Procréation médicalement assistée : où en est-on dans l’UE ?

Tour d’horizon d’un tourisme reproductif européen en plein boom

, par Maryse Lhommet

Procréation médicalement assistée : où en est-on dans l'UE ?

Après bon nombre de débats houleux, les députés français ont adopté, le 27 septembre 2019, l’ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA) à toutes les femmes et la levée de l’anonymat pour les donneurs de gamètes. Hier, mardi 15 octobre, c’est l’ensemble de la loi sur la bioéthique, dont faisait partie ce texte, qui est adopté à une large majorité par l’Assemblée nationale.

Alors que certains considèrent l’ouverture de la PMA comme une menace pour la famille traditionnelle, d’autres y voient la fin d’un « tourisme reproductif » vers d’autres pays européens à la législation plus souple. Mais où vont ces touristes ? Qui a le droit à la PMA dans l’Union européenne ? Petit tour d’horizon parmi les 28 États membres de l’Union.

Chez qui l’accès est-il le plus ouvert ? Panorama des conditions légales d’accès plus ou moins restrictives

Il n’existe, à l’heure actuelle, aucun texte juridique européen commun pour encadrer l’accès à la PMA, faute de consensus entre les États membres, même si, à l’exception de l’Irlande, tous les pays sont pourvus d’une législation l’encadrant. Entre critères d’orientation sexuelle, d’âge, ou bien sûr la PMA post mortem… à chacun sa position.

Deux tendances antagonistes coexistent : d’une part les législations autorisant la PMA pour les couples hétérosexuels seulement – comme la France, tant que n’est pas définitivement votée la loi sur la bioéthique par le Sénat qu’il l’examinera en janvier – et, d’autre part, celles autorisant la PMA pour les couples quelle que soit l’orientation sexuelle des partenaires et les femmes seules. On retrouve ainsi dans la première catégorie des États qui font une distinction sur l’orientation sexuelle des parents, l’Italie, la Pologne, la Roumanie, la République tchèque, la Lituanie, la Slovaquie et la Slovénie. Un seul État se trouve avoir fait un choix différent : l’Autriche, qui autorise l’accès de la PMA aux couples lesbiens mais pas aux femmes seules.

Autre point de discorde : l’accès à la PMA post mortem qui, de son côté, suppose une insémination après le décès du conjoint. Pour l’instant, la France refuse cette pratique comme les onze autres États membres, que sont l’Allemagne, la Bulgarie, le Danemark, la Finlande, la Grèce, l’Italie, la Lettonie, le Portugal, la Slovénie, la Suède.

Au-delà des différences, ce sont surtout deux visions de la famille et de la filiation qui s’affrontent et que l’on a retrouvées au cœur des débats de l’Assemblée nationale. Si le projet de loi bouleverse l’accès à la PMA, c’est parce qu’à ce jour, en France, n’y ont accès que les couples hétérosexuels stériles ou porteurs d’une maladie grave. Les bébés éprouvettes sont donc réservés aux couples pensés de manière très « traditionnelle » : avec un père et une mère, et conçu à l’aide de la science pour pallier une défaillance naturelle. Grâce, ou à cause de cette réforme, le rôle de la PMA changera complètement puisqu’il permettra aux femmes, quelles qu’elles soient – les veuves mises à part – d’accéder à la maternité sans être forcément stériles, ni même en couple. C’est une redéfinition de la famille qui est en jeu, de la filiation et du rôle de la science dans la création de la vie.

L’attrait de l’autre côté de la frontière

L’autorisation de la PMA dans certains pays, les divergences de légalité et les coûts variables qui y sont liés, ont créé au fil des années un tourisme dit « reproductif » en Europe.

En France, par exemple, les coûts peuvent être pris en charge par l’assurance maladie dans la limite de certaines conditions, comme l’infertilité, alors qu’en Pologne, aucun financement étatique n’est prévu. Selon les États, certaines conditions doivent être remplies pour bénéficier de ce financement. Si la PMA est accessible outre-Rhin aux couples ainsi qu’aux femmes seules, seuls les premiers peuvent obtenir une prise en charge à hauteur de 50% par l’État fédéral, certains Länder proposant également une prise en charge complémentaire de 25 %. Au contraire, les couples homosexuels et les femmes célibataires ne peuvent prétendre qu’à une prise en charge de 12,5 %. Dans trois pays, la situation est encore plus compliquée : à Chypre, en Irlande et en Lituanie, il n’existe aucun établissement médical public pour réaliser ces procédures médicales.

Ce type de tourisme bénéficierait surtout à l’Espagne et à la Belgique, qui peuvent se vanter d’une prise en charge étatique, et d’une durée d’attente moindre. D’après une étude de l’ESHRE réalisée en 2010, deux tiers des patients européens venant d’un autre État membre pour réaliser une PMA dans les six principales destinations du tourisme reproductif (Belgique, République tchèque, Danemark, Slovénie, Espagne et Suisse) venaient d’Italie (31 %), d’Allemagne (14 %), des Pays-Bas (12 %) et de France (9 %). Pour la plus grande majorité, le tourisme reproductif était motivé par la difficulté d’accès légale à la PMA dans leurs propres pays, surmontée une fois passé de l’autre côté de la frontière.

Des résistances idéologiques toujours très ancrées dans la société

L’existence de la PMA et son accessibilité aux couples homosexuels et aux femmes seules ont fait débat dans tous les pays européens, la France n’y faisant pas exception. Sa plus grande ennemie est l’Église catholique qui proteste farouchement contre l’extension de la PMA à toutes les femmes. Des membres du groupe de travail « Église et bioéthique » de la conférence des évêques de France ont ainsi publié le 18 juillet 2019 une note expliquant leurs inquiétudes à ce sujet. Sur le plan sociologique, ils y évoquent comme soucis « l’absence du père », la « suppression de l’ascendance paternelle qui serait une atteinte à la filiation », qui causerait selon eux des difficultés dans le développement de l’enfant. Le pape François n’avait-il pas affirmé le 7 novembre 2014 que « l’avortement, la procréation médicale assistée et l’euthanasie étaient des péchés contre Dieu [car] la naissance devrait être un cadeau et non un droit » ? Ces propos sont d’ailleurs au cœur des manifestations contre l’élargissement de la PMA qui ont eu lieu à Paris le dimanche 6 octobre 2019.

On retrouve cette même idéologie en Pologne où, jusqu’en 2015, aucune loi n’encadrait la PMA, grand tabou sociétal. Si une loi existe aujourd’hui, elle reste continuellement dénigrée par les pouvoirs publics car jugée contre nature. Or, ainsi que l’a rappelé le député Jean-Luc Mélenchon sur les bancs de l’Assemblée nationale le 25 septembre 2019, « la filiation n’a jamais été autre chose qu’un fait social et culturel. La paternité ayant toujours été une présomption, il n’y a pas de vérité biologique dans la filiation. Il y a des familles biologiques évidentes avec un père et une mère qui sont des bourreaux d’enfants et il y en a d’autres où il n’y en a qu’un ou deux du même sexe qui sont l’inverse, de véritables nids d’amour. La seule chose dont on soit sûr du point de vue de la protection de l’enfant est qu’un enfant sans amour dépérit et qu’aucune loi ne peut enjoindre de l’amour ».

Sur le plan éthique, ils s’interrogent également sur la réalité d’une égalité entre les hommes dès leur naissance si certains naissent sans père. Ils partagent également leur crainte d’une dérive eugéniste avec des « bébés sur mesure ». Le diagnostic préimplantatoire (DPI), autorisé en France uniquement pour déceler des maladies graves sur l’embryon, permet également de lire l’ensemble de son code génétique et, dans le cas où l’enfant serait atteinte d’une maladie grave, de donner l’opportunité à la femme de procéder à une interruption médicale de grossesse.

C’est cette crainte de dérive eugéniste qui a poussé le gouvernement italien à l’interdire. Empêchées de réaliser un diagnostic avant que l’embryon fécondé ne leur soit implanté, les femmes enceintes se trouvaient face à une situation paradoxale : le gouvernement leur interdisait de savoir a priori si l’embryon était porteur de la maladie au nom de l’eugénisme. Pourtant si pendant leur grossesse, la maladie était dépistée sur le fœtus, deux solutions douloureuses s’offraient à elles : le garder, en sachant que l’espérance de vie d’un individu atteint de cette maladie dépasse rarement les 18 ans, ou bien avorter. C’est la Cour européenne des droits de l’Homme qui, par un arrêt Costa et Pavan c. Italie de 2012 a donné raison à la requérante en jugeant qu’il y avait là une violation de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme portant sur la vie privée et familiale.

Si l’affrontement entre ces deux visions sociétales ne semble pas faiblir, la grande majorité des pays membres semble cependant tendre vers une ouverture et une inclusion plus grande des nouveaux modèles familiaux. Reste à savoir si cette tendance saura perdurer et si la société continuera d’aller dans ce sens.

*Procréation médicalement assistée (PMA) : l’ensemble des techniques médicales consistant à manipuler un ovule et/ou un spermatozoïde pour favoriser l’obtention d’une grossesse telle que la fécondation in vitro (FIV), l’insémination artificielle ou le don de gamètes.

Sources :

Le Monde, « PMA pour toutes : l’Assemblée adopte largement le projet de loi bioéthique », 15/10/2019.

BFMTV, « PMA pour toutes : l’Assemblée nationale adopte largement le projet de loi bioéthique » (vidéo), 15/10/2019.

Le Monde, « Les opposants à la PMA pour toutes réunissent quelques dizaines de milliers de personnes à Paris », 6/10/2019.

Le Monde, « PMA, DPI, accès aux origines, ce que changera ou non la loi de bioéthique », 25/09/2019.

Le Monde, « PMA sans père ou avancée sociétale majeure, les députés entrent dans le vif du sujet », 25/09/2019.

Touteleurope, « PMA, quels droits en Europe », 23/08/2019.

Vatican news, « Inquiétudes de l’Eglise sur l’ouverture de la PMA pour toutes », 24/07/2019.

Catholicnews, « Pope calls abortion, euthanasia, ivf, sins against god the creator », 17/11/2014.

PMA : « Il n’y a pas de vérité biologique dans la filiation », youtube, intervention de Jean-Luc Mélenchon à l’Assemblée nationale, le 25/09/2019.

Fertilityeurope, EPAF Report, mars 2017.

ESHRE Regulation and legislation in assisted reproduction,fact sheets 2 January 2017.

ESHRE Cross border reproductive care, fact sheets 1 January 2017.

Journal d’Actualité des Droits Européens, « Incohérence du système législatif italien en matière d’accès à la procréation médicalement assistée et au diagnostic préimplantatoire », 26/10/2012.

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