Protéger et regarder la planète depuis l’espace : entretien avec l’astronaute Paolo Nespoli

, par Anna Ferrari, Traduit par Eunice Deffrasnes

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Protéger et regarder la planète depuis l'espace : entretien avec l'astronaute Paolo Nespoli
Photo : © European Youth Event - European Parliament

Au cours de sa longue carrière, Paolo Nespoli, astronaute de l’Agence Spatiale Européenne (ASE), né en Italie en 1957, est allé trois fois dans l’espace (en 2007, en 2010-2011 et en 2017), pour un total de 313 jours. Il commença sa carrière en tant que soldat au Liban pour le compte de l’armée italienne. C’est là-bas qu’il rencontra la célèbre journaliste italienne Oriana Fallaci, qui l’inspira à partir étudier l’ingénierie aérospatiale aux États-Unis, afin de poursuivre son rêve d’enfant : devenir astronaute. Il met fin à sa carrière en novembre 2018.

Dans l’entretien qu’il nous accorde, Paolo Nespoli saisit l’opportunité de s’exprimer sur la protection de l’environnement, la valeur de la recherche scientifique, ou encore l’Union européenne, et encourage les jeunes à poursuivre leurs rêves.

Anna Ferrari (AF) : Comment la recherche spatiale peut-elle nous aider à comprendre notre planète ?

Paolo Nespoli (PN) : En général, la science, la technologie et la recherche sont des éléments importants pour les êtres humains, car ils nous permettent de mieux nous comprendre, et de mieux comprendre notre planète. Si nous ne comprenons pas où nous sommes, alors nous ne pouvons pas comprendre nos actions, leurs conséquences positives ou négatives, ni comment mieux vivre notre environnement. L’espace est un lieu où on peut faire des choses que nous ne pourrions faire nulle part ailleurs : c’est pour cela qu’aller y effectuer des expériences en vaut la peine ! Pas seulement parce que notre nature humaine nous pousse à vouloir nous rendre partout, mais aussi parce que ces conditions particulières comme la micro-gravité et la distance par rapport à la Terre nous permettent d’améliorer nos connaissances.

AF : Que pouvons-nous faire pour protéger la planète, en nous inspirant de ces recherches dans l’espace ?

Tout a de la valeur : la façon dont on organise sa vie, la manière dont on s’identifie à l’environnement et aux autres. Nous devons être conscients que nous ne sommes qu’un maillon d’une chaîne qui fait le tour du monde. Lorsque je regarde la Terre depuis l’espace, avec toutes ces villes et ces routes, je vois un monde enchaîné, et nous sommes cette chaîne. Nous devons réaliser que chacun d’entre nous, les jeunes comme les plus âgés (mais les jeunes encore plus) avons un impact sur la planète et devons décider de nos actions en conséquence.

De plus, les frontières ne sont pas visibles depuis l’espace. Vous voyez une entité entière, sans nations. Vous voyez une planète en équilibre dans l’espace, protégée seulement par une fine couche d’atmosphère. Mais vous voyez également les destructions causées par l’Homme. Cependant la Terre n’est pas en train de mourir, elle s’adaptera. C’est nous qui allons disparaître si nous continuons ainsi.

AF : Quel rôle l’Union européenne peut-elle ou devrait-elle avoir en tant que force politique ?

PN : De l’espace, on peut voir que les nations, aussi puissantes qu’elles soient, sont petites. Si nous ne travaillons pas ensemble, nous n’irons nulle part. Peut-être rendrions notre jardin plus propre, mais au détriment du reste. A mon avis, si les politiques de contrôle territorial sont absolument nécessaires, grâce aux capacités actuelles de communication et de mouvement, il ne fait aucun doute que le contrôle des territoires doit s’étendre et atteindre un niveau continental. C’est seulement à cette échelle que l’on pourra être capable de gérer des grands espaces, afin de mettre en commun les ressources, les recherches, ainsi que les objectifs sociaux, économiques, politiques et industriels. Cela permettra également d’éviter d’avancer dans différentes directions. L’Union européenne a un rôle important parce qu’elle est un de ces espaces macro-géographiques.

AF : Lorsque que vous étiez militaire au Liban, vous avez rencontré la journaliste Oriana Fallaci, et cette rencontre a changé votre vie. Dans une carrière, quel est le degré influence de certaines personnes que nous rencontrons sur notre chemin et qui nous poussent à réaliser nos rêves ?

PN : La vie ressemble à une série de coïncidences, mais j’ai quelquefois l’impression qu’elles arrivent à nous parce qu’on les cherche. D’autres arrivent complètement par hasard. A la fin cependant, tout ce qui nous entoure est important, et nous devrions y faire davantage attention plutôt que d’être en permanence absorbés par nos smartphones par exemple.

J’ai eu la chance de rencontrer une personne importante pour moi comme Oriana Fallaci, et je n’ai rien fait d’autre que d’être moi-même. Il est vrai qu’elle m’a demandé ce que je voulais faire dans ma vie professionnelle. Peut-être est-ce à ce moment-là que j’ai réalisé que je devais repenser et réorienter ma vie. En aurait-il été de même si je n’avais pas rencontré Oriana Fallaci ? Je ne sais pas, mais à l’époque, cela m’a bien servi. En revanche, vous n’avez pas besoin de faire de grandes rencontres pour comprendre ce que vous voulez faire de votre vie. Essayez juste de regarder autour de vous, de comprendre votre réalité et de tout faire pour réaliser vos rêves.

AF : Comment est-il possible de poursuivre ses passions face à l’adversité ?

PN : Ce n’est pas simple du tout. Avec le recul c’est toujours plus simple. Si je savais ce que j’allais faire 25 ans plus tôt, j’aurais été beaucoup plus serein. Par exemple, lorsque j’ai réussi à voyager dans l’espace la première fois et que je suis revenu, ils m’ont dit qu’il n’y aurait plus d’opportunité pour moi d’y retourner. Quelques années plus tard, j’y suis retourné. Puis lorsque je suis revenu, ils m’ont redit que c’était là ma dernière chance. Puis la troisième mission m’a été proposée. Ma vie a toujours été une histoire complexe, composée de différents éléments. Cela n’a pas été un chemin clair, je n’ai jamais vraiment décidé de la voie à suivre. Cela a toujours été une route où je n’ai jamais pu avoir suffisamment de visibilité pour savoir si m’attendait un ravin ou une villa avec piscine, pour ainsi dire.

AF : Incroyable, je pensais qu’une fois qu’on devient astronaute, on le reste indéfiniment.

PN : Non, ça ne marche pas comme ça. Je suis à présent à la fin de ma troisième mission et de ma carrière en tant qu’astronaute, et j’essaie de savoir quoi faire « quand je serais grand ». Je me sens Européen, je me sens Italien, mais j’ai passé, bon gré mal gré, 25-30 ans de ma vie hors d’Italie. Malgré cela, je continue à me sentir Italien, je veux retourner en Italie et faire quelque chose là-bas. Quand je rentre en Italie, je suis souvent énervé de voir toutes les choses qui ne vont pas, mais peu d’intérêt à les changer. Je me demande pourquoi c’est comme ça en Italie, alors que les choses pourraient être tellement mieux.

Pour résumer, on ne finit jamais de grandir. Plus vous êtes conscient de vos capacités personnelles, plus vous pouvez essayer de faire des choses différentes et plus difficiles. Paradoxalement, se tromper est important, car si vous ne faites pas d’erreurs, cela signifie que vous n’essayez rien de nouveau. Vous devez être capable d’échouer. Le plus important c’est d’apprendre de ses erreurs, qui sont nécessaires à l’apprentissage, afin de comprendre comment ne pas les répéter, puis à aller de l’avant. C’est ce que j’ai essayé de faire dans ma vie, et j’exhorte les jeunes à essayer des choses, à ne pas se sentir inutiles ou incapables lorsqu’ils ne réussissent pas ou qu’ils font des erreurs. Découvrez ce qui est bon pour vous et utilisez-les. Dans le même temps, comprenez ce qui est mauvais et débarrassez-vous-en.

AF : Après un séjour dans l’espace, lorsque vous revenez sur Terre, vous sentez-vous comme un extraterrestre ?

PN : Non, c’est justement agréable d’être parmi des êtres humains de nouveau. La gravité se ressent comme une chaîne sur votre corps, mais c’est en fait très beau de redécouvrir ses sens, d’avoir des contacts humains, de voir des amis, un ensemble de choses qui n’existent pas dans l’espace.

AF : En allant dans l’espace, est-ce que le sentiment religieux et la croyance en Dieu changent ?

PN : Je dirais que non. L’espace, à mon avis, ne répond pas à ce genre de questions. A l’inverse, cela en soulève des nouvelles. Mais c’est normal : plus on sait, et plus on se rend compte de son ignorance.

AF : Quel conseil donneriez-vous, surtout aux jeunes ?

PN : Quel conseil ? Tout un chacun devrait faire ce qu’il veut. Mais je ferais une remarque : faites autant d’expériences que vous le pouvez, essayez de sortir de votre bulle, découvrez d’autres cultures afin d’élargir vos horizons et de comprendre qu’il n’y a pas une seule façon de voir les choses. Étudiez d’autres langues ! Se sentir faible parce qu’on se trouve dans une autre culture est extrêmement important pour comprendre la diversité, donc je conseillerais d’aller faire des expériences à l’étranger, dans des endroits inhabituels, pas seulement aux États-Unis : allez en Afrique, allez en Inde. Allez dans des endroits où vous êtes mal à l’aise, parce que ce sont les endroits où vous avez le plus à apprendre.

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