Perspective européenne : Être transnational c’est pas si difficile, la preuve !

Leçon de ce qu’est l’esprit transnational aux 368 députés qui ont voté contre ce même état d’esprit.

, par Juuso Järviniemi, Laura Mercier, Michał J. Ekiert, Tobias Gerhard Schminke, Xesc Mainzer Cardell

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Perspective européenne : Être transnational c'est pas si difficile, la preuve !
Elmar Brok, pourtant président de l’Union des Fédéralistes européens a voté contre les listes transnationales avec son groupe du Parti Populaire européen. CC - European Committee of the Regions

Ce mercredi 7 février, le Parlement européen s’est prononcé contre la mise en place de listes transnationales pour les prochaines élections européennes de 2019 : 368 voix contre, 274 voix pour. Une chance perdue pour l’Europe. Les rédacteurs de plusieurs de nos éditions linguistiques partagent leurs réactions et leurs opinions sur le sujet. De quoi montrer ce qu’est l’esprit transnational aux 368 députés qui ont voté contre ce même état d’esprit, hier.

Le Parti Populaire Anti-Européen

Tobias Gerhard Schminke, rédacteur en chef du magazine treffpunkteuropa

"Une fois de plus, elle s’est manifestée : la gueule nationaliste, sabot de frein du groupe parlementaire, libéral et conservateur, du Parti populaire européen (PPE). En général, les membres du PPE aiment se livrer à des discours politiques très pro-européens, mais quand il s’agit de mettre en pratique la législation, alors ce pro-européanisme est vite jeté par la fenêtre. Et il ne faut pas remonter très loin dans le temps pour en trouver des exemples : le Premier Ministre Bavarois, Horst Seehofer, et le Chancelier Autrichien, Sebastian Kurz, n’ont pas perdu de temps pour fermer leurs frontières avec le sud de l’Europe plutôt que de se battre pour sauver Schengen. Le Premier Ministre Hongrois, Viktor Orban, a quant à lui délibérément ignoré la législation européenne en s’opposant au système de répartition par quotas des réfugiés, et a été félicité pour cet acte par les partenaires de coalition d’Angela Merkel, la CSU. L’ancien ministre des finances allemand, Wolfgang Schäuble, si chaleureusement soutenu en Allemagne, n’a même pas essayé de convaincre les membres de son parti d’un concept d’euro-obligations qui soit adapté au futur et financièrement raisonnable. Et maintenant, le groupe des libéraux et conservateurs, qui devrait être la colonne vertébrale du pro-européanisme de centre droit, s’est opposé à ce que moins de 50 sièges parmi les 751 du Parlement européen, ne soient soumis au vote par le biais d’une liste électorale transnationale.

Alors cher PPE, si vous n’êtes pas prêts pour le fédéralisme, ou si vous ne vous souciez pas de ce qui se passe sur notre continent, ne faites plus comme si c’était le cas. Finalement, la seule chose qui soit encore pan-européenne dans votre action, c’est votre manque de concept et de vision. Le PPE s’est opposé à la mise en place d’une liste électorale transnationale avec de piètres arguments, et cela pour ses seuls intérêts et pouvoir politiques. Les seuils électoraux nationaux, actuellement en vigueur pour siéger au Parlement européen, nuisent en premier lieu aux petits partis. Le PPE est le groupe majoritaire, et celui qui profite le plus de ce système. Alors où sont les Helmut Kohl, les Konrad Adenauer, les Winston Churchill de notre temps, qui courageusement et intelligemment, créent et développent ensemble l’Europe, en tant que conservateurs ? Aujourd’hui, il est parfaitement clair que tous les membres du PPE au sein du Parlement européen ne se sentent pas concernés par l’Europe. En revanche, les groupes qui le sont devront être plus visibles dans le futur, sinon, les partis libéraux et conservateurs du PPE s’illustreront encore comme un frein politique pour l’Europe."

Des députés européens pas si européens

Laura Mercier – Rédactrice en chef du magazine Le Taurillon

"Députés européens, la question était pourtant simple. Si un député européen italien d’une certaine famille politique, considère un député européen danois de la même famille politique, comme un étranger, alors comment créer un sentiment commun entre nous ? Une fois assis dans l’hémicycle du Parlement européen, vous ne représentez pas seulement les citoyens de votre pays. Vous représentez tous les citoyens européens. Mais vous n’avez pas la légitimité pour tous les représenter, car seulement une minorité d’entre eux a eu l’occasion de voter pour, ou contre vous. Députés européens, l’équation était pourtant facile. Une liste transnationale aurait favorisé un débat résolument européen, et non cantonné aux enjeux nationaux. Une liste transnationale aurait accompagné le développement d’un espace public européen. Une liste transnationale aurait été le symbole dont l’Union a besoin, une réponse et une réaction audacieuse face au Brexit. Et l’Union a besoin de symboles, d’avancées concrètes, pour relancer son intégration. Députés européens, vous devriez être les premiers à vous rendre compte du besoin urgent de rapprocher les citoyens européens, de leur montrer que les élections européennes ne sont pas un quelconque rendez-vous aux urnes, mais bien un rendez-vous européen, transnational et démocratique.

Députés européens, vous siégez dans l’institution européenne qui par essence est la plus démocratique parmi toutes, alors pourquoi s’opposer à son renforcement ? Comment voter contre une liste transnationale, quand, au quotidien, les citoyens européens agissent eux dans un espace transnational sans même s’en rendre compte, dans leur travail, leurs déplacements, leur entourage ? En vous opposant à la mise en place d’une – oui, UNE – liste transnationale, vous ratez une occasion unique de vous rapprocher des citoyens européens que vous devez représenter quotidiennement. Alors malgré tout, vivement 2019, pour qu’aux urnes nous votions pour de nouveaux députés européens qui eux, je l’espère, sauront résoudre cette équation – pourtant simple – sur laquelle vous venez d’échouer, royalement."

Le vote de l’hypocrisie

Xesc Mainzer – Rédacteur en chef du magazine El Europeista

"Hier, nous sommes passés à côté d’une grande opportunité d’avancer vers une démocratie pan-européenne. Une alliance de plusieurs groupes pourtant situés à l’opposé sur la scène politique a décomposé la proposition de faire siéger au Parlement européen, 46 députés européens élus directement via une liste transnationale.

L’opposition des eurosceptiques était évidente, avec leur désormais argument bien connu du coût économique trop important qu’engendrerait une telle réforme. Mais je dois avouer que la déception vient davantage du côté d’une gauche unie, qui a rejoint les eurosceptiques sur leur piètre argument économique. Et finalement, la plus grande déception de cette alliance contre le progrès vient du Parti Populaire Européen (PPE), qui s’est opposé aux listes transnationales car celles-ci engendreraient une « séparation » entre les représentants et leurs électeurs, qui perdraient leurs points de référence au Parlement. Pourtant, quand le même système d’élections mixtes est utilisé pour les élections d’institutions comme le Bundestag allemand, ce genre de critique ne se fait pas entendre par les membres du PPE de ce pays, ce qui révèle bien l’hypocrisie derrière cet argument. Avec cette défaite, les citoyens ont perdu la possibilité d’avoir plus de choix pour leur vote, aux élections européennes, et nous avons échoué dans notre effort constant d’avancer vers une Europe davantage plurielle.

Je sais que la plupart d’entre nous, fédéralistes, souhaitent voir la mise en place d’une Europe basée sur deux chambres délibérantes, pour la représentation territoriale et populaire respectivement. Mais puisque cela n’est pas possible à ce jour, nous ne pouvons que nous résigner à avancer par petits pas, vers une représentation directe des démos européens. Nous avons peut-être perdu hier, mais le temps nous redonnera d’autres chances."

Un revers ? Pourquoi nous ne devons pas abandonner

Michal Ekiert – Responsable des relations européennes de la JEF Pologne

"Le vote d’hier était un moment important pour la définition du fédéralisme en Europe. Beaucoup d’entre nous le considèrent comme un moment de régression pour l’idée d’unification, et c’est certainement la bonne conclusion. Le Parti populaire européen (PPE) a décidé de ne pas défendre les intérêts - comme l’indique pourtant son nom - du peuple européen. A la place, ses députés européens ont décidé de défendre la désunion nationaliste de leurs amis. Jusqu’ici, le récit dominant dans le camp des fédéralistes européens nous a convaincu de la nécessaire réussite de ces listes transnationales. Cela aurait été un progrès fortificateur pour l’idée de communauté européenne.

Cependant, lorsque l’on prend en considération les différents systèmes fédéraux qui existent, et plus particulièrement leur système d’élections, on peut tirer quelque chose de bénéfique dans ce moment pourtant très négatif. Lors de la première conférence internationale sur le fédéralisme à Mont Tremblant, en octobre 1999, le président américain Bill Clinton a fait valoir que le fédéralisme, et l’identité portée par ses adhérents, permet aux peuples d’éviter l’isolement au sein d’un Etat-Nation. C’est très certainement lié à la façon dont les fédérations existantes organisent l’élection des représentants de leurs citoyens. Lok Sabha, la Chambre basse du Parlement indien, un mélange de cultures et de langues, est élue selon un système de scrutin majoritaire uninominal à un tour. Les Canadiens, les Américains, le Brésiliens et les Argentins élisent tous leurs représentants uniquement sur une base géographique, sans solution qui reflèterait notre approche européenne du fédéralisme. Le vote d’hier est un dur revers pour notre idée et notre vision du fédéralisme, et les moments comme celui-ci définissent la fermeté de tout idéal. Toute idéologie, qui ne pourra s’adapter à la réalité, finira par disparaître. Par conséquent, rien, même pas le vote le plus trahissant du Parlement, ne nous dispense de chercher de nouvelles façons d’exprimer le fédéralisme européen."

La démocratie européenne mise à mal par ceux en qui j’avais confiance

Juuso Järviniemi – Rédacteur en chef du magazine thenewfederalist

"Je sais qu’il y a un certain nombre de personnes qui ne se sentent pas représentées par les élus de leur pays d’origine, mais qui ont une idole au Parlement européen. Aujourd’hui, le Parlement aurait pu leur offrir la possibilité de voter pour quelqu’un dont ils partagent profondément les idées. Mais celle-ci fut rejetée. Actuellement, seulement une poignée de députés européens considèrent les citoyens européens des petits Etats membres comme leurs électeurs. Une liste transnationale aurait augmenté le nombre d’eurodéputés responsables devant chaque citoyen. Pour des millions des citoyens, ce nombre aurait été multiplié. Mais cela aussi, a été rejeté. Pour beaucoup, les listes transnationales sont la proposition la plus excitante pour le développement de la démocratie européenne. Avec l’Union européenne, on essaye de faire quelque chose que l’humanité n’a encore jamais réussi à accomplir. Permettre aux européens d’élire certains de leurs députés européens à une échelle continentale, cela aurait été quelque chose d’inédit dans le monde. Une circonscription européenne serait l’opportunité de développer de nouvelles formes de campagne électorale, une nouvelle forme de démocratie. Une circonscription européenne donnerait aux élections une saveur différente. Hier, le Parlement européen aurait pu voter en faveur de ce progrès inédit. Mais il s’y est opposé.

Le Parlement européen a eu sa chance ; il ne l’a pas saisie. Il est souvent répété que nous vivons aujourd’hui une période unique de l’histoire européenne, que la fenêtre d’opportunité pour des réformes essentielles et fascinantes est ouverte. J’ai découvert et connu le Parlement européen comme une institution tournée vers l’avenir, vers laquelle je me tourne pour m’inspirer de tout ce que les européens peuvent accomplir ensemble - une institution en laquelle je peux avoir confiance pour avancer. Aujourd’hui, je me sens déçu, pire, trahi."

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