Dans la nuit du 14 avril 1931, le roi d’Espagne Alphonse XIII prend la route de l’exil, deux jours après la victoire des partis républicains aux élections municipales. Les partisans de la fin de la monarchie s’étaient entendus pour considérer cette élection comme un référendum sur cet enjeu.
La démarche des indépendantistes catalans n’est donc pas sans précédent. Elle vient en réaction au refus du gouvernement espagnol, dirigé par la droite conservatrice du Parti Populaire, d’accepter la tenue d’un référendum sur le statut de la Catalogne. Une telle consultation eut été possible. Elle l’a été au Royaume-Uni, où le gouvernement britannique avait accepté que les Écossais puissent voter sur l’indépendance de leur pays. Le 18 septembre 2014, ceux-ci se sont prononcés contre cette hypothèse. En Catalogne, le Parlement régional avait été élu en 2012 avec le mandat de tenir un tel référendum, une large majorité des députés y étant favorable, y compris parmi ceux qui ne souhaitent pas l’indépendance. Un vote avait été convoqué par le Parlement régional le 9 novembre 2014 mais fut interdit à la demande du gouvernement de Mariano Rajoy. Ce vote sur l’avenir politique de la Catalogne fut maintenu sous une forme différente et donna une large majorité aux indépendantistes. Toutefois l’absence de statut officiel de la consultation ne permettait pas une proclamation d’indépendance susceptible d’obtenir une reconnaissance internationale.
Ensemble pour le Oui
Face au blocage des nationalistes espagnols au pouvoir à Madrid, la solution d’une élection régionale anticipée devenait la seule issue, sa légalité étant incontestable. L’indépendantisme y est représenté par une liste d’union des principaux partis politiques favorables à l’indépendance et d’organisations de la société civile, intitulée « Junts pel Sí » (Ensemble pour le Oui). Elle rassemble notamment Convergence démocratique de Catalogne (CDC), Gauche républicaine de Catalogne (ERC) et des animateurs de l’Assemblée nationale catalane (ANC).
CDC est le parti d’Artur Mas, actuel président du gouvernement de Catalogne. Ses élus siègent à l’ADLE au Parlement européen. Longtemps autonomiste, cette formation formait avec Union démocratique de Catalogne (UDC), une coalition.
L’ANC est l’organisation, créée en 2011, qui a organisé les manifestations géantes qui marquent depuis le jour de la fête nationale de Catalogne, le 11 septembre, notamment la (Via Catalana de 2014, une chaîne humaine allant du nord au sud du pays.
Junts pel Sí ne rassemble pourtant pas tous les partisans de l’indépendance. Il leur faudra, pour obtenir une majorité, compter sur le parti de gauche radicale Candidature d’unité populaire (CUP).
Face aux indépendantistes, on trouve les autonomistes de l’UDC et les branches catalanes des deux grands partis espagnols : le Parti Populaire, au pouvoir à Madrid et le Parti Socialiste. Ce dernier a, en Catalogne, évolué et certains de ses animateurs prônent désormais une évolution de l’Espagne vers le fédéralisme, mais sans convaincre.
Podemos, dont la candidate Ada Colau a remporté la mairie de Barcelone en mai, est allié pour l’élection du 27 septembre à la formation écologiste Initiative pour la Catalogne Verts (ICV). Ces derniers, favorables à un référendum d’autodétermination, ne souhaitent pas pour autant la création d’un État catalan indépendant.
Enfin, les derniers protagonistes sont Citoyens - Parti de la Citoyenneté (C’s). Cette organisation est née en Catalogne précisément sur le thème de l’unionisme.
Pourquoi l’élection risque de ne pas clore le débat
Le refus d’un référendum qui aurait tranché le débat avec clarté, comme en Écosse, et qui aurait sans doute été gagné par les unionistes, a conduit à cette élection dite « plébicitaire ».
Une défaite nette des indépendantistes fermerait provisoirement le dossier de l’indépendance. Se poserait alors la question de la gouvernabilité d’une Catalogne au paysage politique éclaté et aux clivages multiples.
Si les listes réclamant l’indépendance obtenait la majorité des suffrages exprimés, alors les choses seraient plus claires avec un mandat fort pour engager le processus vers une proclamation d’indépendance de la République de Catalogne.
Le scénario que promettent les sondages est cependant celui d’une majorité en sièges des indépendantistes au Parlement de Catalogne mais sans la majorité absolue des voix. Les chances d’obtenir une reconnaissance internationale si l’indépendance était proclamée dans ces conditions sont minces. On entrerait alors dans une phase de négociations avec le gouvernement espagnol en vue d’obtenir le fameux référendum tant repoussé. La perspective d’une nouvelle majorité au Parlement espagnol lors des élections générales qui se dérouleront avant la fin de l’année laisse entrevoir la possibilité d’une telle sortie de crise.
L’Europe face à la perspective d’une Catalogne indépendante
L’un des enjeux de la campagne est de savoir si la nouvelle République de Catalogne pourrait demeurer membre de l’Union européenne et de la zone euro. Là où les unionistes menacent d’un « Catalexit », seule l’Espagne ayant signé les traités européens, les indépendantistes font observer que la réponse est d’abord politique et qu’une négociation pragmatique permettrait rapidement le maintien de la Catalogne au sein de l’Union européenne.
La question ne se poserait toutefois que si la Catalogne indépendante était bien reconnue en tant que tel. Même avec une majorité des voix rien n’est moins sur, les États formant un club très fermé où la priorité est moins le respect de la volonté des peuples que celle du maintien d’un ordre international figé. Faute de reconnaissance par l’ensemble des autres gouvernements européens, la République de Catalogne pourrait se retrouver dans la situation du Kosovo, reconnu par les uns, et non par les autres. On imagine difficilement le gouvernement français se brouiller avec le gouvernement espagnol simplement pour respecter le vote des citoyens catalans. Si ces derniers choisissent de constituer leur propre État, il faudra tôt ou tard passer par un accord avec le gouvernement espagnol.
Si le Oui l’emporte demain, alors la prochaine élection législative espagnole consistera essentiellement à déterminer quelle réponse lui apporter. Et si cette réponse reste la même que celle du gouvernement sortant, intransigeant et prêt à la confrontation, alors une nouvelle crise majeure s’ouvrira au sein de l’Union européenne.
1. Le 27 septembre 2015 à 19:49, par Mariano Fandos En réponse à : Pourquoi la prochaine crise de l’Union européenne peut démarrer demain
Il y a beaucoup de différences entre la Catalogne et l’Ecosse, pas seulement géographiques ... La constitution espagnole n’autorise pas de référendum d’auto-détermiantion. Comme la plupart des constitutions (y compris la française), elle proclame l’unité du pays. Le Royaume Uni n’ayant pas vraiment de constitution, tout s’y négocie ... Mais si la constitution espagnole n’autorise pas ce type de consultation, c’est qu’elle est le fruit de l’histoire. Elle fut âprement négociée lors de la sortie de l’Espagne de la dictature franquiste (ce que les Espagnols appellent « la transition »). Le compromis qui fut alors trouvé était de reconnaître le droit à l’autonomie et pas à l’indépendance. De fait les Catalans ont négocié et disposent aujourd’hui d’un « statut d’autonomie » très large. Le gouvernement autonome de Catalogne (« la Generalitat ») jouit de compétences très larges et de moyens très importants. L’Etat espagnol est un des plus décentralisés du monde. Tout gouvernement (qu’il soit de droite ou de gauche) a le devoir de défendre la constitution. Si les Catalans veulent un référendum sur l’indépendance, il faudrait commencer par réformer la constitution. Sans doute Rajoy n’a-t-il pas été très ouvert au dialogue ... Les indépendantistes catalans non plus ! Il faudrait aussi signaler un élément de contexte important : la montée de l’indépendantisme dans l’opinion catalane coïncide avec l’aggravation de la crise économique. Comme souvent, la crise économique favorise l’égoïsme et le repli sur soi. Certains responsables politiques catalans (à commencer par ceux qui détiennent l’exécutif régional) prétendent qu’ils payent trop d’impôts à Madrid ... Je ne développerai pas tous les arguments en faveur d’une solidarité entre les régions riches et les régions pauvres, ni la réalité des bénéfices que la Catalogne tire depuis longtemps de son appartenance à l’Espagne ... Ce serait vraiment trop long. Mais surtout les indépendantistes ont lancé un débat qui divise profondément la Catalogne et qui risque de déstabiliser l’économie, à l’heure où il faudrait travailler au redressement économique. Mais pour le pouvoir régional sortant, c’est aussi un moyen de masquer son bilan ...
2. Le 28 septembre 2015 à 00:21, par pinailleur En réponse à : Pourquoi la prochaine crise de l’Union européenne peut démarrer demain
Beaucoup d’éléments de l’article sont intellectuellement critiquables. Le sophisme le plus important de cet article est celui souligné par Mariano : la Catalogne ne fait pas parti du Royaume-Uni mais de l’Espagne ; ce qui est possible en Écosse en vertu du système juridique britannique ne l’est pas nécessairement en Catalogne en vertu du système juridique espagnol.
Je souhaitais toutefois réagir à un passage très anecdotique mais révélateur de la confusion idéologique de l’auteur du billet : les États formeraient, selon lui, « un club très fermé où la priorité est moins le respect de la volonté des peuples que celle du maintien d’un ordre international figé » [sic].
Il est beaucoup de chose à dire sur cette phrase (en quoi les États forment-ils un « club » très fermé ?, en quoi leur respect de la volonté des peuples n’est pas une priorité, en quoi souhaitent-ils le maintien d’un ordre international figé ? Ceux à qui il arrive de lire la rubrique internationale de la presse réalisent bien l’irrationalité de ces propos) mais celle qui me semble la plus importante est qu’il n’y a pas des peuples en Espagne, il y en a un : le peuple espagnol ; Celui dont la volonté se devrait d’être respecté.
Une fraction de peuple n’a jamais constitué le peuple et le vote hypothétique des seuls Espagnols de Catalogne ne peut aboutir à déterminer la volonté du peuple espagnol. Il ne le peut non plus s’il ne respecte pas les forme déterminées par la loi et qui permettent de faire d’une décision majoritaire une décision populaire.
3. Le 28 septembre 2015 à 11:33, par Alexandre Marin En réponse à : Pourquoi la prochaine crise de l’Union européenne peut démarrer demain
@Mariano Fandos
Entièrement d’accord avec vous !
Peut-être, sans entrer dans le détail, pourriez-vous citer les avantages les plus importants dont la Catalogne peut bénéficier si elle reste dans l’Espagne car je conçois que ce n’est pas évident pour un lecteur français, non habitué aux systèmes autonomes et décentralisés.
J’ajouterai que l’élection des indépendantistes ne signifie pas nécessairement l’indépendance de la Catalogne. L’exemple basque est frappant : 58% d’indépendantistes, mais les divisions sont telles que les partis nationalistes n’arrivent pas à se mettre d’accord, et que l’indépendance est de moins en moins revendiquée. L’exemple écossais montre aussi que l’élection de partis indépendantistes peut davantage traduire le rejet des partis traditionnels qu’une réelle aspiration indépendantiste des électeurs. Ainsi,l’indépendance de l’Ecosse a été rejetée par référendum, mais le SNP, parti indépendantiste écossais, continue à jouir de la majorité absolue des sièges.
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