Quand égalité ne rime pas avec accessibilité : le cas de l’avortement en Italie

, par Maëva Pusiol

Quand égalité ne rime pas avec accessibilité : le cas de l'avortement en Italie

À l’automne dernier, les grèves des Polonaises contre le nouveau durcissement de la loi sur l’avortement amenant à sa quasi-interdiction ont ramené la question de la disparité de l’accès à l’avortement sur le devant de la scène médiatique européenne. Ainsi, même si la plupart des états membres de l’UE autorisent l’avortement sur demande, des exceptions persistent en Pologne et à Malte, seul pays de l’UE à interdire l’avortement en toutes circonstances. Cependant, la légalité de la procédure dans un pays ne garantit pas nécessairement l’accès effectif à l’avortement pour les femmes, et ceci est particulièrement vrai en Italie, pays des objecteurs de conscience. Un sujet de The New Federalist dans le cadre du Grand format européen de mars 2021.

La légalisation de l’avortement dans la péninsule : la « Legge 194 »

L’avortement en Italie a été autorisé en 1978 par la « Legge 194 » et confirmé par un référendum en 1981. La loi 194 légalise l’avortement jusqu’à la douzième semaine de grossesse à la demande de la femme et au-delà de cette période sur avis d’un médecin si celui-ci estime que la grossesse constitue un danger pour la vie de la femme. Initialement, seul l’avortement dit chirurgical était autorisé. En effet, l’IVG médicamenteuse (méthode nécessitant la prise de deux médicaments à intervalle : le mifépristone et le misoprostolde) n’a été autorisée qu’en 2009. Aujourd’hui, l’avortement chirurgical demeure la principale méthode d’avortement dans la péninsule et représente environ 80 % des IVG pratiquées.

La clause de conscience : une faille dans la loi 194

La restriction de l’accès à l’avortement en Italie est due à l’article 9 de la loi 194. Celui-ci dispose que les professionnels de la santé ne sont pas tenus de participer aux interventions d’interruption de grossesse s’ils soulèvent préalablement une objection de conscience pour des raisons religieuses ou personnelles. Néanmoins, cette clause de conscience ne peut être invoquée si la vie de la femme est en danger, même si des exemples contredisent cette exception.

Cet article qui était censé être une exception permettant à une poignée de médecins et d’anesthésistes de ne pas pratiquer d’avortements, est à l’origine d’une véritable restriction de l’accès à l’avortement dans le pays. En effet, tel que prévu par la loi des professionnels de santé ont invoqué être objecteurs de conscience pour des raisons religieuses ou personnelles. Mais d’autres l’ont fait au fil des années car ils étaient excédés par la charge de travail excessive qu’ils ont dû absorber en raison du manque de médecins disposés à pratiquer des avortements dans leur région. Silvana Agatone, présidente de LAIGA, une association de médecins non-objecteurs, a indiqué qu’en 2005, le pourcentage de médecins objecteurs en Italie était de 58% et qu’en 2016, il était passé à 71%.

Ces dernières années, il était estimé qu’environ 70 % des médecins en Italie sont des « objecteurs de conscience », mais les chiffres varient beaucoup selon les régions. Par exemple, en Lombardie, plus de 60 % des médecins sont des objecteurs de conscience, tout comme en Ligurie et dans le Piémont. Dans les régions du sud de l’Italie, le nombre d’objecteurs de conscience est encore plus élevé, avec 80 % des médecins dans le Latium, 86 % dans les Pouilles et plus de 90 % en Basilicate et dans le Molise.

Cette situation a pour effet de rendre l’accès à l’avortement difficile dans certaines régions voire impossible dans les régions les plus méridionales de la péninsule. De plus, le manque de médecins non-objecteurs entraîne un allongement considérable du délai d’obtention d’un rendez-vous pour un avortement, ce qui peut amener les femmes à dépasser le délai légal. Ainsi, celles-ci sont souvent contraintes de se rendre dans une autre ville, dans une autre région ou même à l’étranger afin de pourvoir avorter. Ces difficultés d’accès à l’avortement amènent les amènent également à recourir à des avortements illégaux. En 2019, le gouvernement italien estimé entre 10 000 et 13 000 par an le nombre d’avortement illégaux pratiqués dans la péninsule.

L’impact du Covid-19 sur l’accès à l’avortement en Italie

Les restrictions de voyage, la crainte de la contagion et le manque d’information sur les services obstétricaux disponibles liés à la propagation du Covid-19 ont exacerbé les difficultés préexistantes d’accès à l’avortement en Italie. Selon un rapport de Human Right Watch, le gouvernement italien a manqué à sa responsabilité de garantir des voies d’accès claires à certains soins médicaux essentiels (dont l’avortement fait partie) ce qui a entraîné la suspension des avortements dans plusieurs hôpitaux italiens. Cela a également engendré des retards importants dans la prise en charge empêchant certaines femmes d’avorter car elles avaient dépassé la limite légale de douze semaines.

Cette situation a amené le gouvernement Italien à modifier les modalités d’accès à l’IVG médicamenteuse. Ainsi, le délai d’accès à l’IVG médicamenteuse a été étendu de 7 à 9 semaines de grossesse et la procédure sera désormais effectué en ambulatoire alors que jusqu’à présent trois jours d’hospitalisation étaient recommandés.

Bien que cette circulaire constitue sur le papier une amélioration des conditions d’accès à l’avortement et une homogénéisation de la procédure d’IVG médicamenteuse (puisque certaines régions autorisaient déjà la prise de la pilule abortive sans hospitalisation), il est encore trop tôt pour juger de l’efficacité de cette mesure. Par ailleurs, celle-ci a été fortement critiquée dans certaines régions italiennes comme en Ombrie où la Présidente de région Donatella Tesei (Lega) avait interdit en juin dernier l’utilisation de la pilule abortive sans hospitalisation ce qui avait provoqué une vague de manifestations.

Avortement : que dit l’Europe ?

Le Conseil de l’Europe a critiqué par deux fois les conditions d’avortement en Italie. En effet, le comité des droits sociaux du Conseil de l’Europe a estimé que les femmes italiennes souhaitant avorter se heurtent encore à trop d’obstacles. Le comité a également affirmé qu’un pays autorisant les clauses de conscience doit s’assurer que cela n’empêche pas l’accès à l’avortement.

Quant à l’Union européenne, elle n’a pas de compétence juridique en matière d’avortement mais cela n’a pas empêché le Parlement Européen d’exprimer ses préoccupations à propos du durcissement de la loi sur l’avortement en Pologne.

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