Les Espagnols, ces abonnés aux votes

, par Alexis Vannier

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Les Espagnols, ces abonnés aux votes
Pedro Sanchez, le premier ministre espagnol, au Parlement européen, le 16 février 2017. Source : Parlement européen

Depuis quatre ans, les élections en Espagne s’enchaînent plus rapidement que la saga Star Wars au cinéma. Alors que la Force semble de nouveau être avec les socialistes, les nombreuses dissensions à l’intérieur du Sénat galactique madrilène empêchent Pedro Sánchez de s’installer confortablement dans le siège de Chancelier suprême. La Rébellion elle-même se scinde entre Podemos et une nouvelle formation de gauche, Más país. De leurs côtés, les séparatistes catalans pilonnent les positions l(r)oyalistes et les Sith, campés évidemment par les nationalistes de Vox, espèrent conquérir de nouveaux systèmes galactiques. La droite, elle, attend désespérément le retour d’un Jedi…

Législatives en Espagne, épisode IV

Ainsi, en même temps que le scrutin présidentiel roumain, les Espagnols sont appelés aux urnes pour renouveler leurs 350 députés et une partie de leurs sénateurs, l’autre partie étant élue par les Communautés. Et ce, pour la quatrième fois en quatre ans. Décembre 2015, juin 2016, avril 2019, novembre 2019. Alors que l’Espagne semble engluée dans une instabilité politique majeure, les urnes n’ont pas le temps de prendre la poussière dans les placards des mairies.

La saga débute en 2015. Le Parti populaire du Premier Ministre sortant Mariano Rajoy prend une gifle électorale passant de 44 à 28%. Le Parti Socialiste et Ouvrier Espagnol (PSOE) ne s’en sort guère mieux puisqu’il ne recueille que 22% des voix. Le report s’est fait sur les partis de gauche Podemos et libéral Ciudadanos (Cs).

Alors que Mrs Rajoy et Sánchez, du PSOE, sont incapables de former une coalition, de nouvelles élections sont convoquées en juin 2016. Avec plus d’un tiers des votants en sa faveur, le PP propose une grande coalition au PSOE qui refuse. Finalement, c’est avec le soutien passif de Ciudadanos et du PSOE que Rajoy est reconduit. Cette situation précaire explose le 1er juin 2018 quand la motion de censure de Mr Sánchez est adoptée, à la suite du scandale politico-financier dit Gürtel.

Les socialistes arrivent ainsi au pouvoir, avec un gouvernement sans coalition et minoritaire. Finalement, c’est le rejet du budget 2019 par les Cortes Generales qui aboutira à la convocation de nouvelles élections pour avril de cette année.

La gauche socialiste grapille alors 6% de voix supplémentaires et obtient 123 députés quand la droite s’écroule à 16,7% (-16,3%) et perd 71 députés et 71 sénateurs. C’est la première fois en onze ans que le PSOE passe devant le PP. Ciudadanos et Podemos obtiennent respectivement 57 et 42 députés. Avec plus de 10% des voix, l’extrême-droite de Vox parvient, pour la première fois depuis la fin de la dictature franquiste, à envoyer des représentants au Parlement national. Résultats qui se confirment lors des élections européennes en mai suivant.

Dans un premier temps, Mr Sánchez privilégie l’idée d’un gouvernement minoritaire plutôt qu’une coalition. Ce sera sans compter sur la pugnacité de Pablo Iglesias, dirigeant de Podemos qui exige non seulement une coalition mais également des portefeuilles ministériels. Finalement après de très longues tractations sur la présence d’Iglesias au gouvernement, les ministères détenus par Podemos, le programme commun et les différences d’opinions notamment sur la question catalane, aucun accord n’est trouvé.

Après l’accord de coalition « contre-nature » trouvé en Andalousie entre le PP, Ciudadanos et Vox visant à faire tomber le PSOE, présidant la région depuis son autonomie en 1981, Sanchez exclut de négocier un rapprochement avec le centre-droit. C’est donc un nouvel échec pour le Premier ministre intérimaire, échec qui conduit à la dissolution du Parlement le 23 septembre et au quatrième scrutin législatif en quatre ans.

Alors que la partie s’annonçait déjà compliquée pour le PSOE qui n’arrive décidément pas à obtenir une stabilité politique, une coalition Más País s’est formée autour de partis de gauche modérée, écologiste mais également de la gauche nationaliste valencienne qui s’est ainsi désolidarisée de Podemos. L’on pourrait y voir là une manœuvre pour piquer des voix à Podemos ou à Ciudadanos et ainsi favoriser une future coalition avec le PSOE.

Une sortie de crise lointaine, très lointaine…

Alors que les Espagnols semblent avoir placé les socialistes en tête une troisième fois d’affilée, c’est une victoire en trompe-l’œil puisque le PSOE se stabilise autour de 28% mais perd 3 députés. Les grands gagnants de ce scrutin sont à trouver du côté de la droite. Ainsi, le PP retrouve des couleurs et augmente son score de 4%, à 20% des suffrages, alors que le parti d’extrême droite Vox rassemble 15% des votes et double son nombre de sièges. Il semblerait que la crise catalane ainsi que le transfert de la dépouille du Caudillo, le Général Franco, en début de moi aient ravivé les flammes du nationalisme.

Le parti défendant une vision traditionnelle de la société est ainsi passé devant Podemos qui perd sept députés et Ciudadanos. Grand perdant de cet énième scrutin, le parti de centre-droit subit une lourde perte : son score est divisé par trois et chute à 6,7%, il perd 52 de ses 62 sièges au Parlement. La stratégie d’Albert Rivera, chef du parti, qui s’était dit prêt, le 10 octobre dernier à nouer une alliance avec le PSOE, semble avoir refroidi ses électeurs, à moins que ces derniers ne lui reprochent le rapprochement évoqué plus haut avec Vox. La coalition de gauche écologiste MP remporte quant à elle 3 députés. Le reste se divise entre les nombreux partis autonomistes ou indépendantistes.

Ce scrutin n’aura donc pas apporté la stabilité tant espérée. Ainsi, une alliance de la gauche et du centre-droit formée autour du PSOE avec Cs, Podemos et MP ne totalise que 159 sièges sur les 176 nécessaires pour une majorité absolue, alors que le bloc de droite autour du PP avec Vox et en comptant Cs n’en compterait que 150. Ainsi, tout se jouera dans des alliances avec les indépendantistes notamment catalans qui recueillent, gauche et droite confondus, 21 députés.

Cette instabilité politique pose évidemment la question du mode de scrutin. Dans de nombreux systèmes parlementaires utilisant le scrutin à la proportionnelle, les partis victorieux ne parviennent pas à obtenir une majorité absolue, et les coalitions sont de plus en plus compliquées, notamment du fait de la présence dans la quasi-totalité des Parlements européens actuellement de partis d’extrême-droite et nationalistes. Ainsi, la Belgique est encore dans l’impasse politique après cinq mois de négociations, les coalitions gouvernementales slovène et lettone comptent chacune cinq partis et le gouvernement estonien allie des partis du centre et d’extrême-droite.

En outre, face à cette abondance électorale, cette « frénésie démocratique », l’on pourrait croire que les votants se lassent. Le taux de participation en Espagne s’est pourtant toujours maintenu à un bon niveau : 70% pour les élections législatives de 2015, 66% en 2016 et 72% puis donc 70% en 2019, elle est même en hausse de près de 17% pour le scrutin européen de 2019, atteignant 60%.

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