le fédéralisme politique. Il s’en est résulté « un fédéralisme à l’envers ». En Europe, contrairement à tout système confédéral classique, ce qui permet la confédération d’Etat n’est pas un accord politique, mais une zone de libre-échange économique.
L’enjeu pour parvenir à inverser la tendance est de trouver un groupe de quelques pays (par exemple les pays fondateurs, ou les pays de la zone euro), un noyau, une avant-garde destinée à disparaître au fur et à mesure que d’autres pays de l’Union la rejoindrait, attirés par elle. Actuellement dans le domaine économique, avec la zone euro, ou l’espace schengen, certains Etats collaborent plus étroitement que d’autres. L’idée serait d’appliquer ce principe à la collaboration politique et de laisser les pays qui le souhaitent avoir une collaboration plus approfondie, dans les domaines de la protection de l’environnement, la lutte contre la criminalité, l’immigration et bien sûr en politique étrangère et de sécurité. Ce groupe de pays signerait un nouveau traité fondamental européen qui serait un centre de gravité pour l’Europe. Ce groupe, en n’excluant aucun pays souhaitant adhérer à ses principes serait la locomotive du parachèvement de l’Europe politique.
La coopération renforcée entre ces pays est d’abord une intergouvernementalisation renforcée, mais c’est l’existence d’un nouveau traité qui représente un acte de refondation politique. L’intégration économique s’est faite groupe de pays par groupe de pays, l’intégration politique suivra le même chemin.
1. Le 7 octobre 2010 à 01:12, par Nicolas Delmas En réponse à : Commentaire de texte
Tu me permettras, je l’espère, certaines critiques à tes propos.
D’abord, tu définis la sécurité intérieure, comme la légitimé de l’exécutif par le peuple. Ce serait en plus une source originaire de la souveraineté d’un État. Désolé. Mais, je ne suis pas du tout d’accord avec cette qualification. Tout d’abord, les bases nécessaires à l’État sont au nombre de trois : un territoire, un peuple, un gouvernement. De plus, les pouvoirs régaliens de l’État sont, comme tu l’as énoncé, la monnaie, la diplomatie, la justice. Par contre, la légitimité des gouvernants n’influe en rien dans la souveraineté de l’État. Il suffit de penser à tous les régimes qui abritent des dictateurs. Ces personnes ne sont pas légitimes. Pour autant, les États qu’ils gouvernent sont souverains et peuvent donc traiter commercialement avec tous les parangons des droits de l’homme (on ne mélange jamais les torchons et les serviettes) Certes, tu ne faisais peut-être que rapporter des paroles. Mais, il était possible alors que tu les nuances.
Ensuite, je cite « la place des Etats-nations est primordiale, il serait une erreur de vouloir gommer ou aller à l’encontre de l’échelon national. Il s’agit simplement d’effectuer un partage des souverainetés entre l’échelon national et l’échelon européen. » Je fais peut être (déjà) parti de la vieille école. Mais, la souveraineté ne se partage. Il ne peut y avoir à long terme qu’un représentant de la souveraineté. Ainsi, il paraitrait saugrenue que les régions puissent elles bénéficier de la souveraineté et à ce titre, être présentes à l’ONU. D’ailleurs, cette évolution (vers une représentation unique) est particulièrement visible dans le domaine clé de l’Union : l’économie, au sein de l’OMC. Les USA et l’UE représentent 90% du contentieux.
Puis, j’ouvre les guillemets « le parlement soit constitué de deux chambres, l’une représentant les élites politiques, l’autre les opinions publiques. » Déjà, mon formalisme juridique m’oblige à préférer les expressions « tendance politique » à « opinion publique » (responsable de bien des maux) et « représentation étatique » à « élites politiques ». Encore, une fois, je n’ai pas eu le courage d’aller vérifier les propos de Fisher pour connaitre s’il en était l’auteur. Néanmoins, cette dialectique opinion publique/élite politique me dérange. En plus, tu écris que chacune devrait avoir une chambre en représentation. J’ai toujours cru, à l’inverse, que l’opinion publique élisait les élites politiques.
Autre remarque. Après avoir décrit les compositions des deux chambres parlementaires, je dois admettre qu’il me semble ne plus me retrouver en présence d’un fédéralisme, mais d’un État fédéral au doux nom d’États Unis d’Amérique.
Je suis régulièrement chiffonné. Notamment par le terme « habitudes démocratiques ». tu entends quoi par là ?
A mon avis (ce n’est qu’une opinion), la méthode Monnet est morte le jour où on a voulu associer les peuples, car on les a appelés trop tard. Ils n’ont pas connu cette méthode des petits pas. Leur premier acte fut Maastricht, un pavé juridique, une monnaie unique, une Union nouvelle.
Les coopérations renforcées, mythe ou réalité ? A l’heure actuelle, il en existe une (Schengen) qui a été créé avant même l’existence de telles coopérations. C’est dire la probabilité de leur création. Pour ma part, je suis contre une Europe à la carte où chacun prendrait ce qu’il lui plait, ou les traînards seraient mis au banc le temps qu’ils deviennent coopératifs. Bien sur que c’est difficile de convaincre 27 nations de collaborer. Mais, l’enjeu, c’est de rester ensemble. Tant qu’on sera tous dans le même train, il prendra la bonne direction. Le jour où on répartira les États dans les wagons selon leur vélocité, alors, il n’est pas dit que les retardataires finissent un jour par arriver. Si les Anglais supportent tant bien que mal toutes les dispositions de l’UE (en essayant certes, de se dédouaner le plus possible), c’est parce que les États motivés par l’aventure prennent du temps à les convaincre.
Il vaut mieux un petit pas à plusieurs, qu’un grand pas seul.
Proverbe africain : "Si tu pars seul, tu iras vite. Si tu pars à plusieurs, tu iras loin."
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