Pourquoi les excédents allemands sont mauvais pour tout le monde

, par Théo Boucart

Toutes les versions de cet article : [Deutsch] [français]

Pourquoi les excédents allemands sont mauvais pour tout le monde
Le Ministre allemand des finances, Wolfgang Schäuble, avec la Chancelière Angela Merkel au Bundestag © - Wikimedia commons

Alors que les élections législatives approchent à grand pas, retour sur l’un des sujets sensibles entre l’Allemagne et ses partenaires commerciaux : la balance courante. Celle-ci est excédentaire depuis 2003 et malgré un tarissement durant le plus fort de la crise financière, les excédents ont atteint un nouveau record en 2016. Si cela est indéniablement dû à la performance économique du Standort Deutschland, le manque d’investissements dans le pays aggrave les déséquilibres intérieurs et étrangers.

The German problem. Why its surplus is damaging the world economy. (Le problème allemand. Pourquoi ses excédents affectent l’économie mondiale). Voici comment The Economist titrait son numéro de début juillet. Selon la « Bible » du libéralisme, l’excédent courant record de l’Allemagne (près de 300 milliards d’euros en 2016, soit 8% de son PIB) causerait de graves déséquilibres mondiaux en cette période délicate pour le libre-échange. Les conséquences de ces excédents impactent aussi bien l’Allemagne, l’Europe que le monde entier.

Quelques chiffres

Dans le cas de l’Allemagne, la balance commerciale affichait en 2016 un excédent de 253 milliards d’euro et la balance courante un excédent de 297 milliards d’euro, le record mondial, devant la Chine et le Japon. [1] Ces chiffres montrent en outre la puissance exportatrice du pays (1208 milliards d’euros d’exportations contre 955 milliards d’euros d’importations) et l’investissement relativement faible. Voici les conséquences les plus importantes de ces choix économiques.

L’Allemagne doit plus investir dans son économie

L’Allemagne pratique la modération salariale depuis plus de 12 ans, depuis le lancement par le Chancelier social-démocrate Gerhard Schröder de « l’Agenda 2010 », un programme de réformes du marché du travail et des prestations sociales afin de « promouvoir la croissance et de réduire le chômage ». Le chômage a effectivement baissé, bien que les effets de l’Agenda 2010 aient été contestés [2], et les salaires et la demande intérieure ont stagné. Cette faible demande intérieure dissuade les ménages et les entreprises d’investir. [3] L’investissement en équipement est particulièrement impacté, et c’est là un redoutable défi pour l’avenir de l’économie allemande. L’investissement public reste également faible, malgré les efforts faits pour accueillir 1,5 millions de réfugiés depuis près de trois ans. Le besoin est pourtant urgent : les infrastructures de transports, les écoles ou les hôpitaux se dégradent de plus en plus. L’économie numérique est également à la traîne. C’est paradoxalement dans les Länder de l’Ouest que le besoin est le plus pressant, en partie à cause des flux d’investissements dans les Länder de l’Est depuis la Réunification.

L’Allemagne n’a pas été le seul pays à pratiquer la modération salariale et à peu investir : à partir de 2008-2009, quasiment tous les pays européens ont adopté l’austérité budgétaire pour compenser les déficits publics. L’exception notable a été la France, qui a jusqu’en 2011 mené une politique de relance keynésienne et de soutien de la demande. On peut dire même sans exagération que c’est la France qui a empêché la spirale déflationniste, alimentée par les autres pays de la zone euro, de détruire la monnaie unique avant le déclenchement de la crise des dettes souveraines. [4]

Les excédents allemands créent de graves déséquilibres macroéconomiques en Europe

Dans une zone d’intégration économique comme l’Union Européenne, les excédents de certains pays créent nécessairement des déficits dans d’autres pays. Selon The Economist, les excédents commerciaux de l’Allemagne, mais également des pays scandinaves ou des Pays-Bas poussent le reste des pays d’Europe à compenser en déficits pour éviter de trop grandes pressions, creusant ainsi les déficits de pays déjà en crise, comme la Grèce, l’Espagne ou l’Italie. La baisse de l’euro par rapport au dollar accentue encore la compétitivité de l’Allemagne dans le monde – car l’économie allemande est beaucoup moins dépendante des débouchés européens que la plupart des autres pays de l’UE – sans pour autant donner une réelle impulsion à des pays comme la France ou les pays du Sud de l’Europe, qui manquent de secteurs compétitifs à forte valeur ajoutée.

Le comportement économique de l’Allemagne suscite les critiques de ses partenaires européens, en particulier sur son manque d’investissements nationaux qui pénalisent l’économie de nombreux pays européens. En début d’année, le futur Président Emmanuel Macron avait critiqué les déficits excessifs outre-Rhin menant selon lui à des déséquilibres en Europe. La Commission européenne recommande que les excédents commerciaux d’un pays européen ne dépassent pas les 6% (loin en deçà des 8% allemands en 2016). La pression des pays européens (au premier rang desquels la France), des institutions internationales comme le FMI ou la BCE, font prendre conscience à Berlin de la nécessité d’investir, d’augmenter les salaires et de plus acheter en Europe au prix d’une baisse des excédents. [5]

Une remise en cause de plus en plus forte du libre-échange dans le monde

Si les déséquilibres du marché unique à cause de politiques d’austérité, dont l’intensité est totalement contreproductive, ont des incidences sur la croissance de l’économie mondiale, les conséquences des excédents allemands sont surtout idéologiques à cette échelle. Le G20 de Hambourg tenu les 7 et 8 juillet 2017 a été le théâtre d’un affrontement entre le libre-échange défendu par Angela Merkel et le protectionnisme prôné par Donald Trump. La culture économique de ce dernier est très largement influencée par l’économie d’entreprise, ce qui n’a rien à voir avec l’économie d’un pays, en particulier sur la question des déficits. La politique économique du Président américain est par conséquent très néfaste, car mercantiliste et déstabilisatrice pour le commerce mondial. Néanmoins, l’obsession de Berlin pour des finances publiques et un solde commercial excédentaires est également un facteur déstabilisant pour le climat économique mondial.

La perspective d’une guerre commerciale n’est plus aussi improbable depuis les nombreuses critiques de Donald Trump envers l’économie allemande et la menace d’imposer des tarifs supplémentaires sur les produits allemands. Sans remettre en cause les bénéfices du libre-échange (à condition qu’il ne soit pas une justification d’une dérégulation générale de l’économie européenne), l’Allemagne doit réduire ses excédents, au moins à 6% du PIB conformément aux recommandations de Bruxelles en investissant dans l’économie réelle et les infrastructures et en poussant les entreprises à augmenter les salaires. L’argument selon lequel dépenser favoriserait l’inflation est discutable. Même si celle-ci dépasse les 2%, ce plafond institué par la BCE (et la Bundesbank avant elle) est trop rigide et trop bas pour encourager une vraie reprise de l’économie européenne.

Les déficits courants et commerciaux outre-Rhin, de plus en plus importants depuis le début de la grande récession sont dus à la fois à la performance économique de l’Allemagne, une économie très internationalisée et en pointe sur les secteurs à forte valeur ajoutée (contrairement à la France) et à la réticence de Berlin pour investir davantage dans les infrastructures et les secteurs d’avenir comme le numérique. Cela a des incidences non seulement en Allemagne mais surtout en Europe et dans une moindre mesure dans le monde entier. De nombreuses voix s’élèvent, en Allemagne et à l’étranger, pour augmenter les dépenses publiques et l’investissement productif ainsi qu’augmenter les salaires (les seules solutions alors que le pays connaît le quasi-plein emploi). En pleine campagne électorale et tandis que l’électorat de la CDU se compose en bonne partie d’épargnants abhorrant le risque de l’inflation, il est très peu probable qu’Angela Merkel écoute ces voix avant l’élection.

Notes

[2Pour une lecture critique du modèle économique allemand, voir Guillaume DUVAL Made in Germany : le modèle allemand au-delà des mythes. Éditions du Seuil, 2013

[4Guillaume DUVAL : La France ne sera plus jamais une grande puissance ? Tant mieux ! Édition La Découverte / Poche, 2017

Vos commentaires
modération a priori

Attention, votre message n’apparaîtra qu’après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?

Pour afficher votre trombine avec votre message, enregistrez-la d’abord sur gravatar.com (gratuit et indolore) et n’oubliez pas d’indiquer votre adresse e-mail ici.

Ajoutez votre commentaire ici

Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Suivre les commentaires : RSS 2.0 | Atom