Plaidoyer pour une protection sociale de base en Europe

, par Traduit par Caroline Iberg

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Plaidoyer pour une protection sociale de base en Europe

L’Union européenne a été jusqu’à présent inactive en ce qui concerne le droit social et l’assistance sociale. Dans de nombreux États membres, la protection sociale de base est toujours inexistante ou insuffisante pour les personnes dans le besoin. La Commission a fait une première proposition en avril 2017 avec une recommandation pour un socle européen des droits sociaux. Les États membres doivent s’engager à créer un système de sécurité sociale de base. L’Union n’ayant pas encore la compétence pour faire appliquer cette proposition, les États membres doivent agir d’eux-mêmes. Le sommet social européen qui se tiendra en novembre de cette année montrera s’ils y sont prêts (NDLT : cet article a été écrit le 1er novembre 2017).

L’Union est tenue par l’article 3, paragraphe 2 du Traité sur l’Union européenne de promouvoir la justice et la protection sociale. Elle a ainsi certes publié de nombreux actes juridiques pour protéger les travailleurs. Elle a également créé, par le biais du règlement 883/2004, un système de coordination de la sécurité sociale des États membres. Cependant, ces mesures concernent presque uniquement les personnes employées et les membres de leur famille ainsi que les personnes ayant acquis des droits en matière d’assurance sociale (généralement en raison d’un emploi rémunéré). Les personnes dont le revenu est insuffisant pour assurer leur subsistance ne sont pas incluses.

Le droit européen n’oblige pas les États membres à établir un système social de base. En conséquence, l’écart entre les niveaux de vie dans les États membres pourrait difficilement être plus grand. Il n’y a actuellement aucun système de sécurité sociale en Grèce. Les personnes nécessiteuses dépendent de l’aide de leur famille ou d’organismes de bienfaisance. D’autres États, comme l’Espagne, ont des systèmes de sécurité sociale, mais ils sont incomplets et ne couvrent pas toute la population. Même s’il existe un système de sécurité sociale de base, les normes sont parfois bien en deçà de ce qui, selon l’esprit de la loi fondamentale allemande, correspond à une existence décente. Cela est particulièrement vrai dans les États de l’Europe du Sud-Est.

Ceux-ci contrastent avec les États-providence classiques en Europe du Nord et de l’Ouest, qui offrent des prestations sociales relativement (!) généreuses. En Allemagne, par exemple, toutes les personnes dans le besoin qui résident en Allemagne (à quelques exceptions près pour certains étrangers) touchent les allocations de chômage, l’aide sociale ou des prestations en vertu de la loi sur les demandeurs d’asile. Les allocations de chômage allemandes se situent bien au-dessus de la moyenne européenne avec 409 euros par mois pour un seul adulte, en comprenant les coûts de logement et de chauffage.

Des standards différents provoquent la peur du tourisme social. C’est pourquoi les États membres ayant des normes élevées ont tendance à se barricader. Ainsi, les citoyens nécessiteux de l’Union qui ne disposent pas de moyens de subsistance suffisants dans leur pays d’origine ne peuvent pas aller vivre dans un autre Etat et y recevoir des avantages sociaux. En Allemagne, par exemple, les citoyens européens et citoyens de l’UE en général n’ont droit à des prestations sociales financées par l’impôt, telles que les allocations de chômage ou l’aide sociale, que si elles exercent ou exerçaient une activité professionnelle en Allemagne. Selon les décisions de la Cour de justice Dano, Alimanovic et García-Nieto, ces exclusions de prestations en droit allemand sont justifiées par l’article 24, paragraphe 2, de la directive sur la libre circulation.

Pour celui dont le cœur bat pour l’Europe, le protectionnisme et le traitement inégal des citoyens de l’Union représentent une véritable épine dans le pied. Néanmoins, il est nécessaire de trouver un accord que même les législateurs des États-providence pourraient comprendre. Il est difficile de savoir si un Etat riche comme l’Allemagne est capable de supporter le fardeau financier que cela représente. Il est également difficile de savoir combien de citoyens de l’Union se rendraient en Allemagne s’ils avaient pleinement accès au système de sécurité sociale. Toutefois, il n’est pour le moment ni politiquement ni socialement envisageable d’accorder des prestations de sécurité sociale de base en Allemagne à tous les citoyens de l’UE qui en ont besoin. Les États individuels ne peuvent pas être responsables de la subsistance de tous les citoyens européens.

C’est chaque Etat qui doit veiller à ce que tous les citoyens européens aient accès à des prestations garantissant une existence minimum. Le montant de celles-ci doit être basé en premier lieu sur le coût de la vie. Il appartiendra également à chaque État membre de définir le niveau de subsistance. Ce dernier n’est pas le même dans tous les états. Selon l’interprétation allemande, et en particulier la jurisprudence de la Cour constitutionnelle fédérale, le niveau de subsistance protégé par l’article 1 comprend également un niveau minimum de participation à la vie sociale, politique et culturelle. Ce qui est requis pour la participation à la vie sociale dépend de celle de chaque état. Lorsque la règle est de communiquer par Internet à haut débit, alors celui-ci fait partie du niveau de subsistance. Si seuls quelques citoyens y ont accès, alors l’accès devient un luxe.

Selon ce qui est probablement l’opinion majoritaire, l’Union n’a pas la compétence pour obliger les États membres à établir ou développer des régimes de sécurité sociale de base. Cependant, le ministère fédéral du Travail et des Affaires sociales a récemment publié un rapport de recherche selon lequel l’Union pourrait agir en vertu de l’article 153, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). Elle pourrait alors prendre des décisions concernant la sécurité sociale et la protection sociale des travailleurs. Le rapport s’appuie sur un concept très large de l’employé (le concept d’employé d’assurance sociale). Les employés sont alors non seulement des personnes qui ont un emploi, mais aussi, par exemple, des chômeurs et des retraités, pour autant qu’ils aient accès à un système de sécurité sociale. Il faut se féliciter que Mme Nahles ait commandé ce rapport, se dévouant ainsi à l’Europe et, espérons-le, lui apportant une pierre pour sa construction. Même si cette interprétation large devient la règle, des mesures en vertu de l’article 153 du TFUE, nécessitent une décision unanime du Conseil.

D’une manière ou d’une autre, les États membres ne peuvent garantir des revenus de base que conjointement. Il serait efficace de déléguer une compétence explicite correspondante à l’Union. Le droit constitutionnel allemand ne ferait pas obstacle. Dans son arrêt de Lisbonne, la Cour constitutionnelle fédérale exige seulement que les décisions de politique sociale soient prises sous la responsabilité des États membres. Une harmonisation progressive des systèmes n’est pas exclue (note 259). Tant que les États membres définissent eux-mêmes le niveau du revenu, les limites fixées par la Cour constitutionnelle seront prises en compte. Cependant, rien n’indique pour l’instant que les États membres dans leur ensemble aient l’intention de modifier le droit primaire ou de reconnaître l’existence d’une base de droit primaire.

Il reste donc à espérer que les États membres s’engageront à assurer une subsistance minimum en vertu du droit international. La Commission a donné une bonne impulsion à travers sa recommandation concernant le socle européen des droits sociaux. Le principe 14 exige que toute personne dans le besoin ait droit à des prestations adéquates pour une vie digne. Le sommet social européen de Göteborg en novembre montrera si cela deviendra davantage qu’une recommandation.

Ce texte a été écrit dans le cadre du salon politique "We think Europe" organisé par Sinthiou Buszewski et Tim Wihl.

À la lumière des multiples crises monétaires et économiques, la frustration de la mondialisation et le déclin de l’esprit cosmopolite à la suite de la « crise migratoire », le salon politique « We think Europe » vise à formuler des arguments pour l’Europe et identifier les potentiels de développement. Car malgré quelques lueurs d’espoir, l’euroscepticisme est bel et bien là. En cause, une politique d’immigration qui semble dépourvue d’imagination et de courage, une scission économique encore frappante et des traités qui sont en grande partie bloqués par des règlements détaillés et technocratiques. Une discussion objective requiert des arguments, car les préjugés à droite - l’UE conduirait à une perte de souveraineté, une unification culturelle et une redistribution massive - comme à gauche - l’UE est juste un marché unique sans composante sociale qui fait primer la concurrence - et au centre - l’UE est antidémocratique et trop bureaucratique - la mettent au banc d’essai. Trop souvent, nous avons assisté au démantèlement public de l’UE en faveur des positions individuelles des États membres sans qu’il n’ait jamais été admis qu’une institution supranationale ne peut faire que ce que les États membres lui concède. L’Europe mérite un nouveau départ. La Commission européenne a récemment présenté son livre blanc sur l’avenir de l’Europe. Plus important encore, l’UE prévoit une forte dynamique de réforme pour construire divers piliers, tels que le pilier européen des droits sociaux. Ce fut le sujet de notre première session thématique et cela ouvrira donc notre tour d’horizon sur ce blog de la constitution. Nous espérons enrichir l’argumentation auprès d’un public intéressé et démocratiser l’expertise. L’UE ne peut pas rester un sujet spécialisé.

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