Plan de relance de la Commission : vers le grand saut « hamiltonien » ?

, par Antoine Potor, Théo Boucart

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Plan de relance de la Commission : vers le grand saut « hamiltonien » ?
La présidente von der Leyen lors de son discours devant le parlement européen à Bruxelles. Photo : Union Européenne 2020 - EC Service audiovisuel

ANALYSE. La Commission européenne a présenté hier sa proposition de plan de relance pour lutter contre les effets économiques du coronavirus. L’exécutif européen tente une synthèse entre mutualisation des dettes et prêts classiques. Au total, 750 milliards d’euros incorporés dans le prochain budget européen. Un moment fondateur pour le fédéralisme européen ?

Elle était attendue de pied ferme. Et elle n’a pas déçu. La Commission européenne a présenté mercredi 27 mai sa proposition de relance budgétaire pour limiter les conséquences économiques du COVID19 et des mesures de confinements, plus ou moins drastiques dans les pays de l’Union européenne.

S’exprimant devant un hémicycle du Parlement européen extrêmement clairsemé (règles de distanciation sociale obligent), la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a présenté la stratégie que tout le monde attendait avec impatience. Depuis le Conseil européen du 23 avril, l’exécutif européen était censé travailler sur ce plan de relance, alors que les États membres avaient échoué à se mettre d’accord sur la somme de 1000 milliards d’euros. Annoncé initialement pour début mai, la présentation de la stratégie a été repoussée plusieurs fois, alors que les derniers détails devaient être finalisés. Selon le quotidien Le Monde, les commissaires auraient eu connaissance de la totalité du plan quelques minutes avant d’entrer dans l’hémicycle du Parlement.

Dettes mutualisées et transferts budgétaires

Dans sa communication de 18 pages, la Commission européenne résume les grandes lignes d’une stratégie que beaucoup d’observateurs considèrent historique.

Intitulé Next Generation EU, ce plan prévoit que la Commission emprunte 750 milliards d’euros sur les marchés financiers, à dépenser sur une période de trois ans (2021-2024). 500 milliards seraient utilisés sous forme de subventions aux régions et secteurs économiques durement touchés par le coronavirus, tel que le préconise le plan franco-allemand présenté par Angela Merkel et Emmanuel Macron la semaine dernière. Les 250 milliards restants seraient distribués sous forme de prêts classiques et devront être remboursés par les pays bénéficiaires. Du fait d’une répartition basée sur l’impact de la Covid-19, les pays les plus touchés, l’Italie et l’Espagne en premier lieu, seront les premiers bénéficiaires de cette enveloppe, une illustration concrète de la solidarité portée par ce plan.

Cette stratégie serait en outre incorporée au prochain cadre financier pluriannuel (le budget européen) de 2021-2027. Ursula von der Leyen a annoncé que celui-ci serait porté à 1100 milliards d’euros sur sept ans (ce qui représenterait environ 1,1% du PIB européen après le départ du Royaume-Uni), en sus de l’argent mobilisé contre le coronavirus. En tout, le CFP serait de 1850 milliards d’euros, dont la moitié environ (900 milliards) seront dépensés les trois premières années.

Malgré l’opposition de certains pays d’Europe du Nord, la Commission européenne reprend donc les deux innovations majeures du plan franco-allemand de la semaine dernière, à savoir la mutualisation partielle des dettes et la solidarité budgétaire sous forme de transferts.

Si ce n’est pas la première fois que l’institution bruxelloise emprunte sur les marchés au nom des États membres, la somme est inédite. L’UE bénéficiant d’une très bonne notation financière (avec un triple A), elle peut en effet emprunter à des taux très bas, voire négatifs. De même, les 500 milliards sous forme de dotations budgétaires créent un précédent et laisse espérer la formation future d’une union de transferts, indispensable pour assurer les cohésion des économies et territoires européens.

Les 750 milliards d’euros s’ajouteraient aux 540 milliards d’euros mobilisés par l’Eurogroupe début avril, ainsi qu’aux 1000 milliards du plan de rachat d’obligations publiques de la Banque centrale européenne (BCE), annoncé fin mars. L’UE mettrait donc 2290 milliards d’euros à disposition pour remettre en route l’économie européenne, sans compter les plans nationaux et les aides d’états approuvées par la Commission qui s’élèvent à plusieurs milliers de milliards d’euros.

Toute cette manne financière devra être au service de l’économie du futur, en particulier la transition verte (avec le Green Deal) et numérique. La présidente von der Leyen a d’ailleurs insisté sur le fait que chaque génération d’Européens a eu son “moment”. De la construction de la paix au grand élargissement des années 2000 en passant par la construction du marché intérieur et de la monnaie unique. “Notre moment” est celui que l’on doit aux générations futures en leur léguant une économie neutre et digitalisée. C’est en ce sens que ce plan de relance s’inscrit à la fois dans le Green Deal et dans l’accompagnement vers une économie numérique

La conditionnalité au cœur du plan de la Commission

Étant donné l’importance des sommes engagées, la Commission a jugé nécessaire de lier le versement cet argent au respect de conditions d’ordre économique et de gouvernance démocratique.

Les pays bénéficiaires des 500 milliards d’euros de subventions devront ainsi élaborer des plans d’investissements et de réformes, respectant les priorités de la Commission, en termes de transition verte et numérique, mais également de souveraineté économique dans le domaine sanitaire. Chaque année, la Commission formulera aussi des recommandations sur l’utilisation des fonds.

En outre, le respect de l’État de droit fait l’objet d’une attention particulière. A l’exception des Verts européens - qui prônent un accompagnement dans l’utilisation des fonds - tous les Présidents des groupes parlementaires présents dans l’hémicycle ont appuyé la proposition avancée par Ursula von der Leyen. Cette mesure semble en effet nécessaire car sur ce point, la Commission a les mains liées sur le plan juridique. En proposant la conditionnalité, l’exécutif européen vient s’armer d’un argument financier non négligeable pour préserver les valeurs de l’Union.

Budget européen : la bataille des ressources propres

La pérennisation des acquis politiques de ce plan n’est toutefois pas garantie. En réponse à la question du journaliste Christian Spillmann sur la création possible d’un Trésor européen, la Présidente de la Commission a rejeté cette idée (du moins cette formulation ?), une manière de rassurer les pays “frugaux”. Pour Ursula von der Leyen, Next Generation EU, est un plan “one-off ”, autrement dit un plan temporaire, le temps de surmonter les conséquences économiques de la crise.

C’est là tout l’enjeu des ressources propres du budget européen. Par ce mécanisme, la Commission entend ainsi convaincre les États réfractaires. Ces 750 milliards devront en effet être remboursés entre 2028 et 2058, vraisemblablement en s’appuyant sur les contributions des États au budget européen pour les subventions, ainsi que sur des remboursements directs pour les prêts.

Les ressources propres serait la solution pour disposer de plus d’argent sans augmenter les contributions des États membres. Actuellement, elles représentent moins de 20% du budget total (principalement sous forme de droits de douane et de TVA) et sont limitées à 1.2% des RNB nationaux. La Commission propose d’augmenter ce plafond à 2%, lui permettant de mettre en place ses propres leviers financiers, comme la taxe carbone, une proposition déjà formulée dans le cadre du Green Deal, ou bien une taxe GAFAM sur les géants du numérique.

Des négociations ardues en perspectives

“Les négociations seront difficiles”. Ce sont les mots d’Angela Merkel à la suite du discours de la présidente von der Leyen. Et pour cause, le prochain sommet européen doit se tenir les 18 et 19 juin prochain et porteront sur le budget version “augmentée”. En février dernier, les discussions avaient déjà tourné court. Les quatre frugaux étaient déjà à la manœuvre, à l’époque soutenus par l’Allemagne. Leur objectif était de maintenir le budget européen en-dessous de 1% du RNB de l’Union. Avec la proposition actuelle, le CFP dépasserait à peine les 1,1% satisfaisant presque l’exigence des frugaux..

Next Generation EU” permettrait toutefois une augmentation détournée du budget européen, du moins sur les premières années. Ce serait un bon moyen de contourner le “non” des frugaux : d’un côté on satisfait à quelques centièmes près l’exigence des 1%, de l’autre on augmente indirectement le budget européen via un fonds de relance temporaire.

Face à cette “réalisation concrète créant une solidarité - budgétaire - de fait”, il sera difficile pour le club des 4 d’opposer une fin de non recevoir. Ils devraient pour cela assumer la responsabilité de l’enlisement, voire la destruction du projet européen. C’est bien de la survie de l’Union dont il s’agit.

Bien sûr, ils n’accepteront pas toutes les conditions de ce plan, mais ils ne pourront pas s’opposer à son essence même : le principe de solidarité. Le Premier ministre autrichien semble l’avoir compris puisqu’il a rapidement déclaré que ce plan était le “point de départ” des négociations. Plus question donc de s’y opposer fermement, comme il a pu le faire ces derniers jours.

Un moment “hamiltonien” vers une Europe fédérale ?

Lors de la présentation du plan franco-allemand de la semaine dernière, ouvrant la voie à la mutualisation partielle des dettes européennes, les médias, notamment anglo-saxons, ont parlé d’un moment “hamiltonien” pour l’UE, en référence à Alexander Hamilton, qui a réussi à la fin du XVIIIème siècle à convaincre le congrès américain d’émettre une dette nationale, prérequis à la fédéralisation des États-Unis, et par conséquent à sa pérennité.

La crise du coronavirus sera-t-elle l’occasion d’un renforcement des institutions européennes dans le sens d’une plus grande intégration ? L’une des clés est celle d’une autonomie accrue par rapport aux États membres, passant à la fois par un Parlement européen pleinement intégré dans les décisions européennes et par l’abandon progressif de la règle de l’unanimité, notamment lors du vote du budget. Malgré l’ampleur de la tâche qu’il reste à accomplir, l’ambition des plans proposés par la France, l’Allemagne et la Commission européenne laisse entrevoir un espoir, celui du saut hamiltonien vers une Europe fédérale.

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