Replacer le TTIP dans un contexte global
Dans son propos liminaire, Shahin Vallée a d’emblée insisté sur la dimension davantage stratégique que purement économique du traité. Dans les relations commerciales entre l’Union européenne et les Etats-Unis, le niveau des barrières tarifaires est déjà bas. Un nouveau traité s’attaquera donc davantage aux barrières non tarifaires, c’est-à-dire aux normes. Or les études économiques concernant l’impact de l’abaissement de barrières non tarifaires sur le commerce ne sont pas fiables à l’heure actuelle.
En réalité, plutôt que d’augmenter le niveau du commerce bilatéral entre l’Union européenne et les Etats-Unis, l’enjeu du TTIP [1], selon Shahin Vallée, réside dans l’édiction de nouvelles normes, qui, compte tenu du poids économique des deux zones en question, deviendraient de nouvelles références au niveau mondial. L’idée fondamentale du Traité Transatlantique serait donc de prouver au monde le maintien de la capacité normative de l’Europe et des Etats-Unis dans le commerce global. Sur ce point, un élément de contexte supplémentaire est à prendre en compte. Les Etats-Unis négocient en effet en même temps un accord de partenariat du même type que le TTIP avec un certain nombre de pays asiatiques. Dans ce jeu stratégique à trois bandes, la Commission a tout intérêt à clore ses négociations avec les Etats Unis avant que l’accord Trans-Pacifique n’aboutisse.
Le changement dans les standards mondiaux qui se profile sanctionne selon Shahin Vallée la fin du multilatéralisme en matière de négociations commerciales. De fait, la plupart des pays devront probablement s’aligner sur les nouvelles normes et l’OMC devrait être cantonnée à un rôle subsidiaire.
Quel impact pour les citoyens européens ?
En dépit d’une grande proximité, il existe d’importantes différences culturelles entre les Etats-Unis et l’Union européenne. Les Américains ne comprennent pas les réticences que nous pouvons avoir concernant certaines de leurs pratiques, à l’instar du fameux poulet lavé au chlore.
Shahin Vallée a donc insisté sur l’importance de la mobilisation de la société civile en tant que garante des préférences collectives des différents pays engagés dans la négociation. Etonnamment d’ailleurs, ce sont les pays traditionnellement les plus libre-échangistes qui ont fait part du plus de réserves. En France, la mobilisation s’est surtout concentrée sur l’exception culturelle, peut-être de manière trop exclusive.
Sur la question des tribunaux spéciaux d’arbitrage chargés du règlement des différends, Shahin Vallée a reconnu que de telles juridictions étaient susceptibles de donner plus de pouvoirs aux sociétés privées. Il a toutefois insisté sur une certaine schizophrénie de la campagne de la société civile sur ce point. Ces tribunaux existent en effet dans la plupart des accords de libre-échange de l’Union européenne, ce qui n’avait pas soulevé de protestations jusqu’alors, puisque l’Union apparaissait en position de force face aux Etats tiers.
Une procédure discutable et une légitimité contestée
La discussion a ensuite glissé sur la procédure de négociation et sur la légitimité de la Commission à négocier. Pour Shahin Vallée, le principal problème sur ce point concerne l’inextricable conflit de légitimité dans lequel l’Initiative Citoyenne Européenne (ICE) « stop TAFTA » a placé la Commission.
L’ICE a réussi à remplir les conditions nécessaires pour amener la Commission à légiférer, pourtant particulièrement contraignantes (1 million de signatures en un an, provenant d’au moins 1/4 des Etats membres). L’initiative heurte de plein fouet la position de l’exécutif européen ainsi que le mandat de négociation, fourni en réalité par le Conseil. Ce qui justifie le rejet de la Commission, qui se dit incompétente pour rompre ou modifier le mandat de négociation.
La Commission a donc assez naturellement refusé l’ICE en septembre dernier. Il était difficile d’imaginer une autre issue à cette initiative. Mais, alors que l’ICE avait été présentée par le traité de Lisbonne comme une innovation majeure susceptible de combler le déficit démocratique européen, son rejet place la Commission dans une position très inconfortable. Elle va devoir faire preuve d’encore plus de pédagogie pour emporter l’adhésion des Européens. Les organisateurs de l’ICE ayant fait appel de la décision de la Commission, il revient désormais à la Cour de trancher ce conflit délicat.
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