Greta a commencé par refuser de retourner à l’école avant les nouvelles élections législatives suédoises, car elle estimait que le réchauffement climatique et les mesures proposées par chaque parti pour le combattre n’occupaient pas une place suffisamment importante dans la campagne électorale. Jour après jour, elle s’est donc assise seule devant le parlement, avant d’attirer bien vite l’attention et de devenir le fer-de-lance de manifestations étudiantes dans l’ensemble de l’Europe. Mais a-t-elle également un impact sur le monde politique ? Ou bien les jeunes manifestent-ils sans aucune chance de voir leurs revendications concrétisées ?
2015 : conférence sur le climat à Paris
En 2015, les pays membres des Nations-Unies se sont engagés lors d’un sommet à Paris à tenter de limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré Celsius par rapport à la période préindustrielle. Le pays d’origine de Greta, la Suède, n’est pas en bonne voie. Il s’agit pourtant, comme l’affirme la jeune fille, d’un pays riche et progressiste qui prétend être respectueux de l’environnement, durable et écologique. Greta a donc décidé de continuer à manifester même après les élections législatives et à sécher les cours chaque vendredi jusqu’à ce que son pays ait atteint l’objectif fixé à Paris.
La Suède n’est pas le seul pays à être à la traîne en matière de climat. L’Allemagne aussi risque bien de ne pas remplir ses objectifs – surtout après les dernières décisions relatives à la sortie du charbon. À la signature de l’accord de Paris en 2015, le monde était sur le point de voir sa température moyenne augmenter de 2,8 degrés Celsius par rapport à l’époque préindustrielle. Les pays présents à Paris ont également convenu qu’une évaluation serait menée tous les cinq ans afin, d’une part, d’analyser les mesures adoptées par chacun des États signataires en vue d’atteindre les objectifs fixés et, d’autre part, de statuer sur le succès de leur mise en œuvre.
Été 2018 : grève scolaire de Greta
Les journaux et les réseaux sociaux relatent rapidement l’histoire de la jeune gréviste suédoise dans toute l’Europe. Greta devient aussi vite appréciée que connue. En novembre déjà, à 15 ans à peine, elle est invitée à tenir un TED Talk. Elle explique alors comment elle a appris à l’âge de 8 ans l’existence des changements climatiques et à quel point elle trouve incompréhensible que l’élaboration d’une solution ne soit pas davantage au centre de nos préoccupations quotidiennes. Elle parle des adultes qui viennent vers elle tout sourire et qui lui disent de retourner à l’école pour pouvoir devenir climatologue et ainsi sauver la planète. Mais Greta argue que les solutions existent déjà, et qu’elles manquent seulement de concrétisation. « Pour quelle raison les jeunes devraient-ils encore se rendre à l’école et travailler pour un avenir qui risque de ne jamais exister ? », demande-t-elle. Le plus édifiant dans ses propos : les responsables politiques ont pour la plupart dépassé 50 ans et prennent des décisions relatives à un avenir auquel ils ne participeront pas. « Si je vis jusque 100 ans, alors je serai encore là en 2103. La majorité des objectifs climatiques ne sont valables que jusqu’en 2050. Avec un peu de chance, je ne serai cette année-là qu’à la moitié de ma vie », explique Greta. Dans les autres pays européens, des groupes d’élèves commencent à suivre l’exemple de Greta. Aux Pays-Bas et en Allemagne, les premières grèves scolaires s’organisent en septembre. Les autres pays, tels que la Belgique, la Suisse, l’Angleterre et la Finlande leur emboîtent le pas en octobre et novembre.
Hiver 2018 : Fridays for Future
En Allemagne, le mouvement prend le nom de « Fridays for Future » et se divise en différents groupes régionaux qui se coordonnent grâce à des groupes WhatsApp et propagent leurs idées grâce aux réseaux sociaux et à des tracts. En février 2019, « Fridays for Future » compte déjà plus de 155 groupes locaux dans toute l’Allemagne. L’opposition au mouvement vient principalement de politiques conservateurs, qui constatent avant tout que les jeunes dérogent à leur obligation scolaire. Les écoles reçoivent alors la directive de ne pas excuser les absences des élèves partis manifester et d’indiquer les heures manquées dans les bulletins de notes. Mais les jeunes se font toujours plus entendre : de quoi pourraient-ils être plus fiers que d’un bulletin qui atteste leur engagement en faveur du climat et de l’environnement ?
Les gouvernements des différents Länder allemands gèrent la situation avec une sévérité variable. In fine, c’est aux écoles qu’il revient de sanctionner ou non les élèves, plus ou moins strictement.
Décembre 2018 : conférence de Katowice sur le changement climatique
En décembre 2018 s’est tenue la 24e conférence des Nations-Unies sur le changement climatique à Katowice, en Pologne. Les premiers examens visant à analyser les avancées des États dans la mise en place des mesures prises lors de la conférence de Paris ont eu lieu. Ces mesures ont en outre été encore renforcées : à compter de 2020, chaque État signataire devra consigner et renseigner chacune des dispositions qu’il prend pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre ainsi que ses émissions effectives. Les méthodes utilisées pour mesurer ces émissions devront également être rendues publiques.
Un « bilan climatique » sera réalisé tous les cinq ans afin d’évaluer l’efficacité des mesures prises. Les moyens financiers que les États investissent dans leur politique climatique devront quant à eux être revus à la hausse d’ici 2025. Les États ne tenant pas leurs engagements, ou qui les mettent trop peu – ou pas assez efficacement – en œuvre, seront publiquement révélés par les Nations-Unies selon le principe du « naming and shaming ». L’ONU ne pouvant infliger de réelles sanctions, c’est cette méthode qui s’est avérée la plus fructueuse par le passé.
Greta aussi a fait le déplacement jusque Katowice – à bord de la voiture électrique de son père. Elle considère les dispositions prises lors de la conférence trop vagues et trop lointaines. Dans son discours, au cours duquel elle a reproché aux politiques de ne pas vouloir faire face à la réalité pour assurer leur popularité, elle a annoncé : « Peu m’importe d’être populaire ou non. Je veux une justice climatique et une planète vivable ». Elle a également sommé la société – et surtout les personnes détentrices de richesse et de pouvoir – d’enfin cesser de dissimuler la vérité et de commencer à agir. Greta a ensuite insisté sur le fait que c’était avant tout pour les pays pauvres que le changement climatique était un fardeau et a ajouté : "Vous dites toujours aimer vos enfants plus que tout au monde. Pourtant, vous leur volez leur avenir, sous leurs yeux."
Décembre 2018 : interdiction des plastiques à usage unique
C’est en décembre également que l’Union européenne a interdit la production et l’utilisation des plastiques à usage unique tels que les pailles ou les Coton-Tige. Il s’agit sans doute là d’un premier pas dans la bonne direction, mais une quantité ridicule de produits du quotidien sont encore aujourd’hui emballés dans du plastique : des fruits et légumes aux pâtes en passant par l’ensemble des produits hygiéniques, par exemple. Échapper au plastique n’est pas une mince affaire, même quand on prend garde de réduire notre propre consommation.
Le fait que nous soyons parvenus ces dernières années en Allemagne à nous débarrasser de produits en plastique bien ancrés dans notre mode de vie, tels que les sacs gratuits de la pharmacie du coin, semble indiquer que notre pays est en bonne voie, voire avant-gardiste. Les statistiques prouvent toutefois le contraire. Chaque Allemand utilise en moyenne un demi-kilo de plastique par jour : 14,8 millions de tonnes de plastique sont donc consommées tous les ans dans le pays. L’Allemagne se place ainsi à la troisième place du podium, derrière les États-Unis et la Chine. Un triste constat.
Janvier 2019 : Forum économique mondial à Davos
En janvier 2019, des politiques, des chercheurs et des militants environnementaux se sont retrouvés à Davos, au Forum économique mondial. Il ne s’agissait pas seulement d’une rencontre autour du changement climatique comme à Katowice, mais bien d’un échange entre d’éminents représentants gouvernementaux, chercheurs et économistes. Les conversations les plus importantes ne se déroulaient pas toujours sur les scènes officielles ou dans les salles de réunion, mais également dans les couloirs entre les rendez-vous. Selon les médias et le programme officiel de l’événement, c’est le Brexit qui était au centre de toutes les attentions cette année, et ce alors que le Rapport sur les risques mondiaux, publié par les organisateurs peu avant le début du Forum, présentait le changement climatique comme l’un des cinq plus grands problèmes de notre époque. Greta Thunberg a à nouveau fait le déplacement, bravant pour ce faire 65 heures de train. Elle est à nouveau la seule à avoir opté pour un moyen de transport écologique : cette année, le nombre de participants ayant rejoint Davos à bord d’un jet privé a battu des records.
Greta en a profité pour lancer un appel pressant aux adultes qui « aiment encenser leur carrière politique » et qui auraient pourtant, en matière de climat, tous échoué : « Je veux que vous, les dirigeants du monde, présents ou absents aujourd’hui, agissiez comme vous le feriez en cas de crise. Nous, c’est ce qu’on fait. Et j’aimerais que vous agissiez comme si la maison était en feu. Car c’est le cas ».
Mis à part Greta, peu de personnes ont abordé la question climatique à Davos. C’est au contraire la difficulté pour le secteur automobile allemand de s’adapter aux nouveaux taux réglementaires d’émission de CO2 et de normaliser à nouveau leur production qui a occupé les esprits. Greta était donc entourée de gens ne considérant la protection de l’environnement que comme un danger pour leur entreprise.
Février 2019 : la sortie du charbon en vue
En février, l’Allemagne a tranché sur la question de la sortie du charbon. Ou plutôt : elle a fixé une date. Les manifestants de l’action toujours plus populaire « Fridays for Future », essentiellement des élèves et des étudiants, avaient sommé le gouvernement de sortir du charbon dès 2020. Cette sortie précipitée serait la seule solution pour que l’Allemagne tienne les objectifs climatiques qu’elle avait fixés pour l’horizon 2020 et 2030 : "C’est sans doute la dernière chance pour l’Allemagne de contribuer aussi largement à la lutte contre le réchauffement climatique", peut-on lire dans la lettre ouverte du mouvement.
Plus de 10 000 jeunes se sont rassemblés le 25 janvier à Berlin devant le Ministère de l’Économie et de l’Énergie pour faire entendre leur voix en faveur d’une sortie rapide du charbon. Comme le disait leur slogan, « ils étaient là et parlaient fort », sans laisser l’occasion au ministre de l’Économie et de l’Énergie Peter Altmaier, visiblement dépassé par les événements, de s’exprimer.
Le mouvement a toutefois été amèrement déçu par les résultats présentés par la Commission d’experts mandatée par le gouvernement : l’Allemagne ne sortira pas du charbon avant 2038.
L’objectif de limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré Celsius ne sera clairement pas atteint dans le pays. La Commission n’a pas garanti non plus que les villages menacés ne seront pas rasés et n’a déterminé le début de la transition (très lente) qu’en 2022. À l’instar de Greta, les manifestants ont annoncé qu’ils continueraient de manifester toutes les semaines jusqu’à ce qu’ils parviennent à faire changer les choses. "Nous manifesterons chacun des 991 vendredis qui nous séparent de 2038 s’il le faut", ont-ils déclaré.
Les politiques et les adultes, déroutés, ont réagi comme attendu et ont demandé aux jeunes de manifester après les cours ou le week-end. Selon eux, le message des jeunes est passé et a été entendu par la génération plus âgée. Pourquoi dès lors continuer de compromettre leur avenir en manquant les cours ? D’autres arguent que les jeunes et Greta ne s’intéressent pas réellement à la politique et au climat. Certains estiment en fait que tout cela n’est qu’un prétexte pour sécher les cours, derrière lequel Greta s’abriterait.
Greta est la cible de critiques virulentes – surtout sur Internet
On constate souvent que les critiques auxquelles doit faire face Greta, surtout en ligne, sont rarement liées à ses revendications. Ses assertions sur le climat étant difficiles à démentir, certains politiques et certaines entreprises n’ont pas d’autre solution que d’attaquer Greta personnellement. Ils doutent qu’une fille qui vient d’avoir seize ans soit capable d’écrire des discours si éloquents. Ils reprochent à ses parents d’instrumentaliser leur fille dans leur propre intérêt. Ils prétendent enfin que le syndrome d’Asperger, une légère forme d’autisme dont souffre Greta, la rend incapable de comprendre et de fustiger légitimement la situation climatique, politique et économique.
De telles réactions montrent à quel point Greta a raison d’accuser les dirigeants de ce monde d’avoir échoué : un adulte qui se sent obligé d’attaquer personnellement une jeune fille de seize ans sans être capable de mettre le doigt sur une quelconque erreur de fond ou sur un quelconque raisonnement erroné qu’elle aurait pu commettre devrait être mis en cause. Et pas seulement par les jeunes, mais par tout le monde. Honnêtement, qui se soucie réellement que des jeunes sèchent les cours le vendredi ?
Greta n’est pas seulement précurseur du mouvement, elle en est aussi la figure de proue. Voilà ce qui la rend si importante. Les jeunes ont besoin de voir que, grâce à ses revendications, Greta a été conviée à d’importantes rencontres politiques, que leurs voix trouvent un écho dans d’autres pays. Les récentes protestations menées par les jeunes en Allemagne sur d’autres thèmes, comme la manifestation dans la forêt de Hambach qui a permis de suspendre le déboisement de la zone, sont également source d’espoir pour les jeunes. Il s’agit là d’une source d’espoir et d’optimisme qui leur permet, même s’ils ne sont pas encore tous en âge de voter, de changer les choses.
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