“Macron-Merkel : la résurrection”, c’est ainsi que l’éditorialiste de Libération Laurent Joffrin titrait sa lettre politique rédigée à l’issue de l’annonce par la France et l’Allemagne d’une proposition commune de plan de relance à hauteur de 500 milliards, lors d’une conférence de presse commune mais à distance. Alors que les médias de l’hexagone divaguaient depuis des mois sur le désamour entre Paris et Berlin, l’annonce de cette initiative commune en a surpris plus d’un, comme le rappelle Joffrin : “sous l’égide de ce « couple franco-allemand » – dont on disait qu’il n’existait pas – l’Union européenne réaffirme sa volonté d’agir en commun contre la crise et, surtout, elle donne à cette volonté réitérée sa base sonnante et trébuchante”.
Il est vrai qu’à première vue, l’initiative franco-allemande casse plusieurs dogmes défendus par l’Allemagne et est une vraie victoire pour une Europe solidaire en ce temps de crise, ainsi que pour une souveraineté stratégique de l’UE dans une mondialisation dérégulée et face à des puissances mondiales de plus en plus hostiles (la Chine et les États-Unis en premier lieu).
Le tandem franco-allemand entre en jeu
Comme souvent, les initiatives franco-allemandes font bouger les lignes en Europe. Celle-ci pourrait confirmer cette règle tacite. Le plan de relance de 500 milliards d’euros d’Emmanuel Macron et d’Angela Merkel se présente sous forme d’emprunt de la Commission européenne, au nom de l’Union européenne. Il s’agirait là d’une forme d’endettement commun d’un montant sans précédent. “Face à cette crise d’une ampleur inédite, la réponse doit d’abord être collective et européenne” a affirmé le Président français. Une “avancée profondément inédite” a déclaré pour sa part la chancelière allemande.
Ces 500 milliards d’euros seront en effet répartis dans les régions et les secteurs qui ont particulièrement souffert de la crise du coronavirus et seront disponible à court terme. Ces dotations budgétaires feront ensuite l’objet d’un remboursement, via une clé de répartition similaire à la contribution des États membres, et non pas en fonction de ce que les États ont reçu. Si cette “union de transfert” voit le jour, il s’agirait donc d’un vrai “changement de philosophie” comme l’ont souligné le Président Macron et la Chancelière Merkel. Ce prêt européen de 500 milliards serait adossé au prochain budget européen, qui couvrira la période 2021-2027 et qui est toujours en négociations mais devra être plus conséquent que les années précédentes, même si Merkel comme Macron n’ont donné aucun chiffre.
Ce plan n’est en réalité qu’un des quatre piliers de l’initiative franco-allemande. Celle-ci propose en outre la mise en place d’une politique européenne de santé publique tangible (en termes notamment de réserves communes de matériel médical et de capacité d’achat au niveau européen), de critères de développement durable et de transition énergétique (la France et l’Allemagne ont rappelé toute l’importance du Green Deal), et de souveraineté économique européenne, concernant en particulier la relocalisation de secteurs économiques stratégiques et la formation de “champions européens”.
Si les grandes lignes sont tracées par Paris et Berlin, les détails restent flous, notamment sur le calendrier de remboursement et les secteurs concernés par ces dotations budgétaires. La Commission, qui doit en outre présenter son propre plan le 27 mai, doit se charger d’affiner les détails.
En attendant l’annonce de l’exécutif européen l’initiative vient ajouter un troisième pilier à la stratégie de relance existante, avec les plans nationaux (chiffrés à 2000 milliards d’euros), et l’accord trouvé début avril par l’Eurogroupe (rassemblant les ministre des finances de la zone euro) d’un plan de sauvetage de 540 milliards d’euros. Au total, selon Merkel, l’Europe aura mobilisé 3000 milliards d’euros pour lutter contre les effets de la pandémie. Un signal fort envers ceux qui doutent de la capacité de l’Union Européenne de réagir à une crise économique qui s’annonce très forte (la Commission prévoit une récession de 7,7% en 2020).
Cette annonce vient à point nommé du point de vue de la communication politique, surtout pour la chancelière allemande : le 5 mai dernier, le tribunal constitutionnel fédéral (BVG) a émis un arrêt remettant en cause la primauté du droit européen par les juges de Karlsruhe. Le gouvernement allemand a finalement “désavoué” implicitement le tribunal constitutionnel en prônant la poursuite de l’intégration économique européenne.
Même si ce plan de relance n’exige pas un “changement de traité” comme le rappelle Emmanuel Macron, celui-ci devra être approuvé par les 25 gouvernements restants, ce qui ne semble pas gagné. Si les premiers ministres italien et espagnol Giuseppe Conte et Pedro Sánchez ont réagi très positivement à l’annonce de Paris et Berlin, le Chancelier autrichien, Sebastian Kurz, s’est prononcé contre la mutualisation des dettes européennes et sera vraisemblablement soutenu par le Danemark, la Suède et les Pays-Bas. Le Président français et la Chancelière allemande en sont conscients : “un accord franco-allemand est un préalable à un accord européen [...] mais si un état refuse, tout le processus est bloqué”.
Une partie de poker budgétaire
Il est clair que l’initiative franco-allemande est un réel changement de paradigme. Pour la première fois, il est proposé l’idée d’une union de transfert où ne règne pas le principe de proportionnalité qui empoisonne systématiquement les négociations budgétaires classiques. Cependant Emmanuel Macron et Angela Merkel font un pari osé, alors que la Commission européenne doit présenter son propre plan de relance le 27 mai prochain. Dans le meilleur des cas, les deux plans pourraient aboutir, voire être mutualisés. Dans le scénario pessimiste, ils pourraient être tous les deux retoqués par le véritable obstacle qu’est l’unanimité : c’est quitte ou double.
La Commission, qui a salué cette initiative, est en effet déjà très active dans ce mouvement de “résilience”, puisqu’un premier volet de la relance européenne a été décidé il y a quelques semaines. Depuis la Commission a travaillé sur son propre fonds de relance qu’elle doit présenter prochainement. Celui-ci doit être plus conséquent que le plan franco-allemand puisqu’il proposerait le double, soit 1000 milliards venant à la fois de garanties et de prêts, comme l’a expliqué Valdis Dombrovskis. « Notre ambition n’est pas d’augmenter nos capacités financières de centaines de milliards d’euros, mais plutôt de plus de 1000 milliards d’euros » a d’ailleurs précisé le vice-président de la Commission lors d’une conférence de presse mardi 19 mai.
Une partie du plan de la Commission serait un fonds de relance basé sur une augmentation du plafond des ressources propres du budget de l’Union européenne, c’est-à-dire qui ne relèvent pas des contributions des États membres. Comme le souligne l’AFP qui cite une source européenne, en augmentant le plafond de 1.2% à 2% du PIB de l’UE, la Commission serait dotée d’une capacité d’emprunt jusqu’à 900 milliards dans les trois premières années du CFP, et cela sans augmenter la contribution des États membres. Il reste donc à voir comment la proposition de macron et de Merkel se rajoute à la stratégie de la Commission.
En parallèle de cette proposition de l’exécutif européen, les députés ont approuvé à une large majorité une résolution appelant à un fonds de relance à hauteur de 2000 milliards qui doit venir compléter un budget européen plus ambitieux. Dans le même temps, Ils se sont montré critique vis à vis de la Commission, appelant à ne pas utiliser “des multiplicateurs douteux pour donner une publicité à des chiffres ambitieux”, faisant référence au déplafonnement des fonds propres. Pour le Parlement européen il faut que ce fonds soit financé par des obligations de relance, autrement dit les coronabonds retoqués par les pays frugaux.
Ainsi, les institutions européennes ont aussi joué le jeu de l’initiative et de l’ambition, le moment étant en effet bien choisi : face à une telle crise où on ne peut désigner un bonnet d’âne, l’avancée européenne s’impose. Malheureusement dans le jeu des négociations futures, il y a tout à perdre..
Un coup de bluff ?
Le risque est que ces plans, plus ou moins ambitieux et complémentaires, se neutralisent les uns les autres. L’unanimité est nécessaire pour de telles innovations budgétaires et l’opposition est déjà vive. C’est donc bien un coup de poker que tentent Angela Merkel et Emmanuel Macron : multiplier les issues budgétaires pour en imposer une à leur partenaire. Si cela venait à échouer, tout ne serait cependant pas à jeter : il aura en effet été acté que désormais, une vraie solidarité budgétaire peut exister au sein de l’Union européenne, ce qui envoie un vrai signal politique.
Il faut rapidement que ces propositions convergent. D’un côté le Parlement européen devrait se ranger aux côtés de la Commission, en soutenant la proposition de cette dernière qui donnera plus d’indépendance aux politiques communautaires. En effet, dans un premier temps cette augmentation des ressources propres servirait à financer les régions et secteurs touchés par la crise actuelle. Cela pourrait marquer un précédent. Il faudrait alors dans un second temps consolider cette avancée dans les traités et l’étendre à toutes les politiques communautaires. De cette manière l’Union européenne seraient moins dépendantes des contributions des États membres pour mener ses actions. De l’autre le Président français et la Chancelière allemande vont devoir convaincre leurs collègues européens de l’utilité d’au moins l’un de ces plans.
Voici ce qui pourrait apparaître comme la meilleure option pour le tandem franco-allemand : jouer de sa proposition qui apparaît comme inacceptable aux yeux de ses partenaires du nord pour favoriser les envies d’indépendance de la Commission européenne et assurer un avenir budgétaire plus conséquent pour l’Union. L’heure est aux négociations.
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