Ce règlement a défrayé les chroniques ces dernières semaines car son adoption permettrait d’autoriser les pêcheurs européens à recourir à une technique de pêche vivement décriée par les ONG de protection des océans, j’ai nommé : la pêche électrique.
La pêche électrique, ou le « Round Up des Océans »
D’après la définition donnée par l’association de protection des océans et des espèces marines Bloom, la pêche électrique est « une technique qui consiste à envoyer des décharges dans le sédiment afin de capturer plus facilement les poissons plats qui y vivent enfouis », [1] par exemple la sole. Cela revient donc à électrocuter les poissons pour ensuite les attraper plus facilement. Mais cette technique de pêche pose un problème majeur, et c’est une des raisons pour lesquelles elle est si controversée, c’est qu’elle électrocute tout sur son passage : tous les poissons et organismes vivants dans les sédiments des fonds marins. Et ce, y compris les poissons encore trop petits pour pouvoir être commercialisés, y compris les espèces que nous ne consommons pas ou qui ne sont pas la cible des pêcheurs, et y compris la flore présente à ces profondeurs.
De plus, il faut savoir que la pêche est un secteur très réglementé à l’échelle européenne. Les pêcheurs doivent respecter des quotas de pêche, mais également des règles concernant la taille et la masse graisseuse des poissons pour pouvoir les commercialiser. Or, même en recourant à la pêche électrique, les professionnels sont toujours soumis à ces règles. Par conséquent, une fois les filets remontés sur le bateau, les poissons pêchés doivent être sélectionnés et sont le plus souvent rejetés morts à la mer s’ils ne correspondent pas aux critères requis. Les stocks risquent donc de s’appauvrir encore plus rapidement si la pêche électrique se généralise.
Frédéric Le Manach, directeur scientifique de l’association Bloom, insiste : « Nous n’avons absolument aucune idée de l’impact de ces champs électriques sur les œufs, sur les juvéniles, sur les requins, sur la reproduction des poissons ou encore la composition chimique de l’eau ». [2] Il en vient même à désigner la pêche électrique comme « le Round-up des océans ».
Que disent les professionnels du secteur de la pêche ?
Tout d’abord, il faut savoir que la pêche électrique n’est pas totalement interdite dans l’Union européenne, mais seulement autorisée à titre d’expérimentation et ne peut, d’après la règle de la Commission européenne datant de 2006, concerner plus de 5% des chalutiers d’un même pays. Les Pays-Bas arrivent en tête des pays européens qui ont le plus recours à cette technique de pêche. Les ONG les accusent d’ailleurs de ne pas respecter la règle des 5%.
L’argument principal avancé par les professionnels du secteur est un argument écologique, ce qui peut, à première vue, sembler paradoxal. En effet, ils mettent en avant le fait que la pêche électrique leur permettrait de réduire la consommation de gasoil sur les bateaux puisqu’un chalutier électrique consomme presque deux fois moins de carburant qu’un chalutier classique. Cela est dû au fait que le chalutier électrique a un équipement moins lourd par rapport à la pêche traditionnelle.
Toutefois, il faut contrebalancer cet argument et se demander si utiliser une technique électrocutant la majorité des poissons vivants dans les sédiments de l’Atlantique et de la Mer du Nord n’est pas davantage destructrice de l’environnement. Il semble que la pêche électrique mette en danger les stocks de poissons dans des zones souffrant déjà de la surpêche. Autoriser une technique qui aurait des conséquences négatives sur la protection de la biodiversité et des ressources des fonds marins n’encourage pas à une gestion durable des ressources halieutiques européennes.
De plus, même si cette technique est apparemment plus efficace et offrant des rendements plus élevés d’après les professionnels de la pêche, quelques 200 chefs cuisiniers se prononcent pour une interdiction totale de la pêche électrique car en plus d’appauvrir les océans, elle ne permet pas de fournir des produits de qualité. Après avoir subi le choc électrique, les poissons sont marqués, brûlés voire déformés. [3]
Un vote décisif au Parlement européen ce mardi…
Le vote de ce mardi 16 janvier en séance plénière au Parlement européen sera donc décisif pour l’avenir de la pêche européenne, mais surtout de sa règlementation. Effectivement, il ne faut pas oublier que la conservation des ressources marines est une compétence exclusive de l’Union européenne dans le cadre de la Politique Commune de la Pêche. L’UE doit donc tenir compte du respect de l’environnement, de la conservation de la biodiversité et de la lutte contre le changement climatique dans les politiques qu’elle entreprend. Or, l’exemple de la pêche électrique va à l’encontre de cette préoccupation puisqu’elle endommage les espèces et fonds marins et ne tend pas vers une gestion durable des stocks de poissons dans les eaux européennes.
Cette affaire est également révélatrice du rapport de force entre les institutions européennes, les Etats membres et les lobbys, et montre le pouvoir d’influence de certains acteurs lorsqu’il s’agit de mettre une thématique à l’agenda européen. En effet, plusieurs ONG ont pu constater un très fort investissement et lobbying de la part des Pays-Bas en faveur de l’autorisation de cette technique de pêche. La balle est maintenant dans le camp du Parlement européen.
Les députés du groupe des écologistes au Parlement européen se mobilisent sur ce dossier et ont annoncé qu’ils voteront contre l’autorisation de la pêche électrique. [4] Nous ne pouvons qu’espérer qu’une majorité de leurs collègues les suivent dans cette direction pour barrer la route à des pratiques de pêche dangereuse pour l’environnement, et favoriser une politique commune de la pêche durable et respectueuse des océans.
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