Selon le classement RSF 2020, la situation de la presse est « bonne » en Estonie (14ème du classement) et « plutôt bonne » en Lettonie (22ème) et en Lituanie (28ème). Ces trois pays sont situés devant des pays d’Europe occidentale, comme la France ou le Royaume-Uni, mais derrière les pays voisins d’Europe nordique.
Les trois républiques baltes ont un paysage médiatique dynamique et sain en le comparant à ceux de Russie, de Biélorussie, d’Ukraine ou de Moldavie. Le pluralisme médiatique et la bonne santé du débat public sont de véritables rayons de lumière dans une région marquée par la corruption, le marasme politique, et le rôle déstabilisant de la Russie. Pourtant, il ne faudrait pas croire que les trois marchés médiatiques sont les mêmes (les cultures et les sociétés de ces nations sont déjà fort différentes). Chacun a ses propres caractéristiques et ses propres défis, quand bien même des tendances communes se dessinent.
Un pluralisme unique en Europe post-soviétique
La principale tendance commune est bien la pluralité des paysages médiatiques. Alors que les voisins directs, la Russie et la Biélorussie, mais également la Pologne dans une bien moindre mesure, répriment la liberté de la presse, l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie n’ont pas de gros problème de ce côté-là. Certains vont même jusqu’à qualifier le paysage médiatique balte de « très libéral ». L’intervention de l’état est à la fois minimale et très rationnée, à l’instar de ce qu’il se passe dans les pays nordiques.
Ce pluralisme médiatique est en outre assez ancien, dans la mesure où il s’est formé au moment des indépendances nationales, en 1990, voire même avant. En effet, la Glasnost (politique de transparence) de Mikhaïl Gorbatchev à la fin des années 1980 a permis aux médias d’avoir bien plus de contrôle sur leur propre ligne éditoriale, ce qui a encouragé la formation de nombreuses publications critiques du pouvoir et favorisant la conscience nationale. Les premières années des indépendances ont vu une explosion du nombre de titres de presse écrite surtout, avant une contraction dans les années de crise. Depuis 2000, la situation dans les trois pays est stable, ce qui a créé un cadre législatif et politique favorable à la diversité médiatique.
Cette bonne santé médiatique, au regard de ce qu’il se passe dans le voisinage post-soviétique, est peut-être dû à la stabilité politique des trois républiques baltes. L’adhésion à l’Union européenne en 2004 ainsi que tout le travail préalable a renforcé les institutions démocratiques, alors que l’Europe orientale s’enfonçait dans l’autoritarisme (Russie, Biélorussie), ou dans le marasme politique (Ukraine, Moldavie). La liberté de la presse étant fortement tributaire de la stabilité politique et démocratique, il n’est pas étonnant que les pays baltes soient l’exception en Europe orientale.
Selon le média spécialisé anglophone Baltic Times, de très nombreux titres de presse nationaux et régionaux sont disponibles et les citoyens baltes sont de grands lecteurs de presse écrite. La radio est également plébiscitée, même si, à l’instar de l’ensemble du monde occidental, la télévision reste le médium le plus apprécié pour s’informer.
Inquiétudes sur la concentration des médias et la restriction de certaines informations
Il est toutefois hors de question de dresser un tableau idyllique de la situation, sans évoquer les (nombreux) défis auxquels la liberté des médias doit faire face dans la région. Les pays baltes sont en effet dans une situation bien paradoxale : leur très bon classement RSF ne montre pas les inquiétudes croissantes du secteur de la presse face à la montée des pressions gouvernementales, des propriétaires des médias, ou encore du Kremlin.
En Estonie, le plus grand quotidien du pays, Postimees, fondé en 1857 et très respecté aujourd’hui, a connu quelques vicissitudes ces derniers mois, ce qui menace l’indépendance de sa ligne éditoriale : de nombreux journalistes d’investigation ont été licenciés ou ont quitté la rédaction depuis fin 2019, pour cause de conflits avec le propriétaire du journal, Margus Linnamäe, riche magnat des médias conservateur et nationaliste, issu de l’industrie pharmaceutique. En outre, le parti populaire-conservateur d’Estonie (EKRE), dans la coalition gouvernementale depuis l’année dernière, multiplie les hostilités à l’égard de la presse.
En Lettonie, le pluralisme tend à se réduire selon RSF. En novembre dernier, les nouveaux propriétaires de la plus ancienne chaîne de télévision privée, LNT, ont décidé de fermer la rédaction et de la remplacer par une chaîne de divertissement, provoquant le licenciement d’une trentaine de journalistes. Une décision qualifiée par l’association des journalistes lettons de « pire décision contre les médias depuis dix ans ». Le gouvernement exacerbe en outre la division entre médias de langue lettone et russe. Ces derniers ne sont clairement pas les bienvenus, en particulier lorsqu’ils prennent position en faveur de la politique étrangère irrédentiste de Moscou. Toujours selon RSF, les attaques contre les journalistes sont fréquentes, surtout à l’approche des élections. Harlem Désir, le représentant de l’OSCE pour la liberté des médias, a ainsi exprimé début 2018 sa préoccupation concernant l’expulsion de Lettonie de journalistes russes.
En Lituanie enfin, c’est le parti au pouvoir, l’Union lituanienne agraire et des verts (LVŽS), qui menace de plus en plus la liberté des médias, en invoquant la sécurité nationale. Le ministère de la Défense en particulier a voulu créer une sorte de « label » pour rendre certaines informations « secret-défense ». Devant le tollé, l’initiative a été abandonnée. Pour Dainius Radzevičius, président de l’union des journalistes lituaniens, le gouvernement veut « maîtriser » la presse, après presque trois décennies de liberté. Les journalistes ont soit l’interdiction de couvrir certains évènements, soit sont trop complaisants avec les autorités.
La langue : facteur de division de la presse
L’une des caractéristiques principales de la région tient à l’hétérogénéité linguistique. L’Estonie et la Lettonie ont une très grosse minorité russophone (respectivement 25% et 37,5%), alors que la Lituanie abrite des minorités de langue polonaise (5%) et russe (7%) non négligeables. Dans les deux premiers pays, la présence de russophones est un véritable défi de société depuis l’indépendance, alors que la construction des identités nationales autour de la langue nationale (l’estonien et le letton), ainsi que de l’horizon d’intégration euro-atlantique, étaient cardinales pour assurer la viabilité de la nation souveraine. Ainsi, de nombreux russophones se sentent encore abandonnés, mal intégrés dans la société. D’où la volonté de certains d’entre eux de s’informer avec les médias russes, très peu bienveillants par rapport aux pays baltes.
En Lettonie notamment, la presse écrite en langue russe et lettone se livre un combat : alors que les premiers sont souvent très critiques du gouvernement de Riga, les seconds tiennent à le défendre tout en dénigrant la presse russophone. Un climat de tension entre les différentes communautés linguistiques et culturelles donc. De manière générale, les médias lettons et estoniens sont plus critiques de la politique internationale que les médias russes. Un problème que rencontre beaucoup moins la Lituanie, un pays beaucoup moins hétérogène culturellement. De plus, les médias russophones populaires dans le pays sont souvent des versions en langue russe de médias lituaniens (comme Respublika).
Pourtant, il ne faudrait pas penser que tous les russophones s’informent auprès de médias pro-Kremlin. Les pays baltes abritent des médias russes libres, le plus célèbre étant certainement Meduza, basé à Riga, devenu célèbre au moment de l’arrestation de son journaliste Ivan Golounov en 2019.
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