Michel Barnier : « Le marché unique n’est pas négociable »

, par Thomas Arnaldi

Toutes les versions de cet article : [Deutsch] [English] [français]

Michel Barnier : « Le marché unique n'est pas négociable »
Michel Barnier, chef des négociations sur le Brexit présente le 28 février à Bruxelles l’accord juridique pour le retrait du Royaume-Uni de l’UE. CC - European Union, Mauro Bottaro

Alors que les négociations sur le Brexit entre le Royaume-Uni et l’Union européenne viennent de fêter leur première bougie, le calendrier des négociations s’accélère avant la date fatidique du 29 mars 2019. Quoiqu’il arrive, le 30 mars prochain, le Royaume-Uni deviendra un Etat tiers au regard du droit européen. Michel Barnier, négociateur en chef pour l’Union européenne fait un bilan d’étape sur le Brexit lors d’un bref passage à Paris. Le Taurillon est allé à sa rencontre.

« Négociations extraordinairement complexes »

Négociateur en chef pour la conduite des négociations avec le Royaume-Uni depuis le 1er octobre 2016, l’ancien Commissaire européen suit méticuleusement la préparation du Brexit. Situation inédite dans l’histoire de la construction européenne, un Etat membre qui a participé à 44 ans d’intégration européenne quitte l’Union européenne (UE). A l’issue du référendum du 23 juin 2016, 51,2% des citoyens britanniques décident de quitter l’Union européenne. Dans le cadre fixé par l’article 50 du Traité sur l’Union européenne, la Première ministre Theresa May enclenche le processus de négociations le 29 mars 2017 pour une période qui doit durer deux ans au maximum. Face à David Davis du côté britannique, Michel Barnier et son équipe de 60 collaborateurs doivent penser un Brexit encore impensable en 2016 et surtout inédit. « Les négociations doivent être menée de manière pratique, pragmatique et unique et je veillerai à ce qu’elles restent uniques » souligne-t-il.

L’appui et l’unité des 27 autres Etats membres de l’Union européenne est par ailleurs indispensable. Avec le mandat réitéré du Conseil européen et la coopération permanente avec le Parlement européen, Michel Barnier veut « organiser le retrait ordonné » du Royaume-Uni. Outre l’extrême complexité des négociations avec les britanniques, il doit favoriser une réponse européenne dans ce divorce, notamment dans « tous les sujets où le Brexit peut créer des incertitudes, des inquiétudes ou des angoisses ». Son emploi du temps en témoigne, chaque semaine Michel Barnier est à la rencontre des gouvernements des Etats-membres, de la société civile, des syndicats et des partis politiques pour « comprendre » et puiser son inspiration dans les négociations. En courte escale à Paris le mercredi 4 avril, il revenait du Danemark, devait s’envoler pour la Finlande, avant de partir pour la République Tchèque la semaine suivante.

Regrettant profondément la décision des britanniques, il ne souhaite négocier « sans aucune arrière-pensée » ni aucun « esprit de revanche » qu’il juge contre-productif. Pour lui, « il ne peut y avoir de valeur ajoutée au Brexit, ça ne peut pas être gagnant-gagnant. Le fait de se séparer est un affaiblissement pour tout le monde, il faut donc essayer de limiter les conséquences. »

« Les citoyens sont notre priorité »

Suite à l’accord préalable de décembre dernier, les négociations sur la procédure de retrait du Royaume-Uni ont connu un pas décisif, notamment dans les trois thématiques fondamentales : le sort des citoyens européens, le budget et la question de l’unité de l’Irlande. Avec 3,5 millions de citoyens européens qui vivent ou travaillent au Royaume-Uni et 1,5 million de britanniques résidant dans l’UE, la garantie des droits acquis dans le cadre de l’Union européenne doit être sécurisée jusqu’à la fin de la période de transition le 31 décembre 2020.

Établi sur des périodes pluriannuelles de sept ans, la construction du budget communautaire complexifie les négociations. Dans le cadre du budget 2014-2020, les Britanniques ont des engagements qu’ils doivent tenir. Barnier avertit : « Tout ce qui a été décidé à 28 doit être payé à 28. Comme dans toute séparation, il faut solder les comptes. Les britanniques doivent donc respecter leurs engagements jusqu’à la fin de la période » Sur l’Irlande, la question devient plus délicate. L’Irlande est effectivement une île sur laquelle coexistent deux pays : la République d’Irlande d’une part et d’autre part l’Irlande du Nord qui fait partie du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord. A la suite du conflit soldé par les accords du vendredi saint, un processus de dialogue et de paix a été établi aux termes duquel il n’y a pas de frontière sur l’île. « Nous devons préserver cette stabilité » dans le cadre des négociations prévient Michel Barnier.

« Nous regrettons profondément le choix des britanniques, mais nous le respectons et nous le mettons en œuvre »

Avec les avancées suffisantes sur l’accord de retrait, les négociations sur un accord de transition demandé par Theresa May dans son discours de Florence prennent leur essor. C’est l’accord de retrait et l’accord de transition qui seront soumis à la ratification de l’Union européenne (Parlement européen et Conseil de l’Union européenne) et du Royaume-Uni avant l’échéance de mars 2019. Les deux parties se sont mis d’accord sur une transition de 21 mois poussant au 31 décembre 2020 l’effet d’un Brexit intégral. Le document publié par la Commission européenne le 19 mars fait part sous une forme juridique du compromis en cours. Cet accord permettrait ainsi au Royaume-Uni sorti des institutions européennes de continuer de contribuer et de bénéficier des politiques européennes. Michel Barnier met en évidence que « 75% du texte fait consensus » mais que les questions relatives à la gouvernance de la transition et notamment la solution retenue pour l’Irlande du Nord sont encore en suspens. « La Commission propose d’intégrer l’Irlande du Nord dans l’union douanière. Les britanniques ne sont pas d’accord, nous attendons leurs propositions. Si les britanniques viennent avec de meilleures solutions, nous les substituerons »

S’il faut s’assurer qu’il n’y aura pas de frontière physique en Irlande, Michel Barnier juge essentielle la « future relationship » entre l’Union européenne et le Royaume-Uni à l’issue du Brexit. C’est tout l’objet d’un troisième volet de négociations – après celles sur le retrait et la transition – qui doivent démarrer prochainement. A l’issue du 29 mars 2017, « le Royaume-Uni quitte mécaniquement 750 accords internationaux » rappelle Michel Barnier. Il imagine donc quatre piliers phares pour conduire une relation spéciale avec un des partenaires privilégiés de l’UE : un accord de libre-échange, la coopération sur des thématiques spécifiques (comme la recherche, le ciel aérien, etc.), la coopération judiciaire et policière et les questions de défense dans le cadre de la PSDC (Politique de sécurité et de défense commune). En revanche, il ne sera « pas question de diviser les quatre libertés fondamentales du marché commun. Le marché unique n’est pas négociable. Or, si on suit actuellement toutes les lignes rouges des britanniques, le débat actuel conduit à un modèle d’accord de libre-échange comme le Canada ou la Corée du Sud. »

Dans tous les cas, Michel Barnier prévoit le grand rendez-vous d’octobre prochain comme la date à laquelle la négociation sur le retrait du Royaume-Uni de l’UE devra être terminée pour être soumis au processus de ratification, avec une entrée en vigueur effective au 30 mars 2019. Même si le Brexit représente « un des tremblements de terre les plus importants » du XXIème siècle selon les propres mots d’Enrico Letta, ancien Président du Conseil italien, Michel Barnier ne souhaite pas de Hard Brexit. « Le Hard Brexit, par définition, c’est un no deal »

Même s’il regrette « profondément » la décision des Britanniques, Barnier reste un Européen convaincu, voyant dans l’UE bien plus qu’un « grand supermarché ». Chacune des 28 nations ont réussi à « mutualiser leur destin tout en restant fière de leur identité nationale. » Toutefois, il met en garde les Européens : « ce que nous ne ferons pas ensemble pour l’Europe, personne ne le fera à notre place. Les Européens doivent s’unir pour pouvoir peser dans la mondialisation. C’est pour ça qu’il nous faut défendre notre modèle économique et social et défendre nos intérêts. » Un renouveau européen en quelque sorte ? S’il salue la victoire d’Emmanuel Macron à la Présidence de la République, il en appelle de ses vœux « à s’occuper des grands problèmes » selon une formule de Juncker. « Personne ne m’empêchera de parler de l’Europe avec passion, mais concernant le Brexit ce sera avec raison. » conclut-il.

Propos recueillis le mercredi 4 avril 2017 lors d’une conférence de Michel Barnier à Sciences Po sur le thème « Les enjeux européens à l’heure du Brexit ».

Mots-clés
Vos commentaires
modération a priori

Attention, votre message n’apparaîtra qu’après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?

Pour afficher votre trombine avec votre message, enregistrez-la d’abord sur gravatar.com (gratuit et indolore) et n’oubliez pas d’indiquer votre adresse e-mail ici.

Ajoutez votre commentaire ici

Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Suivre les commentaires : RSS 2.0 | Atom

À lire aussi