« À travers la construction européenne, la France vise la réincarnation, l’Allemagne la rédemption ». Le Royaume-Uni vise l’« optimisation » nationaliste. [1] Le Brexit est l’archétype de la pensée souverainiste anglo-saxonne. En effet, le rejet d’une « Union sans cesse plus étroite » [2] constitue les prémices d’une dés-unification. Actée le 29 mars 2017, par l’activation de l’article 50 du TUE, la sortie du Royaume-Uni (RU) de l’Union européenne (UE) suppose de trouver le mutuus disensus lors de la phase de négociations qui s’ensuit. Cette dernière est décomposée en deux étapes. La première étape concerne les conditions du divorce. Les vingt-sept Etats membres de l’Union européennes restant (UE27) ont mandaté la Commission européenne pour négocier un accord de principe sur le retrait du Royaume-Uni (RU). Pour démarrer la deuxième phase de négociation sur la future relation RU-UE et un éventuel accord de transition, des « progrès suffisants » devaient être effectués entre l’UE27 et les britanniques concernant les trois enjeux principaux du divorce : les droits des citoyens européens résidant au Royaume-Uni et des citoyens britanniques résidant dans l’UE après le Brexit ; la nature de la future frontière entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande (EIRE) ; les obligations financières du Royaume-Uni envers l’UE. Un compromis [3] a été trouvé le 8 décembre, et approuvé lors du sommet européen des 14 et 15 décembre.
Si les négociateurs ont surmonté maintes embuches lors de la première phase de négociations, Theresa May, la Première ministre du Royaume-Uni, s’est présentée le genou plié aux 27 ces derniers jours pour obtenir le début de la seconde étape sur le futur de la relation commerciale.
Phase 1 terminée : une bataille gagnée pour l’Union européenne
Si le scepticisme battait son plein, le drapeau blanc a été levé. Le Royaume uni a cédé, sans qu’aucun cadeau ne lui soit accordé par l’UE. Seule exception, les frais de déménagements des agences européennes des médicaments et bancaire ont été plafonnés à plusieurs millions d’euros.
Malgré les réticences britanniques pour payer l’addition, la note sera réglée : le total des engagements britanniques devrait porter le montant final aux alentours de 50 milliards d’euros. Cette facture a fait l’objet de vives critiques des Brexiters britannique, Nigel Farage, l’ancien président du partie Europhobe Ukip, déclarant que « €50milliards pour sortir de l’UE est une impardonnable perte d’argent » [4]. A préciser que ce chèque est très loin des propositions britanniques initiales. En septembre 2017, il n’atteignait pas les 20 milliards. Le montant de la note finale correspond aux engagements du Royaume-Uni pour les budgets 2019 et 2020 ainsi qu’à sa part de tous les engagements financiers pris par l’UE avant le 31 décembre 2020. Ainsi, selon Michel Barnier, pour le Royaume Uni, il a fallu « solder les comptes » [5]. Une grenade a été dégoupillée par la première ministre britannique, les autres points négociés auront-ils le bénéfice de cette ouverture ?
Concernant les droits des citoyens européens, ces derniers ne sont pas remis en cause. Les deux parties souhaitent garantir aux citoyens de l’Union européenne résidant au Royaume-Uni et aux ressortissants britanniques résidant dans l’UE27, ainsi qu’à leur famille, qu’ils continueront à jouir des droits découlant de l’Union sur les territoires du Royaume-Uni et de l’UE. [6]
Enfin, au sujet du dialogue sur la République d’Irlande et l’Irlande du Nord, même si le flou persiste, le gouvernement britannique s’est engagé à protéger le fonctionnement et les institutions de l’accord du Vendredi saint/de Belfast tout en évitant l’émergence d’une frontière physique, ainsi que la vérification d’identités. Ce point a été tranché partiellement et fera l’objet d’une discussion distincte à celle de la seconde phase. L’illogisme du débat sur la frontière irlandaise persiste néanmoins au regard des déclarations d’intention de Theresa May. D’une part, le rôle de la CJUE ne s’appliquera plus à l’Irlande du Nord et au Royaume Uni, de facto, une divergence de traitement apparaitra entre les deux « Irlande ». Comment pallier cette discrimination ? D’autre part, si l’Irlande du Nord n’est plus dans l’Union européenne, pourquoi donc y aura-t-il une absence de frontière avec la République du Nord ?
Le Conseil européen a pris acte de l’avancée des négociations entre Theresa May et la Commission européenne [7] Il est laissé place à l’acte II, la négociation commerciale (même si les détails techniques du divorce continueront à être négociés). Satisfaisant les intérêts des softs Brexiters, le Royaume Uni bénéficiera en principe d’une phase de transition, d’une durée de deux années postérieurement au Brexit. [8]
Quid de la situation postérieure à cette phase transitoire ? Quelles seront les bases de ce futur accord commercial ?
Phase 2 : une guerre à mener entre l’Union européenne, et un Royaume désuni
Un consensus sur les futures relations commerciales doit être pensé. Les sensibilités étant divergentes, le consentement sera difficilement acquis. En effet, une guerre de tranchée grandissante entre le parti conservateur britannique disperse les Tories les plus radicaux et les soft Brexiters ayant une vision prospective par rapport au marché unique et en faveur de la préservation de l’économie britannique . Schisme politique interne ou européen ? Mercredi 13 décembre, 11 députés conservateur modérés se sont ralliés à l’opposition travailliste pour voter un amendement à la Brexit Bill prévoyant que le Parlement britannique devra statuer sur l’accord final du Brexit. Son avis ne sera pas seulement consultatif mais contraignant, ce qui affaiblit encore l’autorité de la Première ministre. [9]
L’incertitude pesant sur les futures relations commerciales
Si demeurer au sein du Marché Unique n’est pas envisageable ni envisagé par les britanniques, quel statut commercial appliquer ?
Certains diront de prendre comme exemple, le modèle de Singapour. En effet, selon Owen Paterson, conservateur britannique, « Don’t listen to the terrified Europeans. The Singapore model is our Brexit opportunity » [10]. La vision singapourienne est basée sur le tryptique « low-tax, low-spend, low-regulation » [11]. Appliquer un tel modèle au Royaume-Uni supposerait de transformer l’intégralité de l’économie du pays, et risquer des représailles de ses partenaires commerciaux qui ne manqueront pas de le submerger par des tarifs douaniers considérables. La ruine serait le versant de la sortie.
Autre option, imiter le statut suisse pour les futurs accords bilatéraux [12]. Toutefois, ces derniers sont une source de lenteur et d’instabilité constatée en fonction de bouleversements institutionnels. De plus, certes le peuple Helvète conserve sa souveraineté, toutefois, les adaptations sont notables, du fait que la Suisse soit signataire des conventions de Schengen sur la libre circulation des biens et des personnes, et de Dublin relative au droit d’asile européen. Or, le Royaume-Uni a clairement manifesté sa volonté de sortir du marché unique.
Pour les mêmes raisons, les options norvégienne, islandaise, ou encore du Lichtenstein demeurent inconcevables. « Une solution norvégienne parait peu probable » [13], selon Erna Solberg, la première ministre de la Norvège. Avoir le même statut que ces pays signifierait adhérer à l’EEE (Espace, Economique, Européen) et permettre de facto, la libre circulation des personnes, véritable ligne rouge pour les Brexiters, notamment à propos des enjeux autour de la migration intra-communautaire et extra-communautaire.
L’avenir de la relation UE – UK, apparait donc très incertaine. Comment orienter les négociations, pour parvenir à un accord ? Allons-nous vers une version renforcée du CETA (Comprehensive Economic and Trade Agreement), l’accord de libre-échange avec le Canada ? David Davis, le négociateur britannique appelle ainsi à un accord de type « Canada plus plus plus ». [14]
Si les européens sont prêts à aller plus loin que le simple libre échange, notamment sur des sujets comme la défense et la sécurité, un accord complétement à la carte n’est pas envisagé. Il est affirmé à ce propos que « there is no cherry-picking on Brexit » [15]. Ainsi, le régime britannique ne peut mélanger les avantages des statuts applicables aux membres de l’EEE, au Canada, sans prendre acte des inconvénients. La seconde phase des négociations apparait donc comme un terrain miné.
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