Quand aucun parti européen ne répond aux attentes des citoyens, la voie est libre pour les populismes

, par Riccardo Moschetti, Traduit par Martin Bot

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Quand aucun parti européen ne répond aux attentes des citoyens, la voie est libre pour les populismes
Marine Le Pen à un rassemblement du Front National en 2012. Blandine Le Cain/Flickr (CC BY 2.0)

Au début de la deuxième décennie du nouveau millénaire, avec la diffusion de la crise économique et financière à travers le monde, l’idée que la différence entre la gauche et la droite avait disparu a marqué la vie politique de plusieurs pays. Toutefois, la réalité est plus complexe.

Le succès croissant des mouvements dits populistes et de leur propagande constitue un défi de taille pour les partis traditionnels, et tout d’abord concernant les clivages. Auparavant, on pouvait distinguer deux blocs principaux, la droite et la gauche, mais cette opposition a été remise en question.

Le sentiment antimondialiste a trouvé son expression aux extrémités de ces deux blocs, déterminées à lutter contre les conséquences premières de l’ère mondialisée. Avant tout le monde, les mouvements populistes ont identifié une nouvelle classe sociale, les prétendus perdants de la mondialisation, et ont mobilisé tous leurs efforts de communication à atteindre cette classe à travers le web.

L’électorat populiste

Dans de nombreux cas, les populistes se sont organisés de manière traditionnelle, derrière un leader charismatique. Dans le cas du Mouvement 5 étoiles en Italie, ou bien avec les « Gilets jaunes » en France, les principaux atouts sont plutôt les suivants : la dépersonnalisation du programme et du message, l’absence de leader, et la capacité à se servir du pouvoir viral des réseaux sociaux.

Ils sont également tout récents sur la scène politique, ce qui leur permet de mieux s’organiser et de maîtriser leur image, qui se trouve être de plus en plus attirante. Et l’émergence d’acteurs politiques nouveaux, comme c’est le cas ici, n’est pas quelque chose que l’on doit chercher à éviter. La politique est la représentation des requêtes émergeant de la société, donc si un groupe organisé défend les intérêts des peuples, en quoi est-ce un problème ?

En fait, le véritable problème est peut-être l’alternative politique qui existe face à ces mouvements populistes. Ou plus précisément, leur incapacité à rivaliser avec des forces politiques nouvelles. Pendant les années de crise, la politique a beaucoup changé : la façon de communiquer, de rassembler les foules, la volatilité électorale… En outre, les partis modérés, structurés mais vieillissants, de droite comme de gauche, ont été accusés de se servir des mêmes arguments.

Initialement, cette propagande contestataire a été uniquement adressée à la classe politique. C’est toutefois devenu le socle d’une lutte nouvelle, qui n’est plus fondée sur le clivage politique entre capitalistes et socialistes. Cette nouvelle perspective, qui oppose la classe des surdiplômés (les cadres, si on veut) aux autres, a révolutionné, d’une certaine manière, à la fois les modes de contestation politique et la scène politique elle-même.

Suite à ce nouvel alignement, qui n’est pas nécessairement dû à une force politique en particulier, de jeunes partis et mouvements sont parvenus à enraciner leur propagande et leurs messages dans la société, tout en évitant le plus gros écueil : s’adresser au noyau dur de l’électorat d’un autre mouvement. La propagande antisystème convient parfaitement à la classe nouvelle. L’affirmation selon laquelle les perdants de la mondialisation ont une place légitime au sein de la société offre aux mouvements populistes une imposante coalition de sympathisants.

Une conception nouvelle de la démocratie

De surcroît, ces forces politiques ont remis en cause le concept de démocratie représentative, et en particulier le manque de démocratie au sein des institutions internationales, accusant le personnel administratif, les dirigeants et les institutions elles-mêmes d’élaborer des politiques qui vont « à l’encontre » des attentes des citoyens. Une nouvelle fois, l’objectif premier étant de diviser la société autour d’un point de fracture simple : ceux qui sont en faveur de l’ancien ordre politique et ceux qui voient l’acteur politique comme moteur du « changement ».

En adoptant cette rhétorique, les populistes sont passés à la seconde partie de leur stratégie : délégitimer les institutions internationales. Ce message politique puissant, qui ne s’oppose pas à une opinion politique mais à un ordre politique en général, considère que ces organisations ne représentent personne et ne sont donc pas au service des citoyens. Associée à la campagne antisystème, la lutte contre les inégalités de représentation démocratique entre les institutions internationales et les politiques nationales (pour redonner du poids aux secondes) a rassemblé ceux que Putnam a appelé les « insatisfaits ».

Ces acteurs ont donc politisé les institutions à la place du programme. En conséquence, les autres partis ont adopté la stratégie opposée : défendre les institutions démocratiques, quelles qu’elles soient, préférant défendre ce qui ne fonctionne pas bien plutôt que de proposer des alternatives. C’est donc dans cette impasse que nous nous trouvons aujourd’hui.

Ce qu’on pourrait appeler la troisième vague (et peut-être la dernière) de populisme est là. Elle opère la transition entre un modèle dans lequel il faut choisir d’être pour ou contre (l’ordre politique et les institutions, par exemple) à un modèle dans lequel il faut choisir son côté sur le spectre politique traditionnel (gauche et droite). Toutefois, il y a une différence de taille par rapport aux clivages classiques : les partis populistes modifient leurs positions en fonction de l’opinion publique. C’est une décision stratégique, qui leur permet de rester difficilement identifiables dans le paysage politique, mais surtout de se distinguer de leurs opposants.

Le remède : des partis à l’échelle européenne

Les populistes ont un point faible : ils manquent d’un système de parti transeuropéen. Puisque les mouvements populistes contiennent généralement des franges nationalistes et eurosceptiques, et compte tenu de la mixité de leur programme, il est plus difficile pour eux de s’assembler et de gérer la politique de l’Union. C’est pourquoi l’existence de groupes nationalistes au Parlement européen parait illogique. Ils siègent ensemble au Parlement, mais leur coalition ne tient qu’à quelques grands principes (rendre aux États leur souveraineté nationale ou blâmer la Commission européenne par exemple).

En ce moment, les partis qui s’étendent à l’échelle européenne ne sont pas capables de faire les mêmes avancées que celles qui ont déjà été entreprises dans certains pays. Les partis européens ne peuvent pas politiser la scène européenne parce qu’ils ne sont que des confédérations. Telles qu’elles sont formées, ces confédérations sont à la merci des partis nationaux (ainsi que des intérêts nationaux) : les chefs d’État sont souvent aussi à la tête de leur parti, ce qui explique que les congrès des partis européens soient principalement structurés de la même manière que le Conseil européen.

En outre, puisque les élections européennes sont uniquement prévues séparément sur les terrains électoraux nationaux, il est difficile d’imaginer qu’un(e) eurodéputé(e) puisse représenter son parti européen et non ses préoccupations nationales. Un système dans lequel les partis ne sont pas transnationaux confine les débats et les compétitions entre les acteurs politiques au niveau national, ce qui est un gros défaut de l’UE.

Si nous avions un système solide qui permettait la formation de véritables partis européens, fondé sur des fédérations entre des partis de différents pays, nous pourrions représenter la volonté des citoyens et leurs attentes vis-à-vis de l’Union, respectant par là le principe de subsidiarité. Sans cela, nous nous retrouverons avec un système politique à faible responsabilité et réactivité. Par-dessus tout, il faut considérer que la société européenne peut être représentée par la sphère politique classique, avec des partis européens qui s’aligneraient sur les mêmes clivages que ceux présents sur la scène nationale. Si nous voulons que l’UE soit véritablement politisée et que les citoyens soient au cœur des politiques européennes, nous devons permettre la représentation des intérêts via des partis politiques.

La gauche et la droite ne sont pas mortes, elles doivent seulement se redresser contre la propagande nationaliste et populiste. Et l’UE est l’échelle idéale pour y parvenir.

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