Le projet de « Loi fondamentale » du Groupe Spinelli n’est accessible qu’en contrepartie du versement de 14,99 euros. L’émolument demandé par la Fondation Bertelsmann est peut être « le meilleur moyen d’enterrer [ce] texte », comme le suggère Valéry-Xavier Lentz dans sa contribution publiée ici le 11 janvier 2014 [1]. Ceci dit, les auteurs ont pris aussi d’autres précautions pour avoir la certitude mathématique que leurs bonnes idées restent restent aussi inaccessibles que possible. Pourtant, ce n’est pas un groupe de happy few qui devrait prononcer sur ce texte, mais quelques milliers d’élus et au final quelques millions d’électeurs.
Un projet ambitieux
Une Europe démocratique et transparente : ainsi on pourrait résumer le cœur du message de la « Loi fondamentale » ; une série assez cohérente de mesures visant à rendre le fonctionnement des institutions plus proche du modèle des démocraties fédérales, à travers notamment un renforcement du rôle du Parlement européen. Les textes normatifs adoptés à Bruxelles suivraient un parcours législatif comparable à celui des lois nationales, et la Commission européenne pourrait être institutionnellement comparée à un gouvernement. Les citoyens européens en sortiraient gagnants.
Une démarche pragmatique
L’originalité du projet de « Loi fondamentale » réside dans l’idée d’acheminer l’Europe vers une intégration fédérale à partir des contenus du Traité de Lisbonne. Les textes actuels pourraient subir une métamorphose graduelle qui, à terme, déboucherait sur une constitution véritablement fédérale. Cette démarche a le mérite d’être flexible et transparente. À chaque étape, le citoyen a la possibilité d’identifier clairement la nature des innovations qu’il l’attendent.
Un discours surréaliste
Parti de la volonté stratégique de concilier un projet visionnaire avec une démarche pragmatique, le projet n’a pas réussi à rester cohérent avec ses ambitions. Les auteurs n’ont pas résisté à la tentation d’offusquer l’enjeu du projet derrière une rhétorique surréaliste et de quelques priorités politiques personnelles hors sujet.
Le titre de « loi fondamentale » et la référence au fait que l’Union serait « refondée » sur la base de ce traité constitutionnel entre « ses États et ses citoyens » font preuve d’une forte rhétorique fédéraliste. Or, ces termes paraissent décalés par rapport à la substance d’un traité qui – au delà de quelques appréciables innovations institutionnelles – reprend essentiellement les contenus des textes existants. On voit donc mal l’utilité de cet exercice rhétorique d’arrière-garde, déontologiquement discutable et politiquement inefficace.
Un format illisible
Éparpillées tout au long des 437 articles, les amendements touchent aux à des sujets très variés et ne font preuve d’aucune cohérence globale. Les auteurs semblent avoir voulu fusionner tous leurs vœux, qui s’étalent d’un remaquillage stylistique du préambule jusqu’à une redéfinition de la politique commune de la pêche.
Le résultat est illisible, parce même le lecteur le plus averti peine à retracer un fil rouge qui relierait les différents amendements et à cerner la pertinence d’une série de réformes techniques les politiques communes dans le cadre d’un projet essentiellement institutionnel.
Par ailleurs, la restructuration des textes assortie d’une renumérotation générale des articles crée une inutile diversion qui détourne l’attention du fond des propositions.
Une stratégie suicidaire
Malgré ses qualités indéniables, l’incohérence et l’illisibilité de la « Loi fondamentale » la rendent indéfendable en dehors de quelques cercles d’initiés. Pour un projet qui a vocation d’être soumis au vote populaire de quelques dizaines – voire centaines – de millions d’électeurs, ces faiblesses formelles et stratégiques ne sont pas acceptables. Un tel texte est destiné à être enterré comme le fut le malheureux projet de traité constitutionnel de 2005.
Un enterrement évitable
La question essentielle à poser aux citoyens n’est donc pas de savoir s’ils acceptent ou non une obscure « Loi fondamentale » mais de savoir s’ils sont prêts à être représentés prioritairement par des députés directement élus plutôt que par leurs chefs d’État et de gouvernement. La réponse est loin d’être sûre, mais la question aurait le mérite d’être formulée clairement.
Les militants fédéralistes ont la possibilité de renvoyer la copie aux héritiers autoproclamés de Spinelli en leur demandant de clarifier leurs propos à travers :
1. Une indication claire des priorités des réformes envisagées ;
2. Le regroupement thématique des amendements assorti d’un exposé des motifs exhaustif ;
3. L’abandon d’un discours inutilement idéologue et des dispositifs formels qui en découlent (titre, renumérotation, reformulation conceptuelle).
Il va de soi que ce texte devrait être traduit dans plusieurs langues et distribué gratuitement en ligne.
1. Le 17 janvier 2014 à 14:19, par Valéry-Xavier Lentz En réponse à : Loi fondamentale : un enterrement programmé ?
Tiens, j’avais raté ce tweet absurde de notre ami Andrew Duff : https://twitter.com/Andrew_Duff_MEP/status/407445380138164224
2. Le 17 janvier 2014 à 23:28, par Jean-Guy Giraud En réponse à : Loi fondamentale : un enterrement programmé ?
La réforme de l’UE passera forcément par une révision des Traités préparée par une Convention selon la procédure prévue par l’article 48 TUE. Cette procédure peut être déclenchée par le PE lui-même et la Convention peut être convoquée sur un simple vote du Conseil à la majorité des États membres. Cette Convention sera composée essentiellement de parlementaires européens et nationaux - avec la participation des représentants des gouvernements et de la Commission. Le texte du Groupe Spinelli est articulé comme un projet formel de révision et présente ainsi l’avantage de matérialiser une réforme possible - au-delà de simples principes ou idées générales. Il est principalement destiné aux responsables européens et nationaux en position utile pour y donner éventuellement suite. Certaines de ses propositions sont discutables ou contestables mais c’est une base concrète sur laquelle pourrait s’engager un processus de révision - comme le fut le projet Spinelli en 1984. Il est regrettable que la Commission des affaires constitutionnelles du PE ne s’en soit pas saisie et soit restée si timorée dans le domaine de la réforme de l’UE et de la révision des traités. JGG
3. Le 17 janvier 2014 à 23:32, par Jean-Guy Giraud En réponse à : Loi fondamentale : un enterrement programmé ?
Parmi les autres propositions concrètes et articulées de réforme de l’UE, voir :
rev-1-2014-JGG-_LB_240713_3
"2014 AMOCER LA RÉFORME DE L’UNION
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